— J’aimerais quand même parler à son ex-petit ami, ce Patrick Lambart. J’ai fait une requête d’identité, j’attends un retour.
Sharko acquiesça.
— Bon… Bientôt 18 heures. Aux dernières nouvelles, Nicolas est parti au laboratoire de Carayol avec des collègues de la cellule antiterroriste poser quelques questions et visiter les lieux. Tu peux rentrer directement si tu veux. Je vais passer à la crèche pour récupérer Jules et Adrien.
— Très bien. Ces flacons de bain-douche, d’où ça sort ?
— Ils étaient dans ce meuble, là. Les trucs fournis par les hôtels, qu’on fourre tous dans nos sacs avant de rendre les clés.
— Il y en a un paquet. Ce n’est pas donné, ce genre d’établissements. Ça gagne beaucoup, un laborantin ?
— Ce n’est pas elle qui payait, j’ai l’impression. J’ai jeté un rapide coup d’œil, aucune trace sur ses relevés bancaires. Mais elle avait le droit de se faire inviter, non ?
— Par Patrick Lambart, tu veux dire…
— Lui ou un autre.
Il lui lança un flacon. Celui du Méridien Étoile.
— T’iras y faire un tour demain…
— Tu m’invites ?
Sourire de Sharko. Ils sortirent de l’appartement. Le lieutenant ferma la porte à clé et se tourna vers sa compagne.
— Comment tu te sens ? Je veux dire… Pas de symptômes particuliers ?
— Ça va. Je touche du bois, mais je ne me suis jamais chopé la grippe. Ou alors, je ne m’en souviens pas. Et toi ?
— Je ne suis jamais malade. Enfin, une petite schizophrénie par-ci, par-là, sinon, ça va. Mais il est très important que les enfants n’attrapent pas cette saloperie. On va faire attention, d’accord ?
Franck et Lucie partirent chacun dans une direction pour retrouver leur véhicule. En route, Sharko en profita pour passer des coups de fil au sujet de l’affaire des squelettes. Il disposait du numéro de portable de Robert Chamberlain, qui travaillait dans l’administratif à la mairie de Paris. Après qu’ils eurent échangé quelques banalités et pris quelques nouvelles l’un de l’autre, Sharko entra dans le vif du sujet :
— J’aimerais que tu me mettes en relation avec quelqu’un qui connaît les égouts de Paris comme sa poche. Je voudrais savoir comment ça fonctionne, qui y travaille, combien ils sont à bosser là-dessous. Il faudrait que je puisse consulter des plans, si ça existe, surtout ceux du quartier du canal Saint-Martin.
— Les égouts, tu dis. Pour ça, il faudrait sans doute aller taper du côté des services techniques, rue du Faubourg-Saint-Honoré. Ce sont eux qui gèrent l’entretien du réseau souterrain. Alors… Attends deux secondes, je regarde dans mon petit annuaire… J’ai un nom, je t’organise le rendez-vous. Quand et quelle heure tu veux ?
— Demain matin, 8 h 30.
— C’est un peu tendu comme délai, mais je m’en occupe.
Ils se saluèrent et raccrochèrent.
Presque 19 heures. À Sceaux, Sharko se tenait à l’entrée de la crèche parentale « Les Fripounnets ». Il venait d’enfiler sa protection respiratoire, ce qui attira l’attention de la directrice. Le flic expliqua qu’un de ses collègues avait attrapé un sale rhume et qu’il préférait prendre ses précautions, surtout avec les enfants. Il ignora si elle le crut vraiment, mais elle ne posa pas d’autres questions.
Jules et Adrien étaient occupés à jouer avec des cubes, au milieu de sept ou huit autres enfants. Lorsqu’ils l’aperçurent, les jumeaux accoururent vers lui. Adrien, le plus pirate des deux, poussa énergiquement son frère pour venir se plaquer le premier contre la jambe de son père. Jules se mit à pleurer.
