— Les copains du Polonais, je gage ? demande Jérémie.
— Exactement !
— Et le Polak ?
— Il avait quitté l’exploitation un mois auparavant afin de regagner l’Europe. Effectivement, on a retrouvé sa trace dans un hôtel de Berlin où il séjourna quatre jours.
— Donc, fait Fräulein Dübitsch, il n’a pas été inquiété ?
— Non, mais avec l’aide de nos confrères britanniques, je suis parvenu à établir que l’aventurier avait pris un avion à Copenhague pour l’Afrique du Sud l’avant-veille du vol. Il a voyagé sous une fausse identité. Au Cap, il a emprunté une ligne régulière pour Windhoek, si bien qu’au moment du coup de main il pouvait être à la mine. Ma conviction est QU’IL Y ÉTAIT et qu’il a dirigé les opérations avec son brio coutumier. Aussitôt après, il a liquidé ses complices et a disparu sans laisser de trace.
— Et la camelote ? s’enquiert le Pertinent. Tu croives qu’y le la emportée av’c lui ensuite ?
— Impossible ! Les containers de plomb, même vides, sont intransportables par un seul homme.
— Et alors, Nestor ? fait le Gros avec sa goguenardise made in Saint-Locdu-le-Vieux, son village natal autant que normand.
— Une certitude s’est lentement forgée en moi : je crois que la cargaison n’a jamais quitté ce pays.
— Vraiment ? égosille Gretta Dübitsch.
— Je ne vois pas d’hypothèse plus valable. Sitôt que le vol a été découvert, le pays s’est trouvé en état de siège. On l’a exploré avec un déploiement de moyens extraordinaires. Or jamais la moindre trace d’uranium n’a été relevée. Nulle part on n’a signalé de chargement suspect. À croire que les containers se sont désintégrés. J’en suis arrivé à la conclusion que, immédiatement après l’enlèvement des caissons plombés, Toutanski est allé planquer ceux-ci dans une cache préparée à l’avance avec l’aide de ses acolytes.
« L’endroit doit être astucieux, peut-être inexpugnable ; de tout repos, en tout cas. Sitôt l’uranium hors d’atteinte, il a liquidé son équipe, parce que la plus élémentaire prudence l’obligeait à le faire. AUCUN TÉMOIN ne devait subsister, sinon tout était compromis. Ce type connaissait les hommes ; il n’ignorait pas que personne n’est fiable longtemps ; tôt ou tard, l’un de ses complices, alléché par quelque forte prime, se mettrait à table. Alors il a fait place nette. Et il est parti ailleurs en attendant… »
— En attendant quoi ? demande Jérémie Blanc.
— Que le temps « fasse son œuvre », comme écrivent les pompelards de la plume. Que le calme revienne et que les intéressés finissent par tirer un trait sur la cargaison volatilisée. Il se savait à la tête d’une colossale fortune, avec un tel butin. Plus les années passeraient, plus il aurait les coudées franches pour effectuer des tractations juteuses. Une nature ! On pourrait faire un sacré film avec ses tribulations !
Elle semble vachement rêvasseuse, Gretta, à l’écoute de ce récit. Sa caberle fait le Tampax saturé. Ça se bouscule dans sa musette à idées…
Jérémie murmure :
— Tu expliques comment l’intervention des gars qui ont zingué la vieille, hier ?
— Je vous le répète : on a voulu nous prendre de vitesse. Lorsque les Services secrets de Namibie ont su notre reprise de l’enquête si longtemps après le vol, ils ont décidé de nous couper l’herbe de la savane sous les pieds : d’où cette expédition au domicile de Margaret Ferguson. C’est pourquoi ils ont questionné la vieille, l’ont butée, puis ont emporté des choses susceptibles de leur être utiles. La loi de la jungle ; n’est-ce pas, Fräulein Gretta ?
Elle hausse les épaules et se drape dans un mépris flétrisseur.
— Naturellement, vous me soupçonnez ? fait-elle.
— Naturellement ! répété-je en écho [6] Toujours, dans mon genre de vice-sous-littérature, les interlotrouduculteurs « répètent en écho ». Cela est incontournable, il faut l’accepter !
.
Je lui propose une autre tasse de caoua, mais elle refuse :
— Sans façon : je lui trouve un drôle de goût.
— Y a rien de plus pernicif que le café, décrète Sa Majesté bedonnante ; moive, si j’ m’ écoutererais, je boirerais qu’ çui d’ ma bourgeoise. J’ veuille pas médire, mais Berthe fait le mélieur jus du monde et d’ sa périphérance.
— Puisque votre petit déjeuner est achevé, accepteriez-vous que nous ayons une conversation privée ?
— Si vous y tenez.
— Alors sortons un instant.
Il y a, tout près d’ici, un angle de rues planté de quatre arbres, faisant vaguement songer à un square ; d’ailleurs j’ai cru y apercevoir un banc.
Nous nous y rendons à pas d’amoureux. Nos doigts se frôlent comme, jadis, dans les chansons du bon Tino Rossi.
— Ainsi, vous n’avez pas confiance en moi ? demande la belle Allemande en se déposant sur les cannelures du siège.
— Réfléchissez, ma vaillante amie : vos services, lorsque nous nous présentons chez eux, n’ont rien de plus pressé que de vous parachuter dans notre petit groupe. N’étant plus des enfants, nous comprenons illico qu’en réalité vous êtes davantage chargée de nous surveiller que de nous assister.
— Et quand ce serait ? Le vol d’uranium que vous essayez d’élucider a eu lieu dans notre pays et affecte une compagnie nous appartenant. Qu’on vous laisse procéder à un supplément d’enquête est un signe de grande tolérance de la part de notre gouvernement.
— Vous oubliez qu’un tel forfait concