Bernard Minier - Une putain d’histoire

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Une île boisée au large de Seattle…
« Au commencement est la
.
La
de se noyer.
La
des autres,
ceux qui me détestent,
ceux qui veulent ma peau Autant vous le dire tout de suite :
Ce n’est pas une histoire banale. Ça non.
c’est une putain d’histoire.
Ouais,
… »

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Il était assis sur le siège passager, Charlie et Johnny à l’arrière. Darrell Oates suivait, au volant de son monstrueux F-350 Super Duty noir.

Le virage est apparu, tout en haut de la montagne. Et, en contrebas, le lac Diablo niché entre des pentes drapées d’épais sapins, avec ses deux îles. Ses eaux avaient pris une teinte grisâtre, et il y avait de la neige sur les montagnes dans le fond — les cimes se perdaient dans les nuages.

Le vent sifflait autour de la voiture.

« Avance sur le terre-plein », a dit Hunter en désignant le petit parking en terre battue, de l’autre côté du virage.

J’ai traversé la route.

« Avance tout droit. Avance encore … »

Ma pomme d’Adam s’est prise pour un ascenseur à grande vitesse. J’ai avancé jusqu’au bord du terre-plein. Au-delà commençait une courte pente abrupte à l’herbe rase, puis un à-pic vertigineux dévalait en direction du lac, avec de grands sapins tout autour, sentinelles altières.

« Si vous essayez de descendre, je vous abats », a dit Hunter — et il est sorti.

Dans le rétroviseur, je l’ai vu se hisser à bord du Super Duty, dont la masse menaçante envahissait toute la lunette arrière. Darrell et lui ont bavardé en nous observant à travers le pare-brise.

« Qu’est-ce qu’ils foutent ? » a dit Charlie.

Et soudain, j’ai vu le Super Duty bouger. Son pare-buffle a heurté mon pare-chocs arrière et la Ford s’est mise à avancer.

« Oh, nonnnnnnnnnnnn ! a hurlé Johnny. Ils vont pas écouter le Vieux ! Ils vont nous tuer, putain ! »

J’ai écrasé la pédale de frein. En vain. La Ford continuait d’avancer, irrésistiblement poussée par les quatre tonnes et demie du monstrueux 4 × 4 vers la pente, vers une inévitable série de tonneaux puis une chute de plusieurs centaines de mètres.

« Je sors de là ! Tant pis s’ils me flinguent ! » a lancé Charlie en ouvrant sa portière.

Les roues avant ont mordu la pente herbeuse, puis perdu de l’adhérence. Presque debout sur la pédale de frein, j’ai crié : « Sautez ! Sautez ! » Le Super Duty nous poussait toujours en avant… Johnny a ouvert sa portière à son tour, et ils se préparaient à sauter quand le F-350 s’est brusquement immobilisé. J’ai entendu qu’ils coupaient le moteur. J’ai aspiré une grande goulée d’air, le visage et le cou liquéfiés, la nuque contre l’appuie-tête, et je me suis senti comme Betty Lou Oliver [2] Le 28 juillet 1945, Betty Lou Oliver travaille au 80 e étage de l’Empire State Building quand un bombardier B-25 Mitchell percute le gratte-ciel à l’étage au-dessous et explose. Grièvement brûlée, elle est évacuée par l’ascenseur, qui se décroche et fait une chute de 75 étages ! Elle a néanmoins survécu aux deux accidents et figure dans le Livre des records pour la plus longue chute en ascenseur connue. .

Dans le rétro, Hunter et Darrell Oates ont bondi à terre.

« Toi, m’a dit Darrell, tu descends. Les autres, vous restez là-dedans. Essayez encore une fois de sortir de cette caisse, les mecs, et je vous jure qu’on vous jette nous-mêmes dans ce foutu lac. »

J’ai ouvert la portière et je suis descendu. Le vent qui soufflait sur les hauteurs m’a empoigné.

« Viens. »

Darrell est remonté à bord du Super Duty. « Monte. » J’ai obéi. J’ai grimpé dans la cabine, me suis assis à côté de lui. Il faisait si sombre qu’on aurait cru le soir arrivé alors qu’il n’était que 2 heures de l’après-midi ; le ciel était entièrement bouché, les sapins noirs et les montagnes presque invisibles à présent. J’ai distingué des lumières en bas, là où se trouve le village de Diablo : une poignée de baraquements sans doute destinés aux ouvriers du barrage.