— Ça va aller, mes grands…
Sharko en prit un dans chaque bras, embarqua leurs sacs et salua la directrice. Adrien voulut lui arracher son masque du visage. Sharko esquiva, les installa dans leurs sièges bébé. Il ne roula pas dix minutes qu’ils étaient tous les deux endormis. Sharko sourit. Il devait y avoir un gène de l’endormissement en voiture, le flic avait été exactement comme eux dans sa petite enfance. Le broutement de la vieille 504 blanche, les paysages hypnotiques qui défilaient, la voix de ses parents.
Ses parents…
Sharko ôta son masque, il étouffait. Il inspira profondément et se calma.
Le silence avait été de courte durée. Les jumeaux retrouvèrent leur vigueur dès qu’ils touchèrent le carrelage du salon. Cris, rires, disputes. Sharko aimait ces maisons pleines de vie où les mômes braillaient, où l’on se prenait les pieds dans les jouets, où l’on retrouvait des bonbons collés entre les coussins des fauteuils. Tout cela lui avait tellement manqué durant des années où seuls les drames, les galères, les horreurs avaient rempli son existence. Aujourd’hui, il pouvait dire qu’il était heureux parce qu’il avait une famille. Une vraie famille.
En regardant ses fils, il se dit que cet Homme en noir s’en était pris aussi à ses enfants. Qu’il avait essayé de les atteindre. De les contaminer.
Il n’en ressentit qu’une plus grande haine et se sentit mal.
Il retrouva sa compagne dans la cuisine, qui coupait du jambon dans une assiette et faisait chauffer des petits pots au bain-marie. Artichauts-brocolis… Sharko se demanda comment des industriels qui avaient aussi été des mômes pouvaient proposer des goûts aussi infects à des enfants.
Lucie alla embrasser ses fils après avoir enfilé son masque, puis revint vers son homme en baissant sa protection.
— Je viens d’avoir des nouvelles du 36 concernant ma demande de recherche d’identité, fit-elle. Il y a un truc bizarre avec ce Patrick Lambart.
Sharko ouvrit le réfrigérateur et décapsula une bière forte. Il ne buvait que rarement en semaine mais, là, il avait besoin de décompresser.
— Il y a bien un Patrick Lambart, médecin généraliste dans le 2 e arrondissement. C’est d’ailleurs le seul Patrick Lambart de la capitale.
— Et c’est quoi, le truc bizarre ?
— J’ai appelé la secrétaire de la maison médicale où il bossait. Il est mort depuis cinq ans.
Mercredi 27 novembre 2013
Amandine ressentit un immense soulagement lorsqu’elle se glissa sous la douche, cette nuit-là.
Il était plus de 2 heures du matin. Une journée interminable qui avait commencé dix-sept heures plus tôt, où les mauvaises nouvelles, les drames et les interrogations s’étaient accumulés. Sa tête lui donnait l’impression d’être une sortie d’autoroute saturée.
Elle frotta le savon de toutes ses forces sur la moindre parcelle de son corps, jusqu’à faire rougir sa peau d’ordinaire si blanche. Avec tous ses allers-retours dans le métro, au Palais de justice, les gens peut-être infectés qu’elle avait croisés, Amandine se sentait souillée.
Plus tard, elle se brossa les dents à n’en plus finir, sans se rendre compte de la force et de la rapidité de ses gestes puis se rinça la bouche. Le goût du sang lui donnait envie de vomir. Elle essaya de recouvrer son calme. Avant de sortir, elle aperçut un fil de toile d’araignée qui pendait au-dessus du plafonnier. Amandine prit une chaise et, à l’aide d’une serviette, fit disparaître le fil d’un geste sec. Elle nettoya toute la lampe et se brûla même à l’ampoule.
Comment cette fichue araignée avait-elle pu s’introduire ici ? Par où était-elle passée ? Amandine avait tout nettoyé de fond en comble le samedi précédent. Elle se mit à traquer la bestiole dans chaque recoin, souleva le linge, lorgna dans le lavabo. Elle était forcément quelque part. Il fallait qu’elle meure.
Mais rien. Sur les nerfs, la jeune femme finit par abandonner, tandis que Phong l’appelait depuis plusieurs minutes déjà. Elle se présenta devant la baie vitrée qui séparait son salon de celui de son mari, fixant du regard les carrelages et les murs. Elle hésita encore quelques secondes, puis prit sa décision.
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