— Rigole, Corso, tu sais comme moi que t’avances sur un terrain miné. Tes preuves valent pas un clou, mon arrestation est illégale et tout ça va te péter à la gueule.
— Dans ce cas, pourquoi t’appelles pas ton avocat ?
Sobieski retrouva sa position de marlou sûr de son fait. Les jambes écartées, un coude sur le bureau, le torse légèrement penché afin de mettre en valeur toutes ses breloques.
— J’ai le temps. De toute façon, ta procédure est hors la loi depuis le départ. C’est à s’demander si t’as déjà eu affaire à un vrai délinquant.
Un signal s’alluma au fond du cerveau de Corso :
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Pourquoi je suis rentré chez moi à 23 heures à ton avis ?
— Parce que ton émission était terminée.
— Mon émission se termine à minuit, ma poule. Je suis rentré parce que mon système d’alarme s’est déclenché.
— Quel système ?
— Celui qui est installé dans mon atelier, si discret que tu l’as même pas repéré.
Corso commençait à avoir la gorge sèche : encore une erreur d’analyse. La prison n’accouche que de paranoïaques.
— Mon système ne sonne pas, ne s’allume pas et n’appelle que moi. (Il lui fit un clin d’œil.) Si un salopard essaie d’entrer, c’est moi qui règle le problème.
— Où tu veux en venir ? On en est toujours à ma parole contre la tienne.
— Pas tout à fait, Corso, parce que mon système est aussi équipé de caméras.
Cette fois, son estomac se bloqua. Bompart ou pas, il aurait du mal à légitimer le film de ses déambulations nocturnes.
— Mon avocat reçoit directement les enregistrements time-codés. Il a dû se régaler ce matin. C’est pas tous les jours qu’on prend un flic la main dans le slip à se branler.
Corso changea de ton :
— Espèce de connard taré, tu peux essayer de me chercher des poux sur ce terrain. Tes tableaux restent des preuves recevables. Des pièces que le juge va se faire un plaisir d’intégrer à la procédure.
— Y a d’autres éléments à verser au dossier, Corso, comme cette filature illégale dont j’ai été victime. Encore une fois, t’aurais dû être plus prudent. Sobieski, c’est politique. Je suis un symbole, un message d’espoir pour tous ceux qui ont merdé un jour et qui veulent se racheter. L’opinion publique est de mon côté et, crois-moi, ça pèse plus lourd que tes élucubrations.
Des noms passèrent dans sa mémoire : Omar Raddad, Cesare Battisti… Rien de pire que les affaires dont les civils se mêlaient. Cela ne faisait qu’ajouter au bordel général. En France, il y avait encore des voix pour défendre Jacques Mesrine et accabler les flics qui l’avaient éliminé.
— Dans ce cas, rétorqua Corso, on va devoir secouer les témoins.
Le visage de Sobieski se contracta. Ses lèvres frémirent — elles étaient elles aussi très mobiles, pouvant passer, en un éclair, du sourire bienveillant à la cruauté la plus sinistre.
— Ne touche pas à Junon ni à Diane, fils de pute. Sinon…
— Sinon quoi ? Il faut qu’elles comprennent ce qu’elles risquent. Elles vont t’accompagner dans ta chute, c’est tout. Voilà ce que c’est que de coucher avec des bad boys .
Soudain, Sob la Tob retrouva son sourire. Toujours cette versatilité. Au fond de ses yeux caves, brûlait une lueur de folie.
— J’ai tort de m’inquiéter, chantonna-t-il. Des enfoirés dans ton genre, en taule, j’en ai bouffé des douzaines.
— C’est ce que j’ai entendu dire, ouais. « Le Juge »… Ça aussi, ça va jouer contre toi.
— De quoi tu parles au juste ?
— Laisse tomber. En tout cas, t’as la gueule du casting, crois-moi. Tu vas être déféré devant le juge dans la journée et tu vas retourner en préventive.
