Ce roman est une œuvre de fiction. Les noms, personnages et actions sont le fruit de l’imagination de l’auteur, et toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou décédées, des événements ou des lieux serait purement fortuite.
Même si, par souci d’authenticité, j’ai utilisé des titres bien réels tout au long de ce roman (archevêque de Milan, doyen du Collège des cardinaux et ainsi de suite), je les ai utilisés de la même façon qu’on peut décrire un président des États-Unis ou un Premier ministre britannique de fiction. Les personnages que j’ai créés pour remplir ces fonctions ne sont pas censés présenter la moindre ressemblance avec les personnalités qui les occupent effectivement aujourd’hui. Si je me suis égaré et qu’il existe certaines similitudes superficielles, je m’en excuse. De même, malgré quelques traits communs apparents, le défunt Saint-Père décrit dans Conclave n’est nullement supposé être un portrait du pape actuel.
« J’ai estimé plus sage de ne pas déjeuner avec les cardinaux. J’ai déjeuné dans ma chambre. Au onzième tour, je fus élu pape. Ô Jésus, je puis dire moi aussi ce qu’a dit Pie XII lors de son élection. “Ayez pitié de moi, mon Dieu, selon Votre grande miséricorde.” On pourrait dire que cela ressemble à un rêve, et pourtant, jusqu’à ma mort, voilà qui restera la réalité la plus solennelle de toute ma vie. Je suis prêt, Seigneur, à la vie à la mort. Environ trois cent mille personnes m’ont applaudi sur le balcon de Saint-Pierre. Les projecteurs m’ont empêché de voir autre chose qu’une masse informe. »
PAPE JEAN XXIII,
Journal de l’Âme , 28 octobre 1958
« Ma position est unique. Cela veut dire qu’elle me place dans une extrême solitude. Elle était déjà grande auparavant, à présent elle est totale et terrible. Elle donne le vertige. Comme une statue au sommet d’une flèche, même si je suis une personne vivante, voilà ce que je suis [1] La Documentation catholique , n° 2175, 1 er février 1998. (Note de la traductrice)
. »
PAPE PAUL VI
Le cardinal Lomeli quitta son appartement du palais du Saint-Office peu avant 2 heures du matin et traversa d’un pas rapide les cloîtres sombres du Vatican vers les appartements du pape.
Il priait : Ô Seigneur, il lui reste tant à faire alors que mon utilité à Ton service est terminée. Il est aimé alors que je suis dans l’oubli. Épargne-le, Seigneur. Épargne-le, Prends-moi plutôt que lui.
Il remonta péniblement la côte pavée vers la place Sainte-Marthe. Il faisait encore doux et brumeux à Rome et pourtant le cardinal y détectait déjà la première fraîcheur de l’automne. Il bruinait. Le préfet de la Maison pontificale avait semblé dans un tel état de panique, au téléphone, que Lomeli s’attendait à trouver une scène de totale confusion. En réalité, la place était particulièrement déserte, à l’exception d’une ambulance solitaire garée à distante discrète, qui se découpait contre le flanc méridional illuminé de Saint-Pierre. Le plafonnier était allumé, les essuie-glaces balayaient le pare-brise, et le cardinal parvint à distinguer le visage du chauffeur et d’un brancardier. Le chauffeur parlait dans un téléphone portable, et l’évidence s’imposa soudain à Lomeli : ils ne sont pas venus conduire un malade à l’hôpital, ils sont venus chercher un corps.
À l’entrée vitrée de la résidence Sainte-Marthe, le garde suisse le salua, portant un gant blanc au plumet rouge de son casque.
— Éminence.
— Voudriez-vous vous assurer que cet homme n’appelle pas les médias ? répliqua Lomeli avec un signe de tête vers l’ambulance.
