— Si on jetait un coup d’œil dans les jumelles pour nous rendre compte.
Kovask grimpa sur le capot de la jeep pour inspecter les lointains.
— Je vois des fumées du côté du terrain d’aviation signalé par une manche à air.
— Le monastère est debout ?
— Sur la gauche, oui… Le village aussi, mais je crois que ce n’est qu’une apparence.
— Nous y allons carrément ? Ils vont être rudement surpris de cet afflux de sauveteurs alors qu’ils n’ont pas dû voir grand monde jusqu’à présent.
— N’oublie pas l’hélicoptère.
Paulo di Maglio n’eut pas tout de suite des soupçons sur la nouvelle attitude conciliante du technicien de la maintenance. Le premier soir il remarqua seulement qu’Umberto Abdone paraissait simplement moins surexcité.
— Je pense qu’il a réfléchi, dit-il, et que nous parviendrons au bout de nos travaux sans avoir à redouter sa trahison.
Il avait des mots définitifs, des mots de militant. Umberto devenait un social traître dans son esprit, de même Macha Loven montrait trop d’individualisme dans son enquête. Il aurait aimé qu’elle accepte qu’il en parle à ses camarades, qu’une grande opération soit même organisée.
— Non, disait-elle. Dès que vous découvrirez que le même argent a peut-être servi aux Brigades Rouges, vous abandonnerez ou bien vous pratiquerez une forme de censure.
Désormais le travail allait vite et ils décidèrent que vers la fin de la semaine ils pourraient commencer à récupérer le fruit de leur longue patience et des efforts fournis.
La première chose qu’ils demandèrent à l’ordinateur fut un chiffre approximatif de l’argent véritablement détourné de ses buts commerciaux et qui disparaissait en Italie même. Le chiffre fut tel qu’ils se regardèrent interloqués.
— Nous avons dû commettre une erreur quelque part, dit Paulo… Confondu les dollars avec les lires.
— Je ne pense pas, dit Macha. J’ai surveillé ce point avec attention mais il est possible que nous ayons oublié quelques éléments de soustraction.
— S’il faut tout revoir, dit Paulo, ce sera à nouveau des nuits et des nuits de fatigue et de vérification monotone… Sans parler d’Umberto Abdone qui recommencera à nous ennuyer… Je ne le supporterai pas.
— Il ne nous ennuiera pas, dit Macha.
Paulo la raccompagnait chez elle dans sa Lancia, et il parut surpris par son ton déterminé. Il s’immobilisa au feu rouge, parut ne pas le voir passer au vert.
— Que veux-tu dire ? Tu lui fais confiance ?
— Pour le moment, oui.
Elle réussit à éviter d’avoir à donner d’autres précisions, mais di Maglio dut ruminer toute la journée car le soir même, au petit bistrot où elle le rejoignit, il lui fit un accueil assez froid.
— Il est possible, dit Macha, que nous ne soyons pas forcés à une vérification fastidieuse si de mon côté à la S.W.I.F.T. j’effectue quelques vérifications. Dès aujourd’hui j’ai commencé, d’ailleurs.
— Tu prends des risques.
— Pas tellement. De plus je vais passer tout de suite, ce soir même, à une phase que nous avions gardée pour la fin. Au lieu de progresser de façon logique, en obtenant le montant exact des sommes du terrorisme, nous allons essayer d’obtenir quelles banques reçoivent ces sommes. Nous opérerons à rebrousse-poil si tu préfères. Les banques, puis les conditions spéciales de ces transferts, les camouflages, et enfin la somme.
— Tu as l’air de vouloir en terminer vite.
— C’est exact, dit-elle.
— À cause d’Umberto Abdone ?
— À cause de lui bien sûr mais aussi parce que je crains que nous n’attirions l’attention, même s’il s’abstient de nous dénoncer.
— Tu sembles vraiment penser qu’il ne représente plus un grand danger pour nous.
Macha respira à fond. Elle avait décidé de ne rien cacher de ses relations avec Umberto Abdone.
