Elle tend l’oreille, espérant une réponse qui ne vient pas.
Qui ne viendra jamais.
— Dis-moi que tu as peur, toi aussi, supplie Jessica à voix basse.
*
— Qu’est-ce qu’il y a, ma douce ? demande Patrick.
Sandra se tient à l’entrée de la cuisine où il prend son petit déjeuner. Il daigne enfin tourner la tête vers elle et découvre son visage. Transfiguré par l’appréhension.
— Qu’y a-t-il ? répète calmement Patrick.
— Elle est morte.
Papa s’essuie la bouche et plie sa serviette en six avant de la poser juste à côté de son bol de café.
— Qui est morte ?
Sa voix est une longue coulée de givre. Sandra cache ses mains derrière son dos.
Ses mains qui tremblent.
— Aurélie.
— Tu l’as trouvée morte en entrant dans la chambre ?
Il la fixe désormais droit dans les yeux. Impossible de lui mentir.
— Non.
— Alors, comment est-elle morte ?
— Je… Elle…
— Prends ton temps, ma douce. Prends ton temps.
— Elle s’est débattue pendant la douche et elle m’a sauté dessus… Je l’ai repoussée, elle s’est brisé le cou sur le rebord de la baignoire.
Patrick s’approche de Sandra, pose une main sur son épaule.
— Donc, c’est toi qui l’as tuée ?
Sandra ne peut presque plus parler, étranglée par une frayeur sans nom.
— Je n’ai pas fait exprès ! Elle était comme folle, elle m’a mordue !
Elle tire un peu sur la manche de son tee-shirt pour lui montrer les traces de l’attaque. Pour lui prouver qu’elle n’a pas pu faire autrement que se défendre. Mais il ne s’intéresse pas à sa blessure, continue à la fixer droit dans les yeux.
— Ce n’est pas ma question. Ma question, c’est : est-ce que c’est toi qui l’as tuée ?
Il s’exprime toujours avec un calme olympien. Pourtant, Sandra discerne les premiers signes de sa colère. Un tic qui agite sa paupière gauche.
— Oui, avoue Sandra dans un murmure.
— Et est-ce que je t’avais demandé de le faire ? poursuit papa.
— Non. Je suis… désolée.
— Tu es désolée ?
Patrick enlève sa main, retourne finir son petit déjeuner.
— Et pourquoi n’es-tu pas venue me le dire plus tôt ?
— Je… je suis allée m’occuper des chevaux ensuite, prétend-elle.
Elle s’est terrée un long moment dans l’écurie, en compagnie de ses fidèles animaux. Eux qui sentent si bien sa détresse. Eux qui savent si bien la réconforter.
Elle y est restée une bonne heure, le temps de trouver la force de lui avouer sa faute.
— Je dois y aller, ajoute-t-elle.
— Aller où ? demande Patrick en aspirant son café.
— Travailler.
— Tu n’iras pas. Pas aujourd’hui.
— Mais…
Il tourne à nouveau la tête vers elle.
— J’ai dit que tu n’iras pas. C’est clair ?
— Pourquoi ?
Patrick pose son bol de café, revient près d’elle.
— Parce que tu n’es pas en état. Je ne veux pas qu’on te voie comme ça au village…
— Qu’on me voie comment ? s’étonne-t-elle.
Le coup de poing l’atteint en plein visage, elle s’écroule à ses pieds.
Du sang coule de sa narine gauche, suit le contour de sa bouche.
— Qu’on te voie dans cet état, ajoute Patrick.
Il s’accroupit à côté d’elle, serre une main sur sa gorge.
— Il faudra quelques jours pour que ça passe.
Enfin, il l’abandonne et va se laver les mains au robinet de l’évier.
Lorsqu’il repasse devant elle, il ne ralentit même pas.
— Tu as de la chance, murmure-t-il. De la chance que ce soit Aurélie… Elle, je m’en suis déjà servi.
Sandra ne pleure pas. Elle attend les prochains coups avec résignation.
Mais il n’ira pas plus loin aujourd’hui.
— Si ça avait été Jessica, je crois que j’aurais pu devenir méchant…
10 h 30
— C’est lui qui t’a frappée ?
