Franck Thilliez - La forêt des ombres

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Arthur Doffre, milliardaire énigmatique, est sur le point de réaliser un rêve vieux de vingt-cinq ans : ressusciter un tueur en série, le Bourreau 125, dans un livre. Un thriller que David Miller, embaumeur de profession et auteur d'un premier roman remarqué, a un mois pour écrire contre une forte somme d'argent.
Reclus dans un chalet en pleine Forêt-Noire, accompagné de sa femme et de sa fille, de Doffre et de sa jeune compagne, David se met aussitôt au travail. Mais il est des fantômes que l'on ne doit pas rappeler… « Huis clos oppressant, suspense diabolique, plongée violente dans les tréfonds de l'âme humaine. »
Olivier Delcroix —

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Ils marchèrent encore une vingtaine de minutes. Aucune cabane en vue.

— Vous croyez qu’on l’a ratée ? interrogea Adeline, les mains sur les hanches, la bouche grande ouverte.

David tournait sur lui-même, bras écartés.

— Je ne comprends pas. D’ici on domine le lit du torrent, et je n’ai rien vu de l’autre côté, sur la droite. Ni traces de pas, ni fumée de cheminée… Pourtant, on a parcouru largement plus d’un kilomètre !

Il réfléchit quelques instants.

— Vous savez ce qu’on va faire, on va s’écarter l’un de l’autre d’une cinquantaine de mètres, et revenir sur nos pas. Comme ça, on pourra couvrir un périmètre plus large. On se perd pas de vue, évidemment.

Adeline reprenait son souffle, elle acquiesça.

— J’ai une drôle d’intuition, ajouta David. J’ai l’impression que cette cabane, on ne la trouvera jamais.

— Je pense exactement la même chose… Pourtant, on peut pas s’être trompés !

— Je sais… Je n’y comprends absolument rien…

Il ouvrit la bouteille de whisky.

— Vous en voulez ? Ça réchauffe…

Elle haussa les épaules.

— Allez ! Tant pis pour l’asthme !

Elle colla ses lèvres sur le goulot et se mit à biberonner.

— Eh ! Doucement ! Doucement ! fit David en lui arrachant la bouteille des mains.

Elle grimaça puis gonfla les joues. David but à son tour.

— J’ai pas trop l’habitude de ces choses-là, lui dit Adeline. Mais si on reste dans ce chalet plus longtemps, je crois que je vais me mettre à picoler. Une certitude au moins, c’est qu’on ne mourra pas de soif.

Elle regarda autour d’elle.

— Cette forêt… j’ai l’horrible sentiment qu’elle nous retient prisonniers… Qu’elle ne nous laissera jamais partir… On dirait qu’elle se bâtit autour de nous, à chaque pas que nous faisons. C’est comme un cauchemar sans fin. Je… Je commence à flipper sérieusement…

David rie répondit pas. Adeline avait raison. Leur histoire, les paysages autour d eux, semblaient se construire, en ce moment même, comme jaillis d’un livre ouvert.

Son roman. Aussi fou que cela pût paraître, tout semblait provenir de son roman… Peut-être faudrait-il le brûler…

27

— Vous avez été longs ! s’écria Emma en ouvrant la porte. J’imaginais déjà le pire !

David et Adeline claquèrent les talons de leurs après-ski contre les rondins de la façade. D’une chiquenaude, Emma chassa de la neige amassée sur l’épaule du jeune homme, puis elle se serra contre lui. Il regarda Adeline avec une expression de surprise.

— Ce Franz ? Vous l’avez vu ? demanda-t-elle en relâchant son étreinte.

Alors qu’ils entraient, Arthur opéra une manœuvre pour s’éloigner de la cheminée et les rejoindre.

— Non, nous n’avons vu personne ! fit David. Arthur, vous…

Il fronça les sourcils.

— Où sont Cathy et Clara ?

Le son de sa voix déclencha des tambourinements acharnés au fond du couloir.

— David ! David ! David !

Cathy ne prononçait pas son prénom, elle le vomissait. David abandonna le fusil, la bouteille de whisky, et se précipita vers le corridor.

— N’oubliez pas ça ! conseilla Doffre en lui tendant la clé de la chambre. Et faites attention, elle est devenue hystérique !

David écarquilla les yeux et s’empara de la clé.

— Mais qu’est-ce que ça signifie ? Pourquoi les…

Il ne termina pas sa phrase.

L’évidence le percuta en pleine face.

Il s’était fait avoir.

