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Caryl Férey: Plus jamais seul

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Caryl Férey Plus jamais seul
  • Название:
    Plus jamais seul
  • Автор:
  • Издательство:
    Éditions Gallimard
  • Жанр:
  • Год:
    2018
  • Город:
    Paris
  • Язык:
    Французский
  • ISBN:
    978-2072757914
  • Рейтинг книги:
    4 / 5
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Premières vacances pour Mc Cash et sa fille, Alice. L’ex-flic borgne à l’humour grinçant — personnage à la fois désenchanté et désinvolte mais consciencieusement autodestructeur — en profite pour faire l’apprentissage tardif de la paternité. Malgré sa bonne volonté, force est de constater qu’il a une approche très personnelle de cette responsabilité. Pour ne rien arranger, l’ancien limier apprend le décès de son vieux pote Marco, avocat déglingué et navigateur émérite, heurté par un cargo en pleine mer. Pour Mc Cash, l’erreur de navigation est inconcevable. Mais comment concilier activités familiales et enquête à risque sur la mort brutale de son ami? Caryl Férey s’est fait connaître en 2008 avec , récompensé entre autres par le Grand Prix de littérature policière, le prix Quais du Polar / 20 minutes, le Grand Prix des lectrices de Elle, et adapté au cinéma en 2013. Avec et , il a emmené ses héros partager les turpitudes du continent sud-américain. Mais entre deux voyages, c’est en Bretagne qu’il vient se ressourcer en compagnie du tonitruant Mc Cash. Biographie de l'auteur

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— Un pétrolier sans doute, répondit-il, ou un cargo de nuit… Avec le trafic qu’il y a dans la zone du naufrage, c’est un peu le hérisson qui traverse l’autoroute.

— Tabarly aurait bouffé son rafiot pour courir avec Kerouan, renvoya Mc Cash. Il avait cinq tours du monde dans les pognes, convoyé des dizaines de voiliers sur toutes les mers du globe: il n’aurait jamais traversé le rail comme un hérisson.

Mc Cash avait laissé sa fille sur la plage voisine, prétextant une panne de tabac: une colère sourde perlait de son regard.

— Votre ami était un marin chevronné, tempéra l’employé du port, mais Tabarly aussi est mort bêtement.

— Sauf que Kerouan, on n’en sait rien. Vous avez des détails?

L’homme qui lui faisait face avait une courte barbe rousse, un polo vert troué et le nez nécrosé des Alcooliques anonymes. Il consulta son registre.

— Kerouan est parti de Grèce aux alentours du 10 juin, dit-il bientôt, à bord d’un voilier qu’il venait d’acheter pour le ramener au port d’Audierne, où il a son ponton. On l’attendait en Bretagne vers le 30 mais il n’est jamais arrivé. Des avions ont survolé la zone présumée du naufrage sans rien trouver, jusqu’à hier matin, quand ils ont repéré l’étrave d’un voilier qui flottait au large d’Alicante. Un expert a certifié les clichés: il s’agit du même voilier, en tout cas le même modèle… Vu ce qu’il restait de l’épave, il est probable que votre ami ait percuté un navire marchand. Il en passe des dizaines toutes les nuits.

— Raison de plus pour se méfier.

— Kerouan était seul à bord d’après sa femme, fit Barbe-Rousse dans un haussement d’épaules, il a dû être surpris durant son sommeil.

Une ombre glacée passa sur le visage du borgne: la masse énorme du cargo, sa coque d’acier qui perfore la cloison, la voie d’eau, Marco expulsé de sa couchette, écrasé, broyé par le rouleau compresseur, aspiré, l’instant de panique dans la cabine inondée, le froid, le monstre qui n’en finit pas de mâcher sa pauvre coque de noix, ses derniers gestes de survie, sa dernière pensée… Un cargo l’avait envoyé par le fond, aux bulots, comme dans ses pires cauchemars.

— Tout a dû se passer très vite, renchérit l’employé comme s’il devinait ses pensées macabres.

— Il vaudrait mieux pour lui, oui…

Dents serrées, cœur bouilli, Mc Cash était toujours sous le choc.

— Oui, c’est triste, compatit Barbe-Rousse. Je ne connaissais pas beaucoup Kerouan mais je le croisais de temps en temps sur les quais. Il avait son bateau au ponton, comme je vous ai dit. Un gars qui disparaît en mer, c’est toujours moche, surtout pour la famille. Il avait une femme et une gamine de quatre ans; si c’est pas malheureux…

Mc Cash resta de marbre. Il ne savait pas que Marco s’était marié, qu’il avait un enfant. Trop d’années sans se voir.

— Le navire qui l’a percuté ne s’est pas dérouté? demanda-t-il.

L’autre hocha la tête en prenant un air inspiré.

