Elle s’installe devant son ordinateur, répertorie sur l’annuaire les différents gîtes de Saint-Martin-Vésubie. Puis elle les contacte, un par un. La troisième tentative est la bonne. François loge bien là, sous son vrai nom. Elle note l’adresse, imprime le plan, se met à réfléchir. Y aller tout de suite ou attendre qu’il la rappelle ?
Finalement, elle se rue dans la chambre, récupère une valise sur le haut de l’armoire, y enfourne pêle-mêle quelques vêtements, des affaires de toilette et redescend en quatrième vitesse au rez-de-chaussée. Autant ne pas courir le risque qu’il disparaisse à nouveau. Elle ferme les volets roulants, éteint les lumières. Elle empoigne sa valise, sort sur le perron. Là, elle tombe nez à nez avec un homme qui s’apprêtait à sonner. Elle a un mouvement de recul.
— Bonjour, madame. Capitaine Perrot, police judiciaire. Désolé de vous avoir fait peur…
Il brandit sa carte tricolore, la remet instantanément dans sa poche.
— J’aimerais parler à François Davin, s’il vous plaît.
— Il n’est pas là.
— Savez-vous où il se trouve ?
Florence hésite un instant.
— Qu’est-ce que vous lui voulez ?
— Nous savons qu’il a pris quelqu’un en stop. Or cet homme est un délinquant recherché par la police, madame. Nous avons donc toutes les raisons d’être inquiets pour M. Davin. Vous comprenez, son passager est dangereux…
— Dangereux ?
— Oui. C’est un criminel. Il faut que vous me disiez où le trouver.
— J’allais justement le rejoindre.
— Vraiment ? Savez-vous si l’auto-stoppeur est encore avec lui ?
— Oui, ils sont ensemble.
Elle lui tend le morceau de papier où elle a noté les coordonnées du gîte.
— Parfait, je vous remercie, madame.
— Vous allez vous y rendre ?
— Je vais envoyer une équipe là-bas. Il faut que nous mettions la main sur ce type…
— Et François ? Il n’aura pas d’ennuis ?
— Non, madame. Nous n’avons rien à lui reprocher. Il ne pouvait pas savoir !
— Il a subi un choc, récemment. Il ne faut pas le malmener.
— Ne vous inquiétez pas, il n’y aura aucun problème… Tout se fera en douceur.
— Je serai sur place, de toute façon… Je pars tout de suite, j’arriverai dans la nuit.
Elle se retourne pour fermer la porte à clef, sent soudain quelque chose se ficher dans ses reins.
— Rentre ! ordonne le policier.
— Mais…
— Discute pas ! Rentre.
Florence pousse la porte, ils se retrouvent dans le salon.
— Assieds-toi sur le canapé.
Elle s’exécute, pétrifiée par la vision du canon pointé dans sa direction. Le policier prend en main la bouteille de whisky pleine aux trois quarts.
— C’est du bon, on dirait…
Puis il contourne le sofa et se penche vers Florence.
— Je te sens crispée, murmure-t-il à son oreille. Détends-toi.
Sa voix est lisse et froide, Florence frissonne.
— Tu as besoin de repos, ajoute-t-il. Dormir te fera le plus grand bien…
* * *
Perrot remonte dans sa voiture banalisée garée sur le bord de la route et allume une cigarette. À l’aide de son briquet, il brûle le petit morceau de papier sur lequel il avait noté la plaque d’immatriculation de la BMW de Davin, puis son adresse, et le balance sur la route.
Il compose ensuite le numéro de Gustave Pelizzari sur son portable. Le Vieux décroche aussitôt.
— Bonjour monsieur, Perrot à l’appareil.
— Tu l’as retrouvé ?
— Oui. Je viens d’obtenir l’adresse où ils se planquent par la copine de l’avocat… C’est pas très loin de Nice, à Saint-Martin-Vésubie.
Gustave réfléchit quelques instants.
— Il faut que tu y ailles, dit-il finalement.
Perrot soupire discrètement.