— C’est vrai, dit-elle. Il est déjà venu deux fois chez moi entre midi et deux heures et nous avons fait l’amour… C’était tout ce qu’il demandait.
Paulo di Maglio ne parut pas réaliser tout de suite ou alors réussit à encaisser le coup mais cela ne dura pas.
— C’est… c’est une attitude irresponsable, bégaya-t-il… Un réflexe bourgeois… Je croyais que tu étais une femme libérée, incapable d’utiliser ta beauté, ton corps, ton sexe pour arriver à tes fins… Tu ne vois pas qu’en agissant ainsi tu enlèves toute pureté à nos recherches, que cette enquête devient malsaine, ressemble plus à de la vengeance qu’à une mise en accusation de la société et du système capitaliste ?
— Je ne vais pas si loin, dit-elle… L’attentat de Bologne m’a atteinte dans ma chair vive et j’ai décidé de savoir par qui, comment avait été perpétrée cette horreur. Au début j’agissais parce que j’étais frustrée dans mon amour, mais ensuite je me suis dépouillée de cet esprit de vengeance, dit-elle… J’ai utilisé Umberto à ma façon. Il aurait exigé que je lui fasse un plat de pâtes à la sauce tartempion je lui aurais fait des pâtes à la sauce tartempion. C’est tout. Nous ne pouvions le neutraliser autrement. Je l’aurais acheté si j’avais pu. La véritable pureté politique aurait voulu que nous le supprimions, non ? Mais nous n’en étions capables ni toi ni moi et nous n’en avions pas envie.
— Tu avais envie de te l’envoyer, ricana Paulo.
— Non, pas davantage.
— Il t’a fait jouir ?
— Pas la première fois, répondit-elle franchement. J’étais contractée, à la limite de l’écœurement mais hier je ne sais pas pourquoi, oui… Pourtant je ne voulais pas mais il est très habile, sait exactement ce qu’une femme peut vraiment désirer.
— Un amant de qualité, ricana Paulo, mais elle sentait combien il souffrait.
Elle aurait voulu trouver les mots réconfortants, poser la main sur son bras.
— Tu aurais préféré que je nie, que je joue la fille digne et dévouée qui a subi les derniers outrages pour accomplir sa mission sacrée, venger son amour et pourfendre le mal ? Tu te rends compte que je suis sur cette affaire depuis des mois, que j’ai dû te supporter toi, ton militantisme, ton étroitesse d’esprit, ton obstination dialectique, que j’ai dû aussi supporter d’autres avanies, supplier des gens pour obtenir d’eux un mot, une adresse, un débris d’information, tiens même le professeur Montello a exigé d’être payé.
— Tu couches avec tout le monde, alors ? Combien d’hommes t’es-tu envoyé pour poursuivre cette enquête ?
— Juste Umberto Abdone… Montello c’est différent. À ses moments il se transforme en petit garçon vicieux qui n’a besoin que d’une main secourable.
— Je t’en prie, murmura-t-il.
Ils arrivaient devant l’entrepôt de l’entreprise et le gardien venait vérifier leurs visages avant d’ouvrir le grand portail. Il embraya brutalement et elle ne dut qu’à sa ceinture de ne pas aller cogner le pare-brise.
— Tu es déçu de quelle façon ? Politiquement ou sexuellement ? Si tu veux coucher avec moi je ne vois pas pourquoi je m’y refuserais, dit-elle un peu trop sèchement.
— Je viendrais en dernier, n’est-ce pas ?
— Je ne pensais pas que c’était nécessaire entre nous. Mais si vraiment tu as cette faiblesse, je ne peux te refuser ça.
Il sortit de la voiture arrêtée sur le parking, se dirigea vers les bâtiments. Elle ne fit aucun effort pour le rejoindre et cette nuit-là ils n’échangèrent que le strict nécessaire. Pourtant Macha obtint de l’ordinateur les noms de quatre banques internationales qui paraissaient avoir reçu des fonds destinés à l’action terroriste, et devant le visage fermé de Paulo, elle n’eut même pas la force de s’en réjouir.
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