Sandra fait mine de n’avoir rien entendu. Alors Raphaël revient à la charge, tandis qu’elle ôte la compresse de son œil gauche.
— C’est ton cher mari qui t’a cognée ?
Elle a des gestes un peu brusques, il pousse un râle de douleur.
— Pourquoi tu le laisses te traiter comme ça ?
— La ferme ! Tu ne m’as pas frappée, toi, peut-être ?
— Moi, c’est différent, prétend le braqueur. Moi, je ne suis pas ton mari…
Sandra applique un peu de pommade sur la cornée, Raphaël grimace.
— Pourquoi tu restes ici, avec lui ? Pourquoi tu ne t’enfuies pas ?
— Il est tout ce que j’ai.
— Alors tu n’as rien. Vraiment rien…
Il voit sa bouche se crisper, signe qu’il vient de lui faire mal. Elle appose une nouvelle compresse sur son œil, range le matériel dans sa trousse.
Raphaël lui balance un sourire perfide.
— Ça fait combien de temps que tu as épousé ce fils de pute ?
— Qu’est-ce que ça peut te foutre ?
Elle débouche une bouteille d’eau et approche le goulot des lèvres de Raphaël. Il boit quelques gorgées, manque de s’étrangler. Elle reste quelques secondes devant lui, ils se dévisagent. Puis avec le doigt, elle lui essuie délicatement les lèvres.
Ce geste le surprend.
Depuis le début, cette femme le surprend. Mélange de dureté, de fragilité.
Un monstre, c’est certain. Et pourtant…
— Tu mérites mieux que ce malade, murmure le braqueur.
— Tais-toi, tu ne sais rien.
— Si, je sais que tu te rends complice d’un viol d’enfant. Et bientôt d’un meurtre d’enfant. Tu sais ce que tu risques ? La perpétuité, Sandra. Et tu sais comment c’est dedans ? C’est l’enfer absolu…
Elle se relève, le défiant du regard.
— Je connais l’enfer absolu.
Elle fait boire William à son tour.
— Pourquoi t’a-t-il frappée ? s’acharne encore Raphaël. Tu as mal dosé son café ? Ou mal repassé sa chemise, peut-être ?!
Elle se retourne, le fixe avec rage.
— J’ai tué une de ses filles.
Un silence de plomb s’abat dans la pièce. Mais il ne dure que quelques secondes.
— Tu te fais du souci pour elle, champion ?
La voix de Patrick les fait sursauter tous les trois. Ils ne l’avaient pas entendu arriver dans le couloir.
Sandra se hâte de regrouper ses affaires et se dirige vers la sortie.
— Je rentre, dit-elle comme si elle présentait ses excuses.
— Non, tu restes ici.
Elle se fige sur le seuil tandis que Patrick s’approche de Raphaël, lui tourne autour, cherchant le meilleur angle d’attaque.
— Tu fais quoi, là ? Tu veux influencer Sandra ? Tu crois que tu peux la décider à me tourner le dos ? Tu crois que tu as ce pouvoir ?
Papa s’accroupit face au braqueur, réajuste ses lunettes.
— Tu n’as aucun pouvoir. Tu es de la vermine dans ma cave. Rien d’autre.
— Je vaux toujours mieux que toi.
Patrick lui sourit.
— Sandra est à moi. Personne ne pourra me l’enlever.
Il va se poster devant la fenêtre, contemple le paysage un moment.
Des semaines à préparer l’enlèvement et il n’aura même pas le plaisir de la tuer. De finir ce qu’il a commencé.
La colère bat dans son ventre, il faudra qu’elle sorte. Qu’elle explose.
— On va aller se dégourdir les jambes, mes amis, annonce-t-il avec un sourire cruel.
Les deux frères échangent un regard chargé d’angoisse. Et d’espoir.
Chaque pas dehors est une chance de retourner la situation.
Patrick sort le colt de la poche de son blouson, le braque sur Raphaël.
— Prends mon couteau et détache les chevilles du petit frère, ordonne-t-il à Sandra.
Elle récupère le cran d’arrêt et s’exécute.
Читать дальше