— Nous sommes quittes, dit-elle sèchement.
Mais elle venait de déchaîner Petrus qui se jeta sur elle, la frappa avec son poing au menton. A moitié groggy elle vacilla sur ses jambes. Il la saisit aux cheveux et la tira derrière lui, pénétrant dans la cuisine. Elle serrait les dents, les yeux pleins de larmes mais n’aurait crié pour rien au monde. Il ouvrit un tiroir, un autre, les jetant ensuite sur le carrelage jusqu’à ce qu’il trouve un long couteau de cuisine. Il le prit de la main droite, souleva sa victime par les cheveux à bout de bras. Puis il mit la pointe du couteau sur le ventre à nouveau découvert :
— Tu sais ce que c’est une césarienne, hein ? Où sont les lettres ?
— Je les ai remises au solicitor. Je suis sortie très tôt ce matin.
— Non.
D’un sourire méchant il désigna le collant et le slip qui séchaient sur le radiateur du chauffage central :
— Tu n’es pas sortie. Tu les laves chaque soir et les remets le lendemain. Où sont les lettres ?
Il la piqua avec la pointe du couteau un peu en dessous du nombril. Malgré ce qui s’était passé avec Billie il sentait renaître son désir et cette puissance sexuelle le rendait ivre de fierté. N’avait-il pas une fois fait l’amour six fois dans une seule journée ? Il se sentait le plus fort.
— Les lettres ?
Ella lut sa mort dans ces yeux mobiles et affolants. Elle y lut aussi la montée d’un désir forcené.
— Dans mon sac… Sur le lit de ma chambre… J’allais sortir.
Petrus la traîna derrière lui pour vérifier ses paroles, la lâcha avec un grognement de joie en voyant le sac. Il l’ouvrit, en sortit la grande enveloppe pliée en deux, la déchira, pour prendre les deux enveloppes plus petites.
Lorsqu’il se retourna Ella tenait à la main un scalpel effilé comme une lame de rasoir. Sans le savoir elle avait choisi l’arme qui seule pouvait faire reculer Petrus. Il avait peur des rasoirs, des couteaux lorsqu’un autre que lui les maniait. Dans sa jeunesse il avait failli être égorgé par un gang de jeunes, avait serré entre ses doigts la lame d’un rasoir à manche. Depuis il portait encore les cicatrices. Il se souvenait de ces quatre doigts à moitié sectionnés, de ce sang qui giclait et qui avait même affolé son agresseur. Il recula vers le mur.
— Sortez, sortez vite sinon je ne sais pas ce que je vais faire, dit-elle d’une voix retenue, rauque. Il eut l’impression d’entendre feuler une panthère.
— Ecoutez, dit-il en passant sa langue sur ses lèvres sèches…
Il pensait à son Colt mais c’était trop dangereux de tirer dans cette maison. Il n’en sortirait pas. Il avait les lettres et pour l’instant, c’était l’important.
— Je m’en vais, dit-il, mais ne recommencez jamais à vouloir écrire ce genre de lettre…
— Partez.
Elle s’approchait et le scalpel nickelé jetait des lueurs inquiétantes. Il reculait, s’embrouillait les jambes, faillit même tomber. Sans savoir comment il se retrouva dans le couloir, ouvrit la porte sans oser lui présenter son dos. Il savait qu’une personne exaspérée peut profiter d’un tel mouvement pour oser tuer.
La porte s’ouvrit et il continua de reculer jusqu’à ce qu’il soit sur le palier. Ella repoussa la porte, tourna le verrou. Puis elle jeta le scalpel avec dégoût. Jamais comme dans ces dernières minutes elle n’avait éprouvé le besoin de tuer, de tuer sauvagement en tranchant la gorge de cet homme. Il ne saurait jamais combien il avait été à deux doigts de mourir lorsqu’il était en train d’ouvrir son sac pour y prendre l’enveloppe. Elle se dégoûtait profondément et se dirigea avec accablement vers la salle de bains. Elle avait les yeux rouges parce qu’il lui avait tiré les cheveux et une petite douleur cuisante au-dessous du nombril. Elle y écrasa une petite goutte de sang. Son menton lui faisait mal et paraissait gonfler à la suite du coup de poing. Elle n’aurait jamais cru un homme capable de tant de sauvagerie, sauvagerie qui avait fini par trouver un écho en elle, ce qui la troublait encore plus. Comme l’avait troublée le désir de ce tueur.
