— Roule ! Direction Rungis.
J’avais vu juste. Les dépôts de boissons. J’accélérai de plus belle. La circulation tenait du miracle, alors que les voies en sens inverse étaient à l’arrêt.
— Il ralentit…, souffla Estreda. Il… Il sort. ZA Delta. Vers les halles.
Je connaissais la route : j’étais déjà venu dans ce « marché d’intérêt national ». Je franchis le péage et me trouvai confronté à une batterie de panneaux : HORTICULTURE, MARÉE, FRUITS ET LÉGUMES… Je pilai et saisis mon cellulaire :
— Où est-il ? Donne-moi au moins l’orientation !
— C’est la merde. Mon signal ne bouge plus.
— Il s’est arrêté ?
— Non. Mais il y a plusieurs bornes satellites à Rungis. Elles sont souvent saturées.
— Et alors ?
— Et alors, ton mec avance peut-être encore, mais son signal reste sur la même borne, les autres ne pouvant pas le choper. Il y a un système qui dispatche les appels en cas de…
— Merde !
Je frappai mon volant. Je me voyais déjà sillonner l’immense zone marchande et ses allées, en quête de la bécane de Doudou.
— C’est bon, soufflai-je, je me démerde.
— T’es sûr que…
— Rappelle-moi si le signal bouge.
— Te rappeler ? Mais c’est ton portable qu’on a…
— On m’en a prêté un autre. Le numéro doit s’afficher sur ton écran.
— O.K, je… Attends : j’ai une nouvelle borne !
— Vas-y.
— Celle du Rond-point des Halles, pas loin de la porte de Thiais. Je compris qu’Estreda connaissait les lieux. Il confirma :
— Rungis, c’est chez nous, mon pote. Nos camions s’y rendent chaque jour.
— Tu connais un bloc spécialisé en boissons dans ce coin ?
— Pas un bloc, non, mais il y a la Compagnie des Bières. Un entrepôt de brasseurs, rue de la Tour. Je passai la première, brûlant mes pneus en un crissement strident.
La moto de Doudou était stationnée devant l’entrepôt.
Je stoppai à cinquante mètres, coupai le moteur, attendis. À cette heure, les allées étaient désertes. Cinq minutes plus tard, le flic se matérialisa sur le seuil, accompagné d’un gros bonhomme en survêtement Adidas. Je reconnus le gaillard — un brasseur dont le nom m’échappait, dirigeant d’importantes livraisons de bière dans plusieurs arrondissements de Paris.
Il lança un regard autour de lui, le front plissé — il semblait pressé de se débarrasser de son visiteur. Doudou avait l’air survolté, prêt à péter un câble. Le brasseur plongea une main dans sa poche de veste et en sortit une enveloppe épaisse. Doudou la glissa sous son blouson, balançant à son tour un coup d’œil circulaire.
Je me tassai sur mon siège, attendant qu’ils aient fini leur manège. Je dégainai, armai ma culasse puis attrapai une paire de menottes dans la boîte à gants. Le gros disparut dans le hangar tandis que Doudou rejoignait sa moto. Le temps qu’il me tourne le dos pour enfiler son casque, je bondis et courus vers lui, flingue contre ma jambe. Il tenait son casque à deux mains au-dessus de la tête quand je lui enfonçai le canon de mon HK dans la nuque. Je murmurai :
— Bouge pas, mon salaud. C’est comme ça que je t’aime.
Ayant reconnu ma voix, Doudou ricana :
— Jamais t’oseras.
D’un coup de pied, je le fauchai aux jambes. Doudou s’écrasa au sol, son casque claqua sur le bitume. Il se retourna en hurlant. Je lui plantai mon automatique sous la gorge :
— Tu parierais sur ça ?
Je lui balançai un coup de crosse sur la carotide. Il eut un sursaut et vomit. Je l’empoignai par le col, sentant sa bile me brûler la main, et le fracassai contre le trottoir, tête la première. Son nez se brisa net. Encore une fois, j’endossais le costard que je haïssais le plus : le flic violent.