— Au jour d’aujourd’hui, la collision n’est qu’une hypothèse. Et puis vous savez, la plupart des cargos ne se rendent même pas compte qu’ils ont percuté quelque chose; épaves, baleines, c’est pas ça qui manque dans la mer. Dans le cas où ils auraient vu le voilier, le capitaine l’aurait signalé par radio et dépêché des secours: c’est une loi maritime de base.

— Ces types sont des chauffards, fit Mc Cash, ils transportent n’importe quoi dans leurs bateaux-poubelles, ne respectent aucune règle de droit et dégazent en mer dès que l’occasion se présente. Sans compter les équipages trop bourrés pour écouter les appels radio, ou qui s’en foutent.

— Tous ne sont pas comme ça: heureusement!

— Quelqu’un a ouvert une enquête?

L’employé gratta le brûlis de sa barbe éparse — était-ce cet œil unique qui le fixait comme une mangouste le serpent, le blindage menaçant du bandeau de cuir qui lui traversait le visage? Ce grand escogriffe penché sur son comptoir dégageait quelque chose d’intimidant.

— Le procureur de la République s’en occupe, répondit-il.

— On aura ses conclusions quand?

— Pas avant six mois.

Mc Cash esquissa la queue d’un sourire: dans six mois il serait mort… Rogné de l’intérieur, comme Marco.

— Qui a prévenu les secours?

— Sa sœur, répondit Barbe-Rousse.

Marie-Anne. Ils avaient dîné chez elle une fois ou deux. Pas son type mais une fille sur qui on pouvait compter. Quelque chose continuait de le chiffonner. Les marins qui naviguaient en solitaire montaient sur le pont tous les quarts d’heure, faisaient un trois cent soixante degrés pour vérifier le trafic et le vent, avant de redescendre dans la cabine: une règle de base que Marco n’aurait pas négligée dans une zone dangereuse.

— Qui peut me renseigner au sujet du naufrage?

— La direction des Affaires maritimes, sans doute… À Brest.

Mc Cash avait travaillé cinq ans là-bas avant de jeter l’éponge.

Il quitta la capitainerie avec l’envie de couler le port.

4

Des nuages gris souris passaient sous le soleil, nuées éthérées poussées par le vent du large qui n’augurait rien de bon. Mc Cash jaugea la meute anthracite depuis la terrasse du Bar de la Mer où Alice dévorait son kouign-amann.

— Le temps se gâte, fit-elle remarquer, la bouche demi-sel.

La couleur de ses iris changeait avec le ciel, des yeux grands tout verts qui ne lui rappelaient même pas sa mère.

— Tu sais ce qu’on dit ici, baragouina Mc Cash: il ne pleut que sur les cons.

— Ils doivent être nombreux alors. Autrement il ferait beau tout le temps.

— Hum…

Il avait mal dormi, comme chaque fois qu’il ne se couchait pas abruti d’alcool ou de pétards — rêve de rupture, de sentiments violents, de femme éviscérée, d’enfants violés, de bulots qui lui bouffaient l’orbite, l’anus, tout se mélangeait dans la chambre des morts. Il commanda une autre bière pour passer le goût d’inachevé qui le poursuivait et un Breizh Cola pour la petite.

Le port d’Audierne s’animait à l’heure du marché, les premiers touristes profitaient de l’éclaircie pour déambuler sur les quais, les mains emplies de victuailles ou de cochonneries acidulées. Parmi eux quelques locaux, facilement reconnaissables à leurs jambes de serins — teint buriné, mal rasés, une veste de survêtement sans âge sur les épaules, des alcoolos au long cours qui regardaient le monde avec des yeux dessalés jusqu’à ce que la première bière les envoie au diable —, aussi quelques jolies filles tellement plus jeunes que lui, des plaisanciers à casquette sous des drapeaux multicolores battant au vent pour singer la fête, un ou deux minables en 4 × 4, et puis des familles, des familles par paquets, des anonymes qui se prenaient par la main, comme si tout cela ne tenait qu’à un fil, le lien fragile qui les unissait encore, l’illusion d’être ensemble, sachant déjà que l’amour se déliterait à la première névrose soulevée et les réduirait au silence endimanché du poulet hebdomadaire.

C’était foutu, la famille. Il suffisait de voir la sienne.

— Tu as vu, fit Alice en achevant son gâteau dégoulinant, il y a des maisons à louer sur le port.

Mc Cash se tourna vers les petits immeubles blancs d’avant-guerre, dont le charme contrastait avec les maisons de lotissement qui vérolaient la côte bretonne.

— Ça doit être mort en hiver, dit-il pour couper court à toute idée de sédentarisation.

— Oui, mais c’est beau l’été. C’est ça qui compte, non? On pourrait peut-être chercher par ici? C’est sympa, le bord de la mer.

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