Il s’approcha de la porte d’entrée, elle était verrouillée. Il fit le tour, il n’y avait aucun moyen de pénétrer dans la maison sans faire de casse.
Merde.
Nicolas essayait de réfléchir à toute vitesse. Comment entrer ? Il observa l’Audi et fonça pour lui donner un coup d’épaule violent. Le système d’alarme du véhicule se mit à hurler, tandis que Nicolas se réfugiait à toute allure dans l’obscurité du jardin.
Il attendit. Au bout d’une vingtaine de secondes, il aperçut une silhouette à la fenêtre de l’étage. Deux bras sombres s’appuyèrent sur le montant, la silhouette se figea, semblant scruter les lieux. Puis elle disparut avant de réapparaître à la porte quelques instants plus tard.
Elle courut en direction de la voiture, dont l’alarme hurlait.
Nicolas en profita pour se glisser dans la maison.
Il n’avait vu qu’une fois le visage de Calderón sur une photo-impression en couleur, mais il le reconnut aussitôt lorsque ce dernier rentra et verrouilla derrière lui. L’Argentin était en tenue verte de chirurgien. Il monta à l’étage et disparut sur la gauche.
Nicolas attendit un peu et s’engagea à son tour sur les marches, le flingue braqué.
Il se retrouva dans un long couloir.
Des néons, des grésillements.
Une porte ouverte, plus loin. Il se plaqua contre la cloison, respira un bon coup et surgit, l’arme devant lui.
Une pièce médicalisée. Un homme en tenue bleue de patient semblait dormir paisiblement sur un lit. Face à lui, la télé allumée, de beaux cadres, une bibliothèque. Le souffle court, Nicolas se précipita et souleva le drap.
Son sang ne fit qu’un tour.
Une cicatrice, sur l’aine. L’homme avait été opéré du rein.
Camille !
Nicolas frotta son visage trempé de sueur du dos de la main, avant de réaliser que la cicatrice n’était qu’une trace de feutre.
Le corps avait juste été préparé pour l’opération.
La greffe n’avait pas encore eu lieu.
Nicolas crut qu’il allait s’évanouir. Il reprit son souffle et, au moment où il s’apprêtait à sortir, entendit un coup de feu.
Non !
Une terrible image lui traversa l’esprit, un instantané de douleur : Camille, la tête explosée. Il se précipita vers le fond, où une lumière crue filtrait sous une porte entrouverte.
Nicolas surgit, bras tendus, prêt à vider son chargeur.
Enzo Belgrano était au fond du bloc opératoire, masque vert chirurgical baissé sur sa poitrine. Il pointait le canon d’un revolver sur le crâne de Camille, nue, branchée à des appareils, couchée sur une table en acier. Les yeux de la jeune femme étaient grands ouverts. Elle vivait mais elle était incapable de remuer, sans doute anesthésiée localement. Son abdomen était jauni par la Bétadine. À l’électrocardiogramme, son cœur battait irrégulièrement. Parfois vite, parfois très lentement.
Elle avait des marques de brûlures sur les bras, le torse. La Picana .
À ses pieds, Claudio Calderón gisait, le visage tourné vers le plafond, les yeux fixes. Il avait reçu une balle au milieu du front.
— Ne bougez pas d’un millimètre, fit Bellanger.
L’Argentin hocha le menton vers un petit écran, accroché dans un angle de la pièce.
— Je vous ai vu sur l’une des caméras, pendant que Calderón descendait couper l’alarme de sa voiture.
Il sonda le policier. Quelque chose de sinistre, d’indéfinissable, brillait dans ses iris noirs.
— Cette femme, c’est étrange, vous ne trouvez pas ? fit-il avec un calme déstabilisant. Qu’elle ait le cœur de Loiseau et qu’elle se retrouve sur cette table, prête à elle-même donner ses organes ? Mais regardez bien l’électrocardiogramme. Les sursauts, cette partition folle des battements cardiaques. Le cœur est en train de puiser dans ses dernières forces, comme une pile en fin de vie. C’est une question d’heures avant qu’il s’arrête, désormais. Je suis tout de même curieux. Comment êtes-vous remonté jusqu’ici ? Quelle piste avez-vous finalement exploitée ? Mickaël ? L’Argentine ? Loiseau ? La petite Camille m’a laissé sur ma faim, avec ses explications.