Il a sorti la clé USB, l’a branchée et a allumé l’écran sur le tableau de bord.

« C’est pas une copie, c’est l’original, a-t-il dit. Mon père peut dire ce qu’il voudra : je te filerai pas de copie… Pas question. Ce vieux salaud croit qu’il commande mais je lui pisse à la raie… Tu vas regarder, maintenant, et après tu vas oublier c’que t’as vu. Et si tu parles de ça à la police, t’es un homme mort, t’entends ? Je veux dire un petit puceau mort … Si c’est pas moi qui te fais la peau, ça sera mes frangins. Et si on se retrouve tous en taule à cause de vous, on a suffisamment d’ amis pour qu’un jour il vous arrive un méchant accident, tu piges ? Et ils s’en prendront aussi à tes deux mamans. Tu vois : je sais qui tu es … Ils leur feront mal, oh ouais, ils les feront souffrir, peut-être même qu’ils les violeront, tu comprends ? Ça leur ferait du bien, pour une fois, d’avoir une bite… Pareil pour vos copines et tes potes, là… Tu as pigé ? »

J’ai hoché la tête, dents serrées. Il a lancé la vidéo.

Les mêmes images que celles aperçues sur l’ordinateur de Taggart. Les mêmes silhouettes aux masques blancs. Vêtues de pantalons et de tee-shirts noirs. Hommes et femmes. La vieille église en bois transformée en atelier de théâtre par Nate Harding. La vidéo prise à travers une vitre, à l’insu des participants. J’ai dégluti. Ils se donnaient l’accolade, comme la dernière fois. Se congratulaient. S’encourageaient. Puis ils ont commencé à se… déshabiller.

… à se toucher…

… à se caresser…

La plupart avaient des corps de personnes mûres, mais il y en avait aussi quelques-uns de plus jeunes au milieu. Ces derniers étaient l’objet de toutes les attentions ; les mains des autres s’activaient sur leur peau, dans les moindres replis de leur anatomie. Je respirais de plus en plus fort, fasciné et nauséeux.

« Sacré spectacle, hein ? » a commenté Darrell.

Je ne pouvais détacher mon regard de l’écran, penché vers le tableau de bord.

Il n’y avait aucun son, mais ce n’était pas la peine : on devinait les soupirs, les gémissements…

Bientôt, ils sont passés aux pénétrations — un méli-mélo de corps et de membres, de sexes et d’orifices, une mêlée, une orgie, une bacchanale tumultueuse et frénétique…

Mais un détail, surtout, a attiré mon attention.

« Qui a filmé ça ? j’ai demandé, la gorge serrée.

— Taggart.

— Pourquoi vous avez fait cette vidéo ?

— À ton avis ? Pour faire chanter ces beaux messieurs-dames, ducon. On les a tous identifiés. Des notables , il a dit en insistant sur ce mot. Des gens bien comme y faut d’East Harbor. On s’apprêtait à leur envoyer un petit cadeau pour Noël : une jolie petite vidéo de derrière les fagots…

— Vous ne l’avez pas fait ? »

Il a secoué la tête.

« Quelqu’un nous a devancés.

— Qui ça ? »

Des éclairs zébraient le ciel sombre, à présent. Il a haussé les épaules.

« Si je le savais… (Puis il a souri.) Et tu sais quoi, tête de nœud ? C’est pas moi, le maître chanteur, en fin de compte, c’est moi qu’on fait chanter . Putain, c’est-y pas beau, ça ? Quelqu’un fait chanter Darrell Oates. Ça te la coupe, hein ? Faut en avoir une sacrée paire, c’est ce que tu te dis, et t’as raison…

— À cause de cette vidéo ? »

De nouveau, il a secoué la tête négativement.

« Non, bien sûr, ai-je dit en comprenant soudain, à cause de ce qu’il y avait sur l’ordinateur de Taggart, celui que vous avez cramé…

— Exact.

— Et il y avait quoi dessus ? »

Il m’a détaillé longuement.

« Tu deviens trop curieux, gamin. Disons qu’il y avait des preuves compromettantes sur nos petites activités, tu vois ? Nos petites affaires à Jack et à moi… Des preuves que Jack et moi, on avait reçues par mail…

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