Il régnait dans la résidence une atmosphère austère et aseptisée, rappelant celle d’une clinique privée. Dans le hall de marbre blanc, une dizaine de prêtres, dont trois en robe de chambre, attendaient, visiblement ahuris, comme s’ils venaient d’être réveillés par une alarme d’incendie et ne savaient quelle conduite adopter. Lomeli hésita sur le seuil, sentit quelque chose dans sa main gauche et s’aperçut qu’il serrait sa calotte rouge. Il ne se rappelait pas l’avoir prise. Il la déplia et la posa sur son crâne. Il avait les cheveux mouillés. Un évêque, un Africain, voulut l’arrêter pendant qu’il avançait vers l’ascenseur, mais Lomeli se contenta d’un salut de la tête et poursuivit son chemin.
La cabine mit une éternité à descendre. Il aurait dû prendre l’escalier, mais il était trop essoufflé. Il sentait le regard des autres dans son dos. Il devait dire quelque chose. L’ascenseur arriva et les portes s’ouvrirent. Lomeli se retourna et leva la main en signe de bénédiction.
— Priez, dit-il.
Il pressa le bouton du second étage ; les portes se refermèrent et il entama son ascension.
Si Ta volonté est de l’appeler à Toi et de me laisser ici-bas, accorde-moi la force d’être un rocher pour les autres.
Sous la lumière jaune, le miroir lui renvoya un visage cadavérique, gris et brouillé. Il attendait désespérément un signe, l’infusion d’une force. L’ascenseur s’immobilisa dans un sursaut, mais son estomac continua de se soulever et le cardinal dut s’agripper à la rampe de métal pour reprendre son équilibre. Il se souvenait d’être monté dans ce même ascenseur avec le Saint-Père au début de sa papauté, et que deux vieux prélats étaient entrés. Ils étaient immédiatement tombés à genoux, ébahis de se trouver face à face avec le représentant du Christ sur terre, et le pape avait ri en disant : « Ne vous en faites pas, relevez-vous. Je ne suis qu’un vieux pécheur et ne suis pas au-dessus de vous… »
Le cardinal releva le menton. Son masque public. Les portes s’ouvrirent. Un épais rideau de complets sombres s’écarta pour le laisser passer. Il entendit un agent chuchoter dans sa manche :
— Le doyen est ici.
De l’autre côté du palier, devant la suite papale, trois religieuses appartenant à la congrégation des Filles de la Charité de Saint-Vincent-de-Paul se tenaient par la main et pleuraient. L’archevêque Woźniak, préfet de la Maison pontificale, vint à sa rencontre. Ses yeux gris pâle étaient gonflés derrière ses lunettes à monture d’acier.
— Éminence…, dit-il avec désespoir en levant les mains.
Lomeli prit les joues de l’archevêque entre ses paumes et les pressa doucement. Il sentait la barbe de l’homme plus jeune sous ses doigts.
— Janusz, ta présence l’a rendu si heureux.
Puis un autre garde du corps — à moins qu’il ne s’agît d’un employé des pompes funèbres : ils s’habillaient pratiquement pareil —, bref, un autre homme en noir ouvrit la porte de la suite.
Le petit salon et la chambre plus petite encore sur laquelle il donnait étaient bondés. Pus tard, Lomeli établit une liste de plus d’une douzaine de personnes présentes, sans parler des membres de la sécurité — deux médecins, deux secrétaires particuliers, le Maître des célébrations liturgiques pontificales, qui était l’archevêque Mandorff, au moins quatre prêtres de la Chambre apostolique, Woźniak, et, bien sûr, les quatre principaux cardinaux de l’Église catholique : le secrétaire d’État, Aldo Bellini ; le camerlingue — ou chambellan — du Saint-Siège, Joseph Tremblay ; le Cardinal Pénitencier Majeur, sorte de grand confesseur, Joshua Adeyemi ; et lui-même, en tant que doyen du Collège cardinalice. Dans sa vanité, il s’était cru le premier à avoir été prévenu ; il découvrait qu’en réalité il avait été le dernier.
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