— Quoi ?
— Le VIXAL trade toujours.
— Mais c’est impossible. J’ai vu tout le matériel complètement calciné.
— Alors il doit y avoir un autre centre dont nous n’avons pas connaissance. On dirait qu’il s’est passé un truc vraiment miraculeux. Vous avez vu l’Intranet ? Le slogan de la compagnie a changé.
Quarry dévisagea les analystes quantitatifs. Il les trouva à la fois inexpressifs et radieux, semblables aux adeptes d’un culte. C’était un peu effrayant. Plusieurs d’entre eux lui firent des signes de tête encourageants. Il se baissa pour examiner le fond d’écran.
L’ENTREPRISE DE L’AVENIR N’A PAS D’EMPLOYÉS
L’ENTREPRISE DE L’AVENIR N’A PAS DE DIRECTEURS
L’ENTREPRISE DE L’AVENIR EST UNE ENTITÉ NUMÉRIQUE
L’ENTREPRISE DE L’AVENIR EST VIVANTE
*
Dans son bureau, Quarry écrivait un mail aux investisseurs.
À : Étienne et Clarisse Mussard, Elmira Gulzhan et François de Gombart-Tonnelle, Ezra Klein, Bill Easterbrook, Amschel Herxheimer, Iain Mould, Mieczyslaw Łukasiński, Liwei Xu, Qi Zhang
De : Hugo Quarry
Objet : Alex
Mes chers amis, lorsque vous lirez ceci, vous aurez probablement déjà appris les événements tragiques dont a été victime Alex Hoffmann hier. Je vous appellerai tous individuellement plus tard dans la journée pour discuter de la situation. Pour l’instant, je voulais juste que vous sachiez qu’Alex reçoit les meilleurs soins médicaux et que nos prières les accompagnent, lui et Gabrielle, en ce moment difficile. Il est bien entendu trop tôt pour discuter de l’avenir de la société qu’il a fondée, mais je tenais à vous rassurer : il a laissé derrière lui des systèmes opérationnels, ce qui signifie que vos investissements vont non seulement continuer à prospérer, mais vont, j’en suis certain, gagner en force et en puissance. Je vous expliquerai tout cela de vive voix.
Les quants avaient voté dans la salle des marchés et étaient tombés d’accord pour ne rien divulguer de ce qui s’était passé. Chacun recevrait en échange un bonus immédiat de cinq millions de dollars cash. Il y aurait d’autres versements à l’avenir, sur une échelle restant à déterminer en fonction des performances du VIXAL. Personne n’avait voté contre — Quarry supposa par ailleurs qu’ils avaient tous vu ce qui était arrivé à Rajamani.
On frappa à la porte. Quarry cria :
— Entrez !
C’était Genoud.
— Bonjour, Maurice. Qu’est-ce que vous voulez ?
— Je viens retirer ces caméras, si vous êtes d’accord.
Quarry considéra le VIXAL. Il se le représentait comme une sorte de nuage céleste numérique rougeoyant qui se précipitait parfois sur la Terre. Il pouvait se trouver n’importe où — dans une zone industrielle défoncée et écrasée de chaleur, empestant le kérosène et résonnant du chant des cigales près d’un aéroport international en Asie du Sud-Est ou en Amérique latine ; ou dans le parc frais et verdoyant d’un quartier d’affaires arrosé par une douce pluie transparente, en Nouvelle-Angleterre ou en Rhénanie ; ou encore occupant un étage aveugle et rarement visité d’un immeuble de bureaux flambant neuf de la City de Londres ou de Mumbai ou de São Paulo ; ou même niché, invisible, dans des centaines de milliers d’ordinateurs individuels. Quarry se dit qu’il était partout autour de nous, dans l’air même que nous respirions. Il leva les yeux vers les caméras dissimulées et hocha imperceptiblement la tête en signe de soumission.
— Laissez-les, dit-il.
