Franck Thilliez - La forêt des ombres

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Arthur Doffre, milliardaire énigmatique, est sur le point de réaliser un rêve vieux de vingt-cinq ans : ressusciter un tueur en série, le Bourreau 125, dans un livre. Un thriller que David Miller, embaumeur de profession et auteur d'un premier roman remarqué, a un mois pour écrire contre une forte somme d'argent.
Reclus dans un chalet en pleine Forêt-Noire, accompagné de sa femme et de sa fille, de Doffre et de sa jeune compagne, David se met aussitôt au travail. Mais il est des fantômes que l'on ne doit pas rappeler… « Huis clos oppressant, suspense diabolique, plongée violente dans les tréfonds de l'âme humaine. »
Olivier Delcroix —

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Il s’adressa à Arthur :

— Emma va m’accompagner, puisqu’elle parle allemand.

— Vas-y et je te quitte sur-le-champ ! hurla Cathy.

— Emma est encore très fatiguée, fit Doffre de sa voix mielleuse que Cathy ne supportait plus. Adeline va y aller avec toi, elle se débrouille en allemand.

— Vous pourriez la laisser se décider toute seule ! s’emporta Cathy.

Elle se tourna vers David.

— Tu veux y aller ? Si c’est ça, je viens avec toi !

Elle se précipita vers le portemanteau, tout en continuant à râler :

— Ah, j’oubliais ! Il y a des lynx dehors ! Trois beaux lynx, qui sont venus faire patte folle avec le merle. Et puis, on nous a observés cette nuit. L’espèce de taré qui s’amuse à nous effrayer depuis le début ! Mais je suppose qu’on s’en fiche ?

— Les lynx ne sont pas vraiment un problème, expliqua Arthur. Ils ne chassent…

— Que la nuit, je sais ! Pourtant, spécialement pour nous, je les sens bien s’octroyer une petite exception !

Les mots sortaient de sa bouche en un flot amer. Excédé, David ne cherchait même plus à l’excuser. Cathy était devenue comme ça . La chieuse de service.

— Je suis d’accord pour me joindre à vous, ajouta Adeline d’un ton peu assuré. Juste le temps de me couvrir. Mais je vous préviens, mon allemand, c’est une catastrophe. J’ai appris sur le tard… Disons qu’avec le langage des signes, on devrait se débrouiller…

— Très bien ! Allez-y tous les trois, c’est mieux, confirma Arthur.

— Mais oui… à trois, c’est drôlement mieux ! rétorqua Cathy.

Ce n’est que lorsqu’elle vit Emma entrer dans le salon qu’elle réalisa l’erreur qu’elle était en train de commettre. Elle ôta lentement la parka qu’elle venait d’enfiler.

— Et puis non ! Allez-y tous les deux !

— Peut-on savoir ce qui vous fait changer d’avis ? lui demanda le vieil homme.

— Clara va se surveiller toute seule ?

Doffre plissa légèrement les paupières, un horrible rictus leva une partie de sa lèvre supérieure. David soupira, désespéré devant l’arrogance de son épouse.

— Je peux la garder, proposa Emma d’un ton très doux. Au moins je me rendrai utile. J’ai toujours aimé les Kinder .

Elle perdit sa bonne humeur quand Cathy s’avança vers elle.

— Vous, retournez dans votre chambre bouger vos meubles et fichez-nous la paix ! Les Kinder , c’est ça ! Pour rien au monde je ne vous laisserai ma fille ! Pour rien au monde, vous m’entendez ?

— Dreckskerl !

Cathy se retourna vers Adeline.

— Qu’est-ce qu’elle a dit ?

La rouquine haussa les épaules.

— Ça suffit, bon sang ! cria David en claquant du poing sur la table. On dirait des ados dans une colonie de vacances ! Tu arrêtes maintenant Cathy !… Bon, Adeline, allons-y !

Il se dirigea vers le salon, rapidement suivi par les autres. Il s’approcha de la cheminée, décrocha avec précaution le fusil de son présentoir et s’assura qu’il était chargé.

— Hors de question de l’utiliser, se justifia-t-il pour prévenir les commentaires. Je compte juste le cacher derrière un tronc, à proximité de la cabane, au cas où…

— Au cas où quoi ? s’emporta Adeline. Vous ne l’utiliserez pas ? Alors laissez-le ici ! Si vous prenez ce fusil, je reste !

— C’est quoi, votre problème, à vous ? répliqua-t-il sèchement, incapable de se contenir.

