Elle ne pouvait pas avoir le cœur d’un salaud. D’un type qui…
Camille posa une main sur son cœur et respira fort. Elle étouffait, soudain. Elle ouvrit grands les carreaux, mit la climatisation à son maximum, essaya de se calmer. Ses questions, ses incertitudes la dévoraient, l’usaient. Et maintenant qu’elle avait mis le doigt dans l’engrenage…
Elle prit la carte de Mickaël Florès. Qu’est-ce que ce photographe était venu chercher dans ce petit commissariat ? Pourquoi ces questions sur Daniel ?
Elle lut l’adresse.
Non loin de Fontainebleau, mais dans le département limitrophe de l’Essonne.
Ça tombait bien, c’était sur la route qui était censée la mener chez ses parents.
9 h 30.
Ils étaient quatre, réunis autour d’une petite table rectangulaire au milieu de leur open space , dernier étage du 36, quai des Orfèvres.
Jacques Levallois, le plus jeune de l’équipe. Pistonné quelques années plus tôt par son oncle, mais un bon gars, discret, opérationnel, qui se bonifiait avec l’âge. Pascal Robillard, le cérébral qui s’éloignait rarement de son ordinateur sauf cas extrême ou pour se rendre dans une salle de sport afin d’y pratiquer des exercices de musculation intensifs. Franck Sharko, le vieux de la vieille, et finalement Nicolas Bellanger, leur chef.
Une équipe à laquelle manquait Lucie, dont le bureau était resté vide à l’entrée de la vaste pièce décorée de posters plutôt masculins, de plans de Paris, de photos personnelles épinglées derrière chaque espace de travail.
Tous avaient écouté une copie du message sur l’enregistreur numérique, de bon matin. Rien de tel pour vous réveiller un policier. Nicolas Bellanger n’avait pas meilleure mine que la veille. Il se tenait debout, à proximité d’un tableau blanc où il avait déjà noté quelques informations au marqueur noir. Par la grande fenêtre, pas un seul nuage. On prévoyait, encore aujourd’hui, des températures records. Les cerveaux risquaient de cuire sous les combles, les organismes allaient souffrir.
Étalés devant le chef de groupe, à côté d’un paquet de feuilles, douze visages apeurés.
Douze filles probablement disparues.
Dessous, les douze victimes photographiées de dos, nues, rasées, avec leurs mystérieux tatouages à l’arrière du crâne.
Les flics avaient tous un gobelet de café à la main, sauf Robillard, grand amateur de lait froid et ultra protéiné qu’il ramenait dans une bouteille Thermos.
— Bon… fit Bellanger. On procède en deux temps : faire la liste de ce dont on dispose pour le moment, et déterminer où on va. Je suis passé aux labos de la Scientifique ce matin. Ils ont bien bossé pour nous. Les nouvelles sont nombreuses mais ce n’est pas joli-joli, ce que je vais vous apprendre. On risque de passer une sale fin de mois d’août.
— Tu nous mets l’eau à la bouche, ironisa Robillard.
Le jeune lieutenant Levallois eut un rire nerveux. Il était le « négatif » de Robillard, tant physiquement que psychologiquement. Poids plume, pas du tout sportif, mais sans cesse sur le terrain, à fouiner, interroger, coordonner, mener les enquêtes de proximité. Il prit son stylo et le fit tourner entre ses doigts. Nicolas Bellanger plaqua la photo de la fille aux iris laiteux sur le tableau blanc à l’aide d’un aimant.
— On sait qui elle est ? demanda Sharko.
— Non. Mais on sait ce qu’elle a fait.
Sous la photo, il nota, au marqueur rouge, « cambrioleuse ».
— Ses empreintes digitales ne sont pas inconnues de nos fichiers. On les a trouvées dans deux maisons cambriolées au nord de Paris. Les effractions ont eu lieu il y a un peu plus de deux ans, à quelques semaines d’écart.
Il y eut un silence, le temps que les hommes intègrent l’information.