Je palpai son blouson, trouvai l’enveloppe, trempée de vomi. Dix mille euros, au bas mot. J’empochai le magot et plaquai le flic sur le ventre, d’un coup de talon dans les reins. J’avais déjà mes menottes en main. Je fermai les pinces dans son dos. Il grogna : « Enculé ! » J’attrapai son automatique, le glissai dans ma ceinture puis tâtai les jambes de son jean. À sa cheville droite, un autre holster. Un Glock 17, le plus discret de la série. Je l’enfournai dans ma poche.
— C’est le moment de passer à confesse, mon canard.
— Va t’faire mettre !
Je l’attrapai par les cheveux et le mis debout. D’un coup de pied dans le cul, je le poussai à l’intérieur du bâtiment. Un vaste hangar, rempli de cageots en plastique et de tonneaux en acier. Les hommes qui pilotaient les fenwicks se figèrent. Je cherchai nerveusement dans ma poche ma carte de flic.
— Police ! C’est l’heure de la pause. Tirez-vous ! Tous !
Les manutentionnaires ne se firent pas prier. Les derniers pas résonnaient sur le seuil quand je murmurai à Doudou :
— Tu connais les règles. Soit tu parles et tout est fini dans deux minutes, soit tu fais le con et on se la joue musclé. Avec ce que j’ai en poche, tu risques pas d’aller pleurer à l’IGS…
Doudou ricana, le visage en sang :
— Putain, t’es toujours là ? J’t’ai dit d’aller t’faire mettre !
Je partis fermer la grande porte. Doudou gémit :
— Qu’est-ce que tu fous ?
Sans répondre, je bouclai la paroi et revins vers lui. Je l’empoignai par le colback et lui enfonçai la gueule entre deux futs d’acier. Je contournai les tonneaux et me plantai devant lui, de l’autre côté. Je hurlai, comme face à un sourd :
— Ça va, tu m’entends ?
Doudou cracha du sang et éructa quelques mots inintelligibles. Je tirai une balle, à bout portant, dans le fut de droite. La bière jaillit à mes pieds alors que la balle sifflait.
— Tu m’entends, là ?
L’expression du flic était déformée par la douleur. Je visai le baril de gauche et tirai à nouveau. Jet doré. Sifflement suraigu. Les tympans de Doudou avaient peut-être déjà éclaté. Je me plaçai à quelques centimètres de lui :
— Tu m’entends toujours pas ?
Le flic ne pouvait même plus crier. Sa face n’était qu’un rictus de terreur. Je saisis sa tignasse et lui redressai le visage :
— Tu vas répondre à mes questions ou je vide mon chargeur dans ces putains de tonneaux !
Doudou secoua la tête. Impossible de dire s’il capitulait ou s’il me provoquait encore. Je rengainai et sortis l’enveloppe de ma poche :
— Ça, c’est quoi ?
Le flic ouvrit la bouche. Du sang tomba dans la mare mousseuse. Il bégaya :
— Mec, ça… ça craint pour moi… y faut… y faut que j’me casse.
— Pourquoi ?
Des larmes coulaient le long de ses joues. Je me donnais moi-même envie de vomir mais les vapeurs de bière anesthésiaient mon propre dégoût.
— Qu’est-ce que tu crains ?
— Les Bœufs… Y vont enquêter sur Larfaoui… Ils vont découvrir nos combines…
— T’es impliqué dans sa mort ?
— NON ! Putain… Sors-moi la tête de là…
J’écartai les tonneaux. Sa tête fit « splash ! » dans la flaque. J’attrapai ses menottes et le tirai violemment en arrière pour l’asseoir.
— Je veux toute l’histoire. Larfaoui. Son meurtre. Le rôle de Luc et le tien dans ce merdier.
— Avec Larfaoui, on avait un deal…
— « On » : c’est qui ?
— Moi, Jonca, Chevillât. On décrochait des licences pour le bougnoule. On passait chez les cafetiers, on jouait les gros bras pour bien montrer que Larfaoui avait un pied chez les keufs. On fermait les yeux sur des clandés…
— Le meurtre de Larfaoui, vous êtes impliqués ?
— Non, j’te dis ! On y est pour rien !
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