Il fixa Lucie.
— Prête à plonger dans le bain ?
— Plutôt deux fois qu’une.
— T’en es où Pascal, avec le CHR d’Orléans, Daniel Loiseau ?…
— Pour le CHR, je viens d’appeler, fit Robillard. Ils nous ont certifié qu’on recevrait le listing aujourd’hui, fin d’après-midi au plus tard. Dès que ça arrive, Lucie et moi, on se met sur le coup. Et pour Loiseau… j’ai enfin eu accès à ses données bancaires, j’ai commencé à fouiner. Rien de bizarre, à ce que j’ai pu voir. Aucune transaction louche qui mérite analyse. Pas de voyage à l’étranger non plus. Aucune trace des loyers qu’il versait à Saint-Léger-aux-Bois. Il doit posséder un autre compte, quelque part. Je vais essayer de mettre la Financière sur le coup, mais vous savez comme moi…
— … que ça va prendre des plombes.
Lucie écoutait sans rien dire. Les informations fusaient, les hommes étaient en véritable osmose. Elle avait perdu l’habitude d’un tel rythme, il allait falloir s’y replonger sans délai.
— Bon… Deux points, annonça le chef de groupe. D’abord l’Argentine. Hier soir, en rentrant, j’ai immédiatement appelé le centre pour aveugles, les coordonnées étaient sur leur site Internet. Avec le décalage horaire, c’était la fin de journée là-bas. J’ai été en contact avec l’un des responsables, je lui ai parlé d’ El Bendito… Il le connaissait…
— Camille a donc tapé juste, fit Lucie.
— Oui. El Bendito est un malheureux, handicapé mental et aveugle, recueilli par un des salariés de l’association, Jose Gonzalez. En ce moment, ce Gonzalez accompagne un groupe d’aveugles à un important championnat de cyclisme handisport qui se déroule à quatre cents kilomètres de Buenos Aires, El Bendito est à ses côtés. Ils ne rentreront pas avant demain en fin d’après-midi, heure argentine. Le responsable n’a pas voulu me donner le numéro de Gonzalez, il était méfiant. Mais on dispose d’assez d’informations pour aller là-bas. On se rend au centre pour aveugles, on découvre ce que Florès est allé faire et pourquoi il recherchait ce Bendito . C’est une excellente piste pour remonter jusqu’à Charon ou CP.
— Quand tu dis « on », tu penses à qui ? demanda Sharko avec ironie.
— Je ne sais pas. À quelqu’un d’expérimenté, qui a déjà fait l’Égypte, le Brésil, la Russie… Un baroudeur qui saura se débrouiller même s’il ne parle pas la langue.
Sharko échangea un regard avec Lucie. Bellanger en remit une couche.
— Ce n’est pas une mission compliquée, a priori . On sait où on va, ce qu’on cherche. Juste un petit aller-retour, vite fait.
— Arrête avec tes « on », répliqua Sharko. T’as déjà regardé les horaires des vols, je présume ?
— Orly, 13 h 32. Presque en même temps que le vol de Camille. Rigolo, non ?
— Rigolo, oui… En gros, j’ai à peine quatre heures pour me préparer. Heureusement que je ne suis pas une femme.
Nicolas alluma une cigarette et partit en direction de la fenêtre, qu’il ouvrit. L’air brûlant lui frappa le visage. En bas, la foule bigarrée des touristes circulait sans interruption. Il se tourna vers Sharko, qui discutait à voix basse avec Lucie.
— Alors ?
— Alors quoi ? Tu sais bien que je vais y aller. J’aime les avions, les décalages horaires, j’adore l’espagnol, et Buenos Aires, avec ses je ne sais combien de millions d’habitants, est vraiment la destination qui me fait rêver. Et puis, ça tombe plutôt bien, vu que mon appartement est squatté par la mère de Lucie en ce moment.
Nicolas eut un sourire.
— Bon, eh bien c’est parfait alors. (Il fixa Levallois.) Tu vois tout de suite avec le service des missions pour Franck. Jacques ? Fais-leur se bouger les fesses, c’est urgent.
