— Je ne sais pas. Pour se marrer ? Pour voir ce qui allait arriver ?
— Pour voir si tu allais te faire agresser ?
— D’accord, c’est bon, ça a l’air dingue, mais réfléchis une minute. Pourquoi ce manuscrit rend-il tout le monde paranoïaque dans cette boîte d’édition ? Quigley lui-même n’a pas été autorisé à le lire. Pourquoi ne veulent-ils pas le laisser sortir d’Amérique ? Peut-être que c’est parce qu’ils pensent qu’il y a quelqu’un ici qui est prêt à tout pour l’avoir.
— Et alors ?
— Alors, peut-être qu’il s’est servi de moi comme appât — comme d’une chèvre attachée à un piquet — pour tester ceux d’en face… pour voir jusqu’où ils sont prêts à aller.
Au moment où je prononçais ces mots, je savais que ça paraissait absurde.
— Mais le bouquin de Lang n’est qu’un tas de merde chiant au possible ! a protesté Rick. Les seuls qu’ils veulent absolument tenir éloignés pour l’instant, ce sont leurs actionnaires ! C’est pour ça qu’ils le gardent sous scellés.
Je commençais à me sentir un peu bête. Je serais même volontiers passé à autre chose, mais Rick trouvait ça trop drôle.
— « Une chèvre attachée à un piquet » ! (Il riait si fort que j’aurais pu l’entendre, téléphone coupé, depuis l’autre terminal.) Je récapitule : d’après ta théorie, quelqu’un devait savoir que Kroll était à Londres, savoir où il se trouvait vendredi matin, savoir ce qu’il était venu faire…
— C’est bon, j’ai dit, laisse tomber.
— … savoir qu’il devait remettre le manuscrit de Lang à un nouveau nègre, savoir qui tu étais quand tu es sorti de la réunion et savoir où tu habitais. Parce que tu as dit qu’ils t’attendaient, non ? Ouah. Ça a dû être une sacrée opération à monter. Trop grosse pour un journal. Il doit s’agir d’un coup organisé par le gouvernement…
— Oublie ça, ai-je enfin réussi à lui glisser. Tu ferais mieux de monter dans ton avion.
— Oui, tu as raison. Enfin, bon voyage. Essaie de dormir dans l’avion. Tu as l’air un peu bizarre. On se reparle la semaine prochaine. Et ne t’en fais pas pour tout ça.
Il a raccroché.
Je suis resté un moment avec mon téléphone silencieux à la main. C’est vrai : je devais paraître bizarre. Je suis allé dans les toilettes. L’ecchymose, là où j’avais été frappé vendredi soir, avait viré au violacé et au noir, le tout, cerné de jaune, évoquant l’explosion d’une supernova dans un manuel d’astronomie.
On a peu après annoncé l’embarquement sur le vol de Boston et, une fois en l’air, je me suis calmé. J’aime ce moment où le paysage morne et gris disparaît peu à peu et où l’avion fonce à travers les nuages pour émerger en plein soleil. Qui peut rester déprimé à dix mille pieds d’altitude, quand le soleil brille et que vos malheureux congénères sont encore cloués au sol ? J’ai pris un verre. J’ai regardé un film. J’ai sommeillé un peu. Mais je dois avouer que j’ai passé toute la classe affaires au crible et que j’ai fait main basse sur tous les journaux du dimanche que j’ai pu trouver. Pour une fois, j’ai délaissé les pages sportives et lu tout ce qui avait été écrit sur Adam Lang et ces quatre terroristes présumés.
— Je ne sais pas. Pour se marrer ? Pour voir ce qui allait arriver ?
— Pour voir si tu allais te faire agresser ?
— D’accord, c’est bon, ça a l’air dingue, mais réfléchis une minute. Pourquoi ce manuscrit rend-il tout le monde paranoïaque dans cette boîte d’édition ? Quigley lui-même n’a pas été autorisé à le lire. Pourquoi ne veulent-ils pas le laisser sortir d’Amérique ? Peut-être que c’est parce qu’ils pensent qu’il y a quelqu’un ici qui est prêt à tout pour l’avoir.
— Et alors ?