— Une cambrioleuse, dit finalement Robillard. Elle n’est donc pas tout à fait innocente. Et qu’est-ce qu’elle dérobait ?
Bellanger poussa dans sa direction une feuille qui ressemblait à un PV.
— À toi de me dire. Je veux tout savoir sur cette affaire. C’est le commissariat d’Argenteuil qui a bossé là-dessus. Mets-toi en contact avec les enquêteurs, creuse le sujet à fond. Cette fille et les onze autres ont peut-être un autre point commun que leur apparence physique ou leur origine sociale.
— Tu penses à un réseau, c’est ça ? fit Sharko. Des filles qui bosseraient ensemble ?
— En tout cas, ça pourrait expliquer pourquoi personne n’a jamais signalé leur disparition. Elles viennent peut-être de l’étranger ou sont en situation irrégulière, un truc dans le genre.
Le chef but une gorgée de café. Froid, déjà. Il grimaça et posa son gobelet sur la table.
— Ensuite… Petit point technologique : on a clairement identifié le réseau WIFI que Macareux piratait pour diffuser, semble-t-il, les images de sa caméra. On dispose des autorisations du propriétaire pour accéder aux traces, il a même mis à disposition son ordinateur. Un expert informatique est déjà sur le coup. Il va se mettre en contact avec le fournisseur de services Internet. Ça devrait aller vite, pour une fois.
— En gros, on pourra bientôt savoir si de sales petits pervers mataient ces images et remonter jusqu’à eux ? demanda Levallois.
— En théorie.
Bellanger consulta ses notes.
— Alors ensuite… Le carnet trouvé par Franck sous le plancher n’a rien révélé aux ultraviolets. Les laborantins vont le passer à des techniques plus poussées comme la fumigation, pour la recherche de traces papillaires.
Il lorgna en direction de Robillard, encore.
— Tu jetteras un œil au contenu de ce carnet dès que possible ? Cette histoire de Styx, et tout l’intérieur, avec ces cercles reproduits à l’infini. À première vue, c’est juste le délire d’un maniaque, mais on ne doit rien négliger.
— Dès qu’il me poussera un troisième bras, j’essaierai.
— Très bien. Concernant les tatouages, va falloir creuser, là aussi. On ne comprend pas. Aux labos, dans le domaine médical, chimie, physique, tout ce que vous voulez, ça ne dit rien à personne. Ils peuvent représenter n’importe quoi, ces lettres et chiffres.
Nouveau coup d’œil sur son petit carnet Moleskine.
— Les tableaux maintenant… Il y a quelques traces papillaires, mais comme le propriétaire y a touché, et qu’ils étaient entreposés dans son garage, ça ne facilite pas la tâche des techniciens. Bref, va falloir vérifier tout ça, sans la certitude d’en tirer quoi que ce soit d’intéressant. Par contre, on en sait plus au sujet de ces deux tableaux grâce à un type calé en peinture de la Section documents et traces, qui les a vus et reconnus en arrivant au labo ce matin. Ce sont des copies d’œuvres de Rembrandt.
Robillard siffla entre ses dents.
— Rembrandt… Notre taré a bon goût !
— Le laborantin a fait une petite recherche sur Internet, il ne se rappelait plus les titres exacts ni les dates. L’un des tableaux, celui aux nombreux personnages, s’intitule (il lut sur son petit carnet) Leçon d’anatomie du docteur Tulp , il date de 1632. L’autre, c’est Leçon d’anatomie du docteur Deyman , peint en 1656. Le premier tableau, Tulp, commémore une dissection annuelle à Amsterdam, réalisée devant trois cents spectateurs.
Le capitaine de police nota ces informations sur le tableau blanc, sous la photo de la fille aux iris blanchâtres. Entre-temps, Sharko demanda à Robillard de faire une recherche sur le Net et d’afficher le tableau Leçon d’anatomie du docteur Tulp . Le lieutenant s’exécuta et tourna son écran vers eux.
Sharko pria Levallois et Bellanger de s’approcher de l’image affichée sur tout l’écran.
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