— Je suis dans le Nord, rappelle-t-il. Très loin de Nice… Vraiment très loin.
Déjà qu’il vient de se taper la route entre Lyon et Lille, il n’a pas la moindre envie de retraverser le pays dans l’autre sens…
— Je me fous de savoir où tu es, gronde Pelizzari. Mes fils sont bloqués à Genova… Ils ne pourront pas être là-bas avant demain matin. Et je n’ai pas envie que ce petit salopard nous file entre les doigts.
Perrot serre les mâchoires et jette son mégot par la vitre ouverte.
— Tu pars immédiatement, ordonne Gustave. Une fois sur place, tu les surveilles, mais tu n’interviens pas. C’est compris ?
— C’est compris, monsieur.
* * *
Lorsque Paul regagne le gîte, le crépuscule grignote déjà le ciel. Il trouve François dans la pénombre, échoué sur son lit.
— Ça va mieux ? s’enquiert-il d’un ton enjoué.
— Qu’est-ce que ça peut te foutre ?
Le visage de Paul se contracte.
— T’as passé une bonne journée ? Je t’ai pas trop manqué ? enchaîne Davin.
— Ah… T’aurais voulu que je rentre plus tôt, c’est ça ? Mais tu dormais, alors c’était pas la peine.
— J’aurais pu crever, c’était pareil !
Paul soupire en s’asseyant sur le lit d’à côté. Il a l’impression d’être face à un père possessif, se sent soudain étouffer.
— Tu vas me faire une scène ?
François se renfrogne, tournant la tête de l’autre côté.
— Je suis allé me balader dans la vallée ; ensuite, je me suis arrêté au village pour boire un café… Au bar, j’ai fait la connaissance d’une nana super sympa. Canon, en plus ! Je lui ai dit que j’étais avec un pote et… On est invités à dîner, ce soir. Elle organise une petite fiesta chez elle.
François le toise soudain avec férocité.
— Invités ? T’as fait ton numéro de gigolo ?
Paul se lève, l’air excédé.
— Gigolo ? C’est nouveau, ça… J’ai juste lié connaissance avec une fille et t’en fais tout un plat… T’es vraiment chiant !
Il migre vers la cuisine, François le suit. Décidé à vomir sa détresse sur son souffre-douleur du moment.
— Je suis chiant ? Sauf pour payer tes repas et tes fringues, hein ?
— Je t’ai rien demandé, rappelle Paul. C’est toi qui étales ton fric comme si t’en avais à revendre !
— T’es bien content de le trouver, mon fric !
— Rien à foutre de ton blé ! s’emporte le jeune homme. Tu peux te le mettre au cul ! D’ailleurs, tu me laisseras une adresse et dès que je serai à Marseille, je te rembourserai tout ce que t’as dépensé pour moi ! Avec des intérêts si tu veux.
— Ah oui ? Comment comptes-tu y arriver ? Tu vas braquer une banque avec ton calibre ? Ou piquer le sac des vieilles ?
Le jeune homme serre les poings.
— C’est ça, ton plan pour gagner du fric ? continue Davin. À moins que tu te mettes sur le trottoir !
François regrette instantanément d’être allé aussi loin. Face aux yeux gris étincelants de colère mais aussi de tristesse, il se trouve soudain ridicule.
— Pour qui tu me prends ? murmure Paul. Tu crois que je braque les vieilles ? Tu crois que je vends mon cul ? Et quoi encore ?
— Excuse-moi… Je sais pas ce que j’ai. Excuse-moi, vraiment.
Paul allume une Marlboro, se poste devant la fenêtre, tournant le dos à son adversaire.
— Ça va, reprend François. Je m’excuse, je te dis. Je pense pas un mot de ce que je t’ai dit. Tu as bien fait de profiter de ta journée…
Mais Paul s’est retranché dans le silence, profondément blessé. Sans crier gare, il bouscule François pour se rendre dans la chambre. Là, il commence à rassembler ses quelques affaires tandis que Davin l’observe, appuyé contre le chambranle de la porte.
— Qu’est-ce que tu fous ?
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