Furieux, des idées de meurtre dans la tête, Petrus roulait à l’aveuglette. Il ne savait plus ce qu’il faisait et faillit griller un feu rouge. Un cop noir le menaça de son doigt levé et il se calma d’un seul coup. Ce n’était pas le moment de se faire interpeller. Il avait une arme et pas d’autorisation. Et puis aussi ces deux lettres qu’il n’avait pas encore détruites.
Il roula jusqu’à ce qu’il arrive dans la partie de Watts non reconstruite depuis 65. Il descendit de voiture, alluma une cigarette et regarda autour de lui. Les ruines étaient envahies par des clochards, des hippies, des chiens et des rats. Il s’enfonça entre les murs écroulés, trouva enfin un endroit tranquille. Il ouvrit les enveloppes. Chacune des femmes expliquait ce qui s’était passé au mois de mai, dans quelles conditions elles avaient été forcées d’obéir. Les dates étaient précises ainsi que le détail.
Ce qui fit dresser ses cheveux nouvellement courts sur sa tête ce furent les souvenirs des enfants, de la petite fille Flossie. Elle décrivait avec fidélité l’endroit où elle avait été retenue, avec son frère, durant plusieurs jours, parlait de la dame blanche, blonde et qui avait des dents en or. Petrus connaissait cette femme, cette maison réellement entourée de vergers et dotée d’un petit bassin d’eau pour les enfants. Il jura entre ses dents puis mit le feu aux feuillets, veillant à ce qu’ils brûlent entièrement avant de disperser les cendres dans les ruines. Il brûla également les trois enveloppes.
Il s’était laissé emporter par sa rage et avait oublié de demander des précisions sur cette vieille Italienne au grand cabas à Diana Jellis. Il regrettait de s’être montré aussi violent ce qui avait rendu impossible toute discussion avec la gynécologue. Mais il était certain de les avoir suffisamment épouvantées, elle et sa sœur, pour qu’elles ne recommencent plus le coup des lettres. Devait-il avertir Simon Borney de cet incident ? Etait-ce bien utile ? Bien prudent, alors qu’il était le seul maillon entre les deux sœurs et Simon Borney ? Lui disparu, on ne le retrouverait jamais. Mieux valait se taire.
Revenu dans sa voiture il ne démarra pas tout de suite. Il arrangea sa cravate, examina son oreille où apparaissaient les quatre coups de griffe de Billie. D’ailleurs elle était douloureuse et le sang battait dans une veine. Il songeait à Ella, à ses longues cuisses rondes, à son ventre luisant. Un jour il reviendrait chez elle et si elle ne voulait pas de lui la violerait longuement.
Ayant emprunté la petite voiture de la Mamma il arriva devant l’entrée des anciens studios d’une célèbre compagnie, vers 11 heures du matin. Un gardien, quelque peu négligé dans sa tenue, mais la chaleur excusait bien des choses, vint lui ouvrir la porte monumentale, se pencha à la vitre.
— Vous trouverez votre ami dans le steamer à aubes. Vous n’avez qu’à aller jusqu’au bout de l’allée puis vous verrez les pancartes. Vous ne pouvez pas vous tromper.
Après plusieurs détours, ayant traversé le village western, longé plusieurs maisons dignes de figurer dans un film sur la guerre de Sécession, il aperçut le steamer, du moins l’arrière reconstitué d’un bateau à aubes du Mississipi. Un gros homme se balançait dans un rocking-chair sur le deuxième pont, non loin de l’une des hautes cheminées caractéristiques.
Le sénateur agita son Stetson en guise de bienvenue et Kovask le rejoignit sur le bateau. Celui-ci était construit sur un petit lac aux eaux sales.
— Les termites vont tout bouffer si on n’y prend pas garde, dit le sénateur Holden retirant son Havane de sa bouche pour parler. Dire que ces studios ont connu une animation fébrile. C’est parce que je possède des actions de propriété que je vous ai fixé ce rendez-vous ici. Mais il m’arrive de me promener une fois ou deux dans l’année dans ce royaume de l’illusion. Plus loin il y a le village autrichien, tyrolien si vous préférez, et la machine à fabriquer la neige fonctionne encore, par là il y a des tranchées de la grande guerre avec barbelés, trous d’obus et cadavres à demi-ensevelis dans la boue. Il m’arrive d’y méditer. Je sais bien que ce n’est qu’un décor mais j’ai connu ça. Je me suis engagé dans la dernière année du conflit. Je n’avais que seize ans. Asseyez-vous.
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