La jeune femme fixa Nicolas, les yeux remplis d’effroi. Elle semblait résignée, déjà morte. Une larme roula sur sa joue.
— Toutes, répliqua Nicolas. De petites pièces de puzzle qui, assemblées, dressent le tableau de ce que vous êtes. La pire des ordures. Vous avez commis des actes indescriptibles. Vous tuez depuis des années. Vous avez massacré votre propre frère jumeau de sang-froid.
Le visage de l’Argentin ne laissa transparaître aucun sentiment. Un véritable masque de cire.
— J’ai su très tôt que mon père n’était pas mon père : il ne pouvait pas avoir d’enfants. Mais il ne m’a jamais dit d’où je venais. Il n’y a pas si longtemps que ça, j’ai entendu parler de ce programme ADN en Espagne. J’ai tenté le coup, ça a fonctionné… Et devinez ma surprise quand, en plus de ma génitrice, j’ai découvert l’existence d’un frère.
Il s’accroupit, son visage se trouvait juste au niveau de celui de Camille. À quelques centimètres seulement. Le canon de l’arme se promenait sur sa joue.
— Je suis allé voir d’abord cette génitrice, une malheureuse qui faisait pitié, honte. Elle était à moitié tarée, cette chose ne… (son visage se tordit en une grimace effrayante) … pouvait pas être ma mère. Je ne pouvais pas avoir son sang.
Un silence. Il retrouva son ignoble sourire.
— Cette pauvre femme était là, avec son sécateur. Je lui ai expliqué certaines choses qui s’étaient passées en Argentine. Des petits détails croustillants. Je lui ai montré qui elle avait engendré. Je crois que je lui ai fait un peu peur.
Nicolas maintenait sa visée, la main gauche soutenant son bras droit.
— Et Mickaël ? Pourquoi ce massacre ?
— J’ai retrouvé où il habitait. Je suis entré chez lui alors qu’il n’était pas là, histoire de voir à qui j’avais affaire. Et devinez donc ma surprise quand je suis allé dans son laboratoire photo. Quand j’ai vu mon propre visage, celui de Loiseau, de Calderón, de Pradier sur l’un de ses murs ! Il avait tout découvert… Comment ? Comment il avait fait ? Je suis ressorti, je me suis mis en contact avec Calderón et Pradier. On a pris une décision, on a fait le ménage. Il fallait… tout effacer. Les photos, mes origines. Je me suis occupé de Mickaël personnellement. Je voulais qu’il parle, qu’il m’explique tout. Son obsession pour le trafic d’organes l’avait mené jusqu’à Calderón, puis, de fil en aiguille, à moi. Quand il a vu la ressemblance sur des articles de journaux, il a compris que nous étions liés. Le destin est tellement étrange, vous ne trouvez pas ?
— Et il n’a jamais rien dit à la police ? Il n’avait averti personne ?
— Il nous a traqués, suivis, il avait tout compris, mais ses obsessions étaient les plus fortes. Il voulait aller au bout de sa démarche, il lui manquait encore certaines pièces du puzzle. Quand je l’ai retrouvé, je l’ai vidé de son jus. Il est mort et je me suis débarrassé des photos.
— Mais vous en avez oublié certaines, cachées dans le patchwork des tirages. Celle de cet Argentin aveugle, notamment.
— Vous avez raison. Trop de… précipitation, de colère et d’euphorie, sans doute. On commet tous nos petites erreurs, n’est-ce pas ? (Il soupira.) Dans la foulée, on s’est débarrassé du « père ». C’est Pradier qui a voulu s’en charger. Il a toujours aimé ça. Tuer pour le goût du sang, trafiquer le corps humain, fouiller les ventres comme un mécanicien bidouille une voiture. C’est lui qui prenait les reins sur les filles, on le laissait faire. Soulever l’organe, le mettre dans son petit caisson réfrigéré. Vous auriez vu ses yeux à ce moment-là ! Loiseau n’était pas mal non plus. Un fou de tueurs en série, qui vouait des cultes à des types comme Pierre Foulon… Il a été facile à repérer, au Styx. C’est ainsi que notre petite équipe s’est constituée.
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