— Alors, peut-être qu’il s’est servi de moi comme appât — comme d’une chèvre attachée à un piquet — pour tester ceux d’en face… pour voir jusqu’où ils sont prêts à aller.
Au moment où je prononçais ces mots, je savais que ça paraissait absurde.
— Mais le bouquin de Lang n’est qu’un tas de merde chiant au possible ! a protesté Rick. Les seuls qu’ils veulent absolument tenir éloignés pour l’instant, ce sont leurs actionnaires ! C’est pour ça qu’ils le gardent sous scellés.
Je commençais à me sentir un peu bête. Je serais même volontiers passé à autre chose, mais Rick trouvait ça trop drôle.
— « Une chèvre attachée à un piquet » ! (Il riait si fort que j’aurais pu l’entendre, téléphone coupé, depuis l’autre terminal.) Je récapitule : d’après ta théorie, quelqu’un devait savoir que Kroll était à Londres, savoir où il se trouvait vendredi matin, savoir ce qu’il était venu faire…
— C’est bon, j’ai dit, laisse tomber.
— … savoir qu’il devait remettre le manuscrit de Lang à un nouveau nègre, savoir qui tu étais quand tu es sorti de la réunion et savoir où tu habitais. Parce que tu as dit qu’ils t’attendaient, non ? Ouah. Ça a dû être une sacrée opération à monter. Trop grosse pour un journal. Il doit s’agir d’un coup organisé par le gouvernement …
— Oublie ça, ai-je enfin réussi à lui glisser. Tu ferais mieux de monter dans ton avion.
— Oui, tu as raison. Enfin, bon voyage. Essaie de dormir dans l’avion. Tu as l’air un peu bizarre. On se reparle la semaine prochaine. Et ne t’en fais pas pour tout ça.
Il a raccroché.
Je suis resté un moment avec mon téléphone silencieux à la main. C’est vrai : je devais paraître bizarre. Je suis allé dans les toilettes. L’ecchymose, là où j’avais été frappé vendredi soir, avait viré au violacé et au noir, le tout, cerné de jaune, évoquant l’explosion d’une supernova dans un manuel d’astronomie.
On a peu après annoncé l’embarquement sur le vol de Boston et, une fois en l’air, je me suis calmé. J’aime ce moment où le paysage morne et gris disparaît peu à peu et où l’avion fonce à travers les nuages pour émerger en plein soleil. Qui peut rester déprimé à dix mille pieds d’altitude, quand le soleil brille et que vos malheureux congénères sont encore cloués au sol ? J’ai pris un verre. J’ai regardé un film. J’ai sommeillé un peu. Mais je dois avouer que j’ai passé toute la classe affaires au crible et que j’ai fait main basse sur tous les journaux du dimanche que j’ai pu trouver. Pour une fois, j’ai délaissé les pages sportives et lu tout ce qui avait été écrit sur Adam Lang et ces quatre terroristes présumés.
Nous avons entamé la phase d’approche de l’aéroport Logan à treize heures, heure locale.
Tandis que nous volions bas au-dessus de Boston, le soleil que nous avions pourchassé toute la journée semblait avancer avec nous au ras de l’eau, heurtant les gratte-ciel les uns après les autres pour en faire des colonnes jaillissantes de blanc et de bleu, d’or et d’argent, en un feu d’artifice sur verre et acier. O mon Amérique, ai-je songé, ma terre neuve à moi — pays où le marché du livre est cinq fois plus important que celui du Royaume-Uni —, éclaire-moi de ta lumière ! Pendant que je faisais la queue au contrôle de l’immigration, j’en étais presque à fredonner The Star Spangled Borner . Même le type des services de sécurité de la patrie — preuve vivante que plus le nom d’une institution est ringard, plus celle-ci exerce des fonctions staliniennes — n’a pu altérer mon optimisme. La simple idée qu’on puisse parcourir cinq mille kilomètres pour passer un mois sur Martha’s Vineyard en plein hiver lui a fait froncer les sourcils derrière son panneau de verre. À partir du moment où il a découvert que j’étais écrivain, il m’a traité avec au moins autant de méfiance que si j’avais porté une combinaison de saut orange.
Читать дальше