— J’vais t’faire une fleur, murmura le peintre en avançant son coude sur le bureau comme un poivrot sur un zinc. Avant de rameuter la cavalerie, regarde bien mon tableau. La solution est à l’intérieur.
— Quelle solution ?
— T’es un bon flic, railla-t-il. J’te fais confiance. Tu finiras par comprendre la vérité. Comment j’ai pu peindre cette toile tout en étant innocent.
Corso se troubla — derrière ses accents de fort en gueule, il percevait autre chose.
Le suspect se leva. Il avait retrouvé sa superbe de prince des caniveaux.
— Mais dépêche-toi, conclut-il en lui faisant un dernier clin d’œil. N’oublie pas : Sobieski, c’est politique.
— On est bon ou on n’est pas bon ?
Bompart avait déjà prévu une nouvelle conférence de presse dans la journée. Elle comptait sur une annonce officielle pour river leur clou aux journalistes et apaiser le grand public. Debout face à son bureau, Corso essayait de la calmer et d’obtenir encore du temps.
— On est bon, confirma-t-il, mais…
— Il a avoué ?
— Non… et il y a des problèmes.
— Quels problèmes ?
En quelques mots, il expliqua l’histoire du système d’alarme et des caméras.
— Putain de Dieu, siffla-t-elle entre ses dents.
La chef de la Crime avait déjà obtenu l’autorisation pour la perquisition nocturne de Corso. Mais là, il s’agissait de tout autre chose : la violation du domicile d’un suspect.
— T’affole pas, essaya-t-il d’argumenter, on doit pouvoir négocier.
— Ah bon ? Avec qui au juste ?
— Avec Sobieski et son avocat. L’enfoiré redoute qu’on bouscule ses témoins, Junon Fonteray et Diane Vastel. Elles peuvent être notre monnaie d’échange.
— Où tu te crois ? Dans une prise d’otages ?
— Tu vois ce que je veux dire.
Il y eut un silence.
— Je ne peux donc pas faire de communiqué, conclut-elle avec déception.
— Laisse-moi la journée. Je vais trouver autre chose. Mon groupe est en train de passer au tamis son atelier, ses comptes, ses maîtresses. Sobieski pourra toujours nous attaquer plus tard, la puissance de l’accusation balaiera tout.
Bompart ne répondit pas, elle paraissait sceptique.
— Je te dis que ce soir, on aura du lourd.
— Que Dieu t’entende.
Corso fila dans le bureau de Krishna. Le procédurier savait comment rédiger des constates qui ne prêtaient à aucune critique — Krishna n’était pas seulement un maître de la langue administrative, il avait passé le barreau et ne craignait personne en matière de procédure.
Après l’avoir briefé, Corso précisa :
— Mais attention, c’est un brouillon.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Tu n’envoies rien, tu le montres à personne. Je ne sais pas où on va sur ce coup.
Krishna, derrière ses lunettes, ressemblait à un cahier de géométrie : le cercle et le carré, le crâne chauve et la monture d’écaille. Il n’aimait pas les sorties de route.
— Je comprends pas. On risque quelque chose ?
Corso se passa la main sur le visage.
Comme un fait exprès, Barbie déboula dans le bureau du scribe.
— Qu’est-ce que tu fous là ? interrogea Corso nerveusement. Tu devrais pas être à l’atelier de Sobieski ?
— J’en reviens. On a presque fini.
— Déjà ?
— Justement, déjà.
Barbie avait sa tête des mauvais jours, l’œil inquiet et les joues rouges.
Elle considéra Krishna une seconde puis demanda à Stéphane :
— Tu peux venir un instant ?
Dans le couloir, la petite fliquette passa à table.
— On a rien, fit-elle à voix basse, le souffle altéré. La police scientifique a même pas trouvé une empreinte incriminante chez Sobieski. S’il baisait avec Sophie et Hélène, c’était pas chez lui.
— Aucune trace de sang ?
— Que dalle.
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