— Merci. Et pour les autres indices qu’on a trouvés autour du cadavre ? La menthe…
— La menthe en feuille, oui, celle qu’on cultive au jardin. Nous avons aussi récupéré, proche du cadavre et de son chien, de petits morceaux d’éponge que nous avons passés dans le spectromètre de masse. On en a déduit qu’ils étaient imprégnés de vinaigre, d’absinthe et de laudanum.
— Du laudanum ?
— On l’appelle également du vin d’opium, il existe depuis des centaines d’années. On le trouve encore en pharmacie sous forme de gouttes, même s’il n’est plus vraiment utilisé. Il peut être un substitut de certaines drogues dures comme l’opium.
— Et donc, ce mélange de laudanum avec le vinaigre et l’absinthe ?
— Je ne sais pas… drôle de cocktail. On en imprègne l’éponge, on la plaque sur son visage, ça doit shooter pas mal, donner comme un sentiment de puissance, d’invincibilité, comme le fait l’opium.
Sharko le remercia et raccrocha.
— De la menthe, de l’absinthe, du laudanum ? répéta Camille, intéressée. Sur quel genre d’affaire vous êtes ? Nicolas ne m’a rien dit.
Avec Camille, Sharko avait l’impression d’avoir affaire à une Lucie bis . Elles étaient pareilles, toutes les deux, et c’était sans doute pour cette raison qu’elles s’entendaient si bien.
— Parce que ce n’est plus ton job, Camille, et que Nicolas ne peut pas te parler de toutes nos enquêtes. Il y a d’autres sujets de conversation bien plus intéressants que de savoir comment des tarés s’y prennent pour tuer des gens, tu ne crois pas ?
À cause de l’attente, chacun était peut-être un peu trop nerveux, l’ambiance était électrique. Camille préféra retourner dans son coin.
Nicolas Bellanger entra enfin dans l’ open space , des feuillets roulés dans la main droite. Chacun comprit, à voir sa tête, que les nouvelles n’étaient pas bonnes.
Nicolas adressa un sourire crispé à sa compagne. Camille n’aimait pas le voir comme ça, grave, inquiet, fatigué. Le capitaine de police inspira un grand coup, avant de lâcher :
— Tous ces gens, en bas, viennent de l’Institut Pasteur de Paris. Nous venons d’avoir une réunion avec le directeur de la Santé et divers responsables qui ne disaient qu’à demi-mot ce qui se passe vraiment. Le ton est vite monté. Nous savons, mais, officiellement, rien ne doit sortir de ces murs. Vu les interrogations qui montent, la pression des journalistes, le gouvernement devrait communiquer très vite de manière officielle.
— Et donc, que se passe-t-il ?
Nicolas prit son inspiration et lâcha :
— Il semblerait que quelqu’un soit entré mercredi dernier dans le restaurant du Palais de justice pour y libérer un virus de la grippe inconnu. Ce même virus qui est en train de faire des ravages dans nos rangs.
Bellanger vit ses collègues pâlir. Camille resta figée. Un grand silence les enveloppa.
— Un… virus inconnu ?
Lucie avait parlé du bout des lèvres. Elle pensait à Pascal Robillard… cette masse de muscles anéantie…
— Une grippe qu’ils ne connaissent pas, et par conséquent pour laquelle il n’y a pas de vaccin. Du genre de celle de 2009, la fameuse grippe mexicaine. Ce type de saleté peut créer une pandémie. C’est certainement elle qui a touché Levallois et Robillard.
Il leur parla du virus peut-être répandu dans le restaurant. Les visages se creusèrent de stupéfaction. Lucie sentit son pouls accélérer. Elle pensa instantanément à ses jumeaux.
— Qu’est-ce qu’on risque ?
Bellanger parcourait du regard son carnet. Il avait essayé de noter tout en écoutant, pris lui aussi à la gorge par toutes ces révélations.