Jacques Levallois acquiesça et disparut.
— Ça va coûter bonbon, dit Lucie. Le divisionnaire va être heureux comme un pape de voir la facture arriver.
Bellanger souffla de la fumée par la fenêtre, avant de revenir vers ses lieutenants.
— Rien à foutre, du divisionnaire. Il est juste bon à entrer des chiffres dans des tableaux, celui-là. Je l’emmerde, OK ?
Lucie s’abstint de tout commentaire. Apparemment, le chef avait passé un sale moment avec Lamordier. L’ambiance venait d’en prendre un coup.
— Un truc important avant ton départ, Franck, ajouta Bellanger. J’ai déposé le petit squelette trouvé dans le grenier de Florès au laboratoire d’anthropologie. Officiellement, Jacques et moi, on l’a récupéré chez Mickaël Florès ce matin. J’ai expliqué à Jacques et Pascal pour Camille…
Trois paires d’yeux inquisiteurs étaient tournées vers lui.
— L’étude ADN sur un squelette, et sa comparaison avec l’ADN de Mickaël Florès et du père va prendre un peu plus de temps, mais j’ai mis la pression, on l’aura peut-être lundi, au pire mardi. L’étude squelettique dans le néonatal est un peu plus compliquée que pour les adultes, d’après le spécialiste. C’est très technique, basé sur des courbes, des calculs, il y a des histoires d’os solidifiés ou pas. On étudie surtout le crâne, on mesure les os, on regarde la dentition. Pour le sexe, c’est en rapport avec le diamètre pelvien. Aussi, à ce stade, l’expert pense qu’il s’agit d’un individu de sexe masculin, sans être formel à cent pour cent. Âge estimé à moins d’un mois de vie. Mais le bébé pourrait avoir une semaine comme trois, ça dépend de sa taille à la naissance, de la durée de gestation, bref d’un tas de paramètres. On pense qu’il s’est intégralement décomposé dans la caisse où on l’a trouvé.
— On sait depuis quand il y était enfermé ? demanda Lucie.
— Toujours difficile à estimer. Si le cadavre est resté dans cet environnement hermétique, il faut au moins un ou deux ans pour parvenir à cet état. Les os étaient propres, dépourvus de toute matière musculaire ou de tendons. Ça dépend surtout de l’environnement, des insectes, de la profondeur d’enfouissement… Mais vu l’état de dégradation du cercueil et l’absence complète de matière organique autre que les os, le spécialiste pense plutôt à plusieurs années. Au moins une dizaine.
— Donc ça n’exclut pas le fait qu’il puisse être le fils de Mickaël Florès.
— Non. Un dernier point concernant ce corps, et certainement le plus important : l’anthropologue a tout de suite remarqué des lésions traumatiques importantes sur le crâne du bébé. D’après lui, elles viennent d’un choc qu’il aurait pu recevoir après sa naissance. Il pense à une chute, un coup qui lui a été fatal.
Ils se réfugièrent dans le silence, avec le sentiment qu’il y avait forcément un fil directeur derrière toute cette histoire. Franck Sharko voyait le père et le fils Florès, assassinés. Et désormais, ce petit être anonyme, mort d’un coup sur la tête peu de temps après sa naissance. Le fils de Mickaël ? Cherchait-on à anéantir toute une lignée ? Quel était le lien avec Maria Lopez et son ventre rond ?
Pascal Robillard se leva et sortit de l’ open space avec une envie pressante. À cause des protéines et du lait qu’il ingurgitait pour ses séances de musculation, il passait sa vie aux toilettes.
Quand il fut sorti, Nicolas Bellanger regarda de nouveau l’heure.
— Camille va arriver d’un instant à l’autre. Je vais m’occuper de sa déposition rapidement, avant son départ pour l’Espagne.
Sharko jeta un œil en direction de Lucie et eut un bref sourire.
— Camille ?
— Comment tu veux que je l’appelle ? Géant vert ?
— Bleu, plutôt. C’est pas toi qui t’occupes de ce genre de paperasse, d’ordinaire.
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