Il hésita longuement, dévisageant tour à tour Emma, Doffre, Adeline, Cathy. Il s’apprêtait finalement à reposer le Weatherby Mark, quand son mouvement s’interrompit net.

Une intuition.

Il ramena l’arme devant ses yeux et la considéra sous toutes ses coutures. Canon, pontet, fût, lunette et…

Accélération de son rythme cardiaque.

Ce fut à droite de la crosse qu’il le dénicha, gravé dans l’étain, minuscule.

Le numéro de série.

Identique aux cinq chiffres définitivement imprimés dans son cortex. 9-8-1-0-1.

Le nombre tatoué à l’encre noire sur le crâne du quatrième enfant.

Livide, il fixa Arthur, ne notant pas la moindre réaction sur son visage de rides, puis empoigna fermement le Weatherby.

Le fusil dans une main, la bouteille de Chivas dans l’autre, il se dirigea vers la porte.

— Allons-y, il faut crever l’abcès… répéta-t-il.

25

— Je suis bien contente de ne pas être allée à l’enterrement, tout compte fait. La grand-mère Marmelade, je la détestais… Elle m’a toujours dit que j’étais une… bâtarde. Que ma mère avait été… mise enceinte avec un autre homme que mon père. C’était une méchante femme. Elle a dû mourir seule, comme un Ratte . Si un jour je retourne à Pforzheim, ce sera uniquement pour cracher sur sa tombe.

Emma se parlait à elle-même, assise en tailleur devant la cheminée. Parfois ses doigts effleuraient sa bouche, comme pour y déposer une cigarette invisible.

Elle tournait le dos à Cathy, qui ne l’écoutait pas. Quelques mots seulement, par-ci, par-là, venaient frapper ses oreilles. Marmelade… enceinte… méchante femme…

Le regard absent, la jeune maman manipulait la tétine croquée par Grin’ch. L’objet de plastique allait puis venait entre ses phalanges nerveuses. Elle l’écrasait, le malaxait, le fixait sans le voir. Elle le serra très fort dans son poing, imaginant déjà Grin’ch dans le petit enclos qu’elle construirait sur le côté de la terrasse, à la maison, dès que les beaux jours reviendraient. Elle était sûre que Siméon et Toupie l’adopteraient illico .

Oui, Grin’ch repartirait avec eux. Et ce salaud de Doffre pourrait aller se faire foutre.

« À mon tour de jouer avec toi, vieux con », songea-t-elle en serrant les dents.

Elle resta longtemps à ruminer ainsi son amertume. Lorsqu’elle s’échappa de ses pensées, bien plus tard, elle s’aperçut qu’Emma et Clara n’étaient plus là.

Panique.

La première image qui lui traversa l’esprit fut celle de sa fille pendue, la poitrine éventrée, boyaux débordants, dans le charnier puant. Elle se précipita dans le couloir, beuglant à tue-tête le prénom de son enfant.

La porte de la chambre d’Emma était ouverte… Et Clara, assise sur le lit, observait calmement la jeune allemande occupée à ajuster le drap qui lui servait de rideau et qui dissimulait l’horrible spectacle. Par terre, un des scalpels du laboratoire avec lequel elle venait de découper le tissu.

« Tu es en train de virer complètement barge », pensa Cathy.

— Ma puce ! Viens vite me voir !

La pièce avait été entièrement réorganisée. Le lit se trouvait à l’opposé de sa place initiale, la commode au niveau de la porte.

— Vous pouvez la laisser, elle ne me dérange pas, dit Emma en ramassant l’instrument tranchant pour le poser sur le rebord de la fenêtre. C’est une gentille petite gamine.

— Je préfère la savoir avec moi. Les enfants ont parfois des réactions imprévisibles.

— Pas plus que certains adultes… Tant que vous êtes là, vous pouvez m’aider ? J’ai besoin que vous tenez le drap, le temps que je redécoupe.

Sa lèvre n’avait pas dégonflé. Les « s » sortaient de sa bouche comme des « f », lourds et pâteux.

— C’est si gentiment demandé, répliqua sèchement Cathy.

Elle maintint le tissu comme le lui indiquait Emma.

— Oui, un peu plus à droite, là, c’est très bien… Vous savez… Pour l’histoire, avec David…

— Je ne veux pas en parler.

— C’est lui qui a ouvert la porte et qui est entré dans ma chambre. J’ignore ce qu’il vous a raconté, mais quand je me suis réveillée, il me Streicheln … euh… caressait. Je crois que… qu’il ne s’attendait pas à… mon réveil…

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