— C’est trop tôt pour le dire, mais d’après les experts de Pasteur, les symptômes semblent identiques à ceux d’une grippe « classique ». Certaines personnes résisteront bien, d’autres seront plus sensibles, et d’autres encore rencontreront de graves difficultés. Plusieurs malades dont Robillard ont été hospitalisés afin que les médecins puissent connaître le mieux possible le comportement de ce nouveau virus et aussi éviter au maximum sa propagation.
Sharko se leva de son siège et partit s’appuyer contre le radiateur. Le flic avait les mains moites, les jambes cotonneuses. Les assassins ne l’effrayaient pas, parce qu’ils avaient un visage. Mais un virus, inconnu par-dessus le marché…
— D’après eux, ce virus a des origines aviaire, porcine et humaine. Il est un peu le mélange des trois, ça veut donc dire qu’il est capable de passer d’une espèce à l’autre. Il faut savoir que les virus grippaux sont toujours en train de muter, de se réorganiser, et il suffit d’un concours de circonstances malheureux pour qu’un mutant capable de se diffuser parmi la population humaine apparaisse.
Son regard devint encore plus grave.
— Celui qui a répandu le virus a aussi contaminé des oiseaux migrateurs sur une île où ils se posent par milliers. Ça s’est fait entre le 7 et le 8 novembre. Ils le savent car l’un des cygnes était suivi par GPS… Tenez-vous bien : notre « assassin » a disposé des cadavres d’animaux contaminés en trois cercles concentriques sur cette île.
Un silence. Tout se bouscula soudain dans la tête de Sharko, de Camille et de Lucie.
— Le symbole des trois cercles. C’est lui ! s’écria Camille.
— L’Homme en noir… ajouta Lucie. Encore lui. Bon Dieu !
C’était bien plus qu’un sentiment d’échec que les policiers ressentaient à ce moment-là. Ils avaient l’impression d’avoir laissé un monstre préparer tranquillement un piège qui se refermait aujourd’hui brusquement sur eux.
— Rappelez-vous le début du message qu’il m’a adressé, fit Nicolas : Le Déluge arrivera d’abord par le ciel . Les oiseaux sont ce déluge. Ils sont en train de répandre le microbe partout où ils se posent. Et probable, d’après les gens de Pasteur, que ça finisse par contaminer à la longue des êtres humains. Demain, dans une semaine, dans un mois… Difficile à dire. Une chose est sûre : on ne peut pas les arrêter.
Il soupira. Ses yeux s’orientèrent vers ceux de Camille.
— C’est le même individu qui est derrière tout ça. Celui qui m’a envoyé l’horrible lettre l’année dernière, celui qui a balancé le virus informatique, celui qui a répandu la grippe. Celui qui nous a causé tous ces soucis. L’Homme en noir.
Il s’approcha de sa compagne et tenta de la rassurer.
— Il ne s’en prend pas qu’à nous. Il s’attaque au pouvoir, à l’autorité. À l’État. Et de façon très organisée. Les experts de Pasteur et tous les gens en rapport avec les organismes de santé sont en alerte. Ils ont peur que le virus ne finisse par se répandre dans la population, qu’il ne crée un vent de panique. On peut arrêter des assassins, mais comment faire pour stopper un virus ? Je n’y connais rien, pourtant j’ai l’impression que le mal est fait. Que ces types, là, en bas, n’y pourront rien changer, même s’ils veulent nous faire croire le contraire. Et par-dessus tout, ils vont devoir communiquer, avertir la population. Ce n’est pas le genre d’affaire qu’on peut étouffer : trop de malades, trop de témoins, trop de mesures à prendre avec les autres pays.
Il paraissait abattu.
— Ma question est peut-être étrange, fit Lucie, mais… pourquoi « juste » une grippe ? Pourquoi pas un truc plus destructeur ? Comme Ebola, ou je ne sais quoi ?
— C’est trop tôt pour émettre des hypothèses ; ils ne répondent pas à cette question. D’où sort ce virus ? Comment notre homme l’a-t-il récupéré ? Les deux équipes antiterroristes fusionnent, vu le nombre de malades qu’ils ont dans leurs rangs. Ils sont obligés de se réorganiser.
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