*
Gabrielle était de retour là où sa journée avait commencé, à l’Hôpital universitaire. Seulement, cette fois, elle se tenait assise au chevet de son mari. On l’avait installé dans une chambre individuelle, tout au bout d’un service sombre du troisième étage. Il y avait des barreaux aux fenêtres et des gendarmes à l’extérieur, un homme et une femme. Il était difficile de voir Alex sous tous les pansements et les tubes. Il n’avait pas repris conscience depuis qu’il avait heurté le sol. Les médecins disaient qu’il souffrait de fractures multiples et de brûlures au second degré. Il venait de quitter la chirurgie du service des urgences et on l’avait relié à une perfusion et un moniteur ; il était intubé. Le chirurgien s’était refusé à tout pronostic ; il disait simplement que les vingt-quatre heures suivantes seraient cruciales. Quatre rangées de lignes lumineuses vert émeraude traversaient l’écran à un rythme hypnotique, formant des sommets et des creux émoussés. Cela rappela à Gabrielle leur lune de miel, quand ils regardaient les vagues du Pacifique se former au large et déferler jusqu’au rivage.
Alex cria dans son sommeil artificiel. Il paraissait terriblement perturbé par quelque chose. Elle toucha sa main bandée et se demanda ce qui pouvait traverser cet esprit si brillant.
— Tout va bien, mon chéri. Ça va aller, maintenant.
Elle posa la tête sur l’oreiller, à côté de celle de son mari. Elle se sentait étrangement satisfaite, malgré tout, de l’avoir enfin auprès d’elle. Derrière les barreaux de la fenêtre, la cloche d’une église sonna minuit. Tout doucement, Gabrielle entonna une berceuse.
Je souhaite remercier tous ceux qui, en m’offrant leur expertise, ont rendu ce livre possible : d’abord et avant tout Neville Quie, de Citi, qui m’a ouvert de nombreuses portes et perspectives et qui, avec Cameron Small, m’a patiemment accompagné à travers le labyrinthe de ventes à découvert et options hors du cours ; Charles Scott, un ancien de chez Morgan Stanley, qui a discuté avec moi de l’idée de départ, lu le manuscrit, et m’a présenté Andre Stern de chez Oxford Asset Management, Eli Lederman, ancien patron de Turquoise, et David Keetly et John Mansell de Polar Capital Alva Fund, qui m’ont tous apporté leurs lumières ; Leda Braga, Mike Platt, Pawel Lewicki et l’équipe algorithmique de BlueCrest pour leur accueil et pour m’avoir permis de les regarder à l’œuvre pendant toute une journée ; Christian Holzer pour ses conseils sur le VIX ; Lucie Chaumeton pour sa vérification des faits ; Philippe Jabre de Jabre Capital Partners SA pour avoir partagé avec moi sa connaissance des marchés financiers ; le docteur Ian Bird, à la tête du Projet Large Hadron Collider Computing Grid, pour les deux visites guidées et riches d’enseignement au CERN dans les années quatre-vingt-dix ; Ariane Koek, James Gillies, Christine Sutton et Barbara Warmbein du bureau des relations publiques du CERN ; le docteur Bryan Lynn, physicien universitaire ayant travaillé à la fois pour Merrill Lynch et le CERN et qui a bien voulu me décrire son expérience du passage entre ces deux mondes ; Jean-Philippe Brandt de la police de Genève pour m’avoir fait visiter la ville et avoir répondu à mes questions sur les procédures policières ; le docteur Stephen Golding, consultant radiologue à l’hôpital John Radcliffe d’Oxford pour ses conseils sur les scanners cérébraux et son entremise auprès des professeurs Christoph Becker et du docteur Minerva Becker qui à leur tour m’ont également permis de visiter le département radiologique de l’hôpital universitaire de Genève. Aucun d’entre eux, bien entendu, n’est responsable des erreurs, opinions fautives et délires gothiques qui pourraient se trouver dans ce roman.
Enfin, un mot en particulier pour remercier Angela Palmer, qui m’a, d’elle-même, autorisé à emprunter le concept de ses œuvres époustouflantes pour les prêter à Gabrielle Hoffmann (les originaux peuvent être vus sur angelaspalmer.com), et aussi à Paul Greengrass, pour ses conseils judicieux, son amitié et tous les pleins de liquidités que nous avons pu partager en route.
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