Les empreintes d’Emma, dirigées vers le charnier, qu’il venait d’apercevoir à l’instant dans la neige… On était le cinq !

— Grin’ch ! Où est Grin’ch ? hurla-t-il.

Il vit Adeline se plaquer les deux mains sur la bouche. Arthur le fixait d’un air ironique tandis qu’Emma restait absolument impassible. Il jeta ses gants sur le plancher, se précipita dans le couloir. Le bois vibrait sous la violence des coups. Il plongea la clé dans la serrure.

Cathy était défigurée. Un monstre de larmes et de colère. Clara se faufila entre ses jambes et disparut vers le salon.

— Griche ! Griche ! Griche !

Draps arrachés, lit retourné, marques d’ongles sur les lambris. Par la fenêtre, au loin, une masse, toute rose et plus petite que les autres.

Des traînées grasses, sur les vitres. Empreintes de doigts.

David laissa tomber un regard plein d’effroi sur son épouse.

Cathy avait assisté à l’exécution. Elle avait vu Grin’ch se faire vider de son sang.

Dans un terrible grognement, la jeune femme poussa son mari aussi fort qu’elle le put et se fraya un passage vers la porte. Dans son poing droit, un scalpel.

— Sale garce ! Je vais te saigner !

David tenta de la stopper, mais dès que Cathy sentit la pression sur son poignet, elle frappa, par instinct.

Le sang gicla.

Une entaille, au niveau du pouce.

— T’approche pas ! vociféra-t-elle en agitant l’instrument tranchant.

Un démon l’habitait. Son blanc de l’œil était injecté.

Elle était partie pour tuer.

Emma s’était réfugiée dans un angle, ses bras squelettiques rabattus sur sa poitrine. Elle tremblait et semblait ne pas comprendre.

Adeline essaya d’intervenir, mais Cathy lui fît clairement saisir qu’elle devait rester à l’écart. Quand elle aperçut Doffre, elle hurla :

— Ne vous avisez pas d’approcher, espèce de fumier ! Ou je vous arrache votre prothèse ! Vous allez crever ici ! Je vous jure que vous allez crever ici, comme un chien !

Clara courait de pièce en pièce, le sourire aux lèvres, persuadée que le porcelet magique jouait une nouvelle fois à cache-cache.

— Griche ! Griche ! Griche !

Cathy s’approcha d’Emma, contrôlant les mouvements de chacun des autres autour d’elle.

— Mais calmez-vous ! supplia Emma. Que se passe-t-il ? Vous êtes malade ou quoi ?

— Vous avez raison, je suis cinglée ! Sacrément cinglée, même !

La lame siffla dans l’air, à dix centimètres du nez d’Emma.

— David ! Elle va me tuer !

— David ! Fais quelque chose ! ordonna Doffre.

Cathy se retourna, trop tard. Elle reçut un choc dans le dos, qui la propulsa sur le sol. Son mari l’écrasait, de tout son poids.

— Calme-toi ! Ma chérie ! Mais calme-toi, bon sang !

Elle se débattait dans tous les sens. Sa tête claqua contre le parquet, son arcade se mit à bleuir.

— Tu vas te blesser ! Mais arrête, putain !

David ne parvenait pas à l’immobiliser. Elle se cabrait, rageait, mordait dans le vide.

Elle hurla plus fort encore quand une aiguille se planta dans son mollet.

— Qu’est-ce que vous faites ! brailla David.

Le vieil homme était penché vers l’avant, une seringue entre l’index et le majeur.

— Un calmant. Elle risque de se faire très mal, et aussi aux autres. Tout va bien se passer. Elle restera tranquille deux petites heures…

Arthur avait un visage incroyablement serein.

— Espèce d’enfoiré ! cracha Cathy. Enfoiré ! Enfoiré ! Enfoiré ! Tous des enfoirés ! Même toi, David !

Des bulles vinrent mousser sur ses lèvres. Elle se mit à pleurer, alors que ses muscles se relâchaient, que son corps ne se soulevait plus que par à-coups nerveux. David la maintint fermement par les poignets jusqu’à ce qu’elle s’immobilise. À présent, il lui caressait la joue. Il était plein de colère, de honte, d’indignation. Adeline s’était agenouillée à leurs côtés.

— Mon Dieu, supplia-t-elle. Pourquoi ? Je veux comprendre !

David se leva et brandit le poing. Il allait frapper sur cette gueule pisseuse, pitoyable. Lui arracher un à un les membres, les dévorer, au point de s’éclater la panse d’une overdose de plastique.

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