Il y avait eu deux appels téléphoniques à mon nom et un mot de Belle. Je ne lus pas plus loin que « Dan chéri », en jetais les morceaux au panier et prévins le standard d’éviter de me passer Mrs Schultz ou ses messages. Je me rendis à la comptabilité et m’informai auprès du chef de bureau des moyens de trouver le nom de personnes ayant été propriétaires d’actions remises en circulation. Il dit qu’il ferait de son mieux pour me donner satisfaction et je lui énumérai, de mémoire, les numéros des actions que j’avais eues en portefeuille à l’origine. Ce n’était pas un exploit, nous avions émis exactement mille actions au départ ; j’avais été propriétaire des cinq cent dix premières, desquelles provenait le fameux cadeau de fiançailles à Belle.
En revenant à mon bureau, je trouvai McBee qui m’attendait.
— Où étiez-vous ? demanda-t-il.
— Un peu partout. Pourquoi ?
— Voilà une réponse qui ne me suffit pas. Mr Galloway vous a cherché à deux reprises aujourd’hui. J’ai dû lui avouer que j’ignorais où vous étiez.
— Oh ! pour l’amour du ciel ! Si Galloway a besoin de moi, il me trouvera bien tôt ou tard. S’il passait à vanter la marchandise la moitié du temps qu’il consacre à imaginer des annonces insolites, les affaires de la maison marcheraient mieux !
Galloway commençait à m’ennuyer. Il était censé être directeur des ventes, mais me semblait surtout occupé à chercher noise au département chargé de la publicité. J’avais évidemment quelques préjugés en ce domaine : le rôle de l’ingénieur ayant toujours été le seul à m’intéresser, tout le reste avait tendance à me paraître futile et manipulation de paperasses. Je savais que Galloway avait besoin de me voir, et, à vrai dire, je me défilais. Il voulait m’affubler de costumes 1900, pour des photos. Je lui avais dit qu’il pouvait me faire photographier autant qu’il le désirait en costumes 1970, mais que 1900 était de douze ans antérieur à la naissance de mon père. Il prétendit que personne ne verrait la différence, à quoi je lui répondis un peu brièvement et il me reprocha mon comportement.
Les gens habitués à se moquer du public ont tendance à croire qu’ils sont seuls à savoir lire et écrire.
— Votre attitude n’est pas ce qu’elle devrait être, monsieur Davis, reprit McBee.
— Vraiment ? Je le regrette.
— Vous êtes dans une position plutôt spéciale. Vous êtes attaché à mon département, mais je dois vous rendre disponible pour le service publicitaire quand ce dernier a besoin de vous. Je crois que dorénavant vous feriez bien de pointer comme tout le monde… et vous viendrez me voir quand vous aurez à quitter votre bureau pendant les heures ouvrables. Veillez-y, je vous prie.
Je comptai lentement jusqu’à dix.
— Dites-moi, Mac, est-ce que vous pointez en arrivant ?
— Hein ? Vous oubliez que je suis ingénieur en chef.
— C’est vrai, c’est noté là sur cette porte. Mais comprenez, Mac, que j’ai été ingénieur en chef de cette boîte avant que vous commenciez à vous raser. Est-ce que vous vous imaginez vraiment que je vais accepter de pointer ?
Il devint écarlate.
— Comme vous voudrez. Mais je vous préviens qu’en cas de refus, il sera inutile de passer à la caisse en fin de semaine.
— Vraiment ? Ce n’est pas vous qui m’avez engagé, je ne vois donc pas comment vous pourriez me renvoyer.
— Nous verrons. Je puis en tout cas vous faire transférer de mon département au département publicitaire, qui est celui de votre affectation si vous avez droit à une affectation quelconque. (Il lança un coup d’œil à ma machine à dessiner :) Il est évident que vous ne produisez rien ici. Cette machine coûteuse ne peut rester ainsi sans rendement.
Il me fit un bref signe de tête et disparut.
Je sortis sur ses talons. Un coursier apportait une grosse enveloppe qu’il plaça dans mon casier, mais je ne m’attardai pas à examiner ce qu’elle contenait.
Je me rendis au bar réservé aux chefs de service pour y fulminer à mon aise. Cette buse de Mac pensait qu’un travail productif devait se faire au métronome. Pas étonnant que la firme n’ait rien sorti depuis des années…
Qu’il aille au diable ! De toute façon, je n’avais pas l’intention de rester attaché à la maison. Environ une heure plus tard, je retournai à mon bureau et y trouvai une autre enveloppe à mon nom. Je crus que Mac avait mis ses menaces à exécution.
Ce n’était que la Comptabilité qui m’écrivait :
Cher Mr Davis,
En réponse à la demande que vous nous avez faite concernant certaines actions de la maison, nous avons l’honneur de vous informer que durant la période s’étendant du premier trimestre 1971 au deuxième trimestre 1980, les dividendes en ont été versés au nom de Heinicke. Notre réorganisation ayant eu lieu en 1980, la documentation qui nous reste de cette époque semble incomplète. Pourtant, il apparaît que les parts équivalentes ont été vendues, à ce moment-là, au Cosmopolitan Insurance Group, qui les détient encore à présent.
Quant au deuxième lot, moins important que celui-ci, il était bien détenu par une Mme Belle Gentry. En 1972, cette part fut assignée au nom de la Sierra Acceptance Corporation, qui s’en débarrassa en la mettant en vente « à la pièce ». En y consacrant davantage de temps, il serait peut-être possible de retrouver trace de manipulations supplémentaires.
N’hésitez pas à faire appel à notre Service au cas où il pourrait encore vous être utile. Nous sommes à votre disposition.
Y. E. Reuther. Chef Comptable.
J’appelai Reuther pour le remercier et lui dire que j’avais les renseignements qui m’intéressaient. Mon projet initial, qui consistait à assigner mon avoir à la petite Ricky Gentry, avait donc manqué son but. Pour le moment il ne m’intéressait pas de retrouver la trace de ceux qui s’en étaient emparés ; j’avais la certitude que c’était soit Belle, soit des gens agissant pour elle. A cette époque elle projetait sans doute déjà de filouter Miles. A quoi bon la confronter avec ces histoires passées ? Le stock avait disparu et Belle était à sec.
Apparemment, elle s’était trouvée à court au moment de la mort de Miles et avait vendu une petite part des actions. Ce qui avait pu arriver à ces actions ne m’intéressait pas du moment qu’elles étaient sorties des mains de Belle. J’avais oublié de demander à Reuther de faire les mêmes recherches au sujet de la part de Miles… peut-être ces recherches me mèneraient-elles à Ricky bien qu’elle ne détînt pas la part en question. Mais la journée de vendredi était déjà avancée, je demanderais ce renseignement lundi.
Je voulais, à présent, ouvrir la grosse enveloppe, car j’avais vu l’adresse de l’expéditeur.
J’avais, début mars, écrit au Bureau des Brevets, au sujet des Brevets d’origine du Robot U 1 et de la machine à dessiner Aladin. Ma première conviction que le robot en question pût dériver de mon propre Robot-à-tout-faire avait été ébranlée par mon expérience avec la machine à dessiner. Il me paraissait plausible que le génie ayant conçu un travail si proche du mien, au point de me troubler, ait pu se trouver une deuxième fois dans une situation analogue pour le Robot U 1. Cette théorie se trouva confirmée par le fait que les deux brevets dataient de la même année et avaient été détenus à l’époque par Aladin.
Il me fallait cependant savoir. Si cet inventeur était encore en vie, il me fallait le rencontrer. Il pourrait me renseigner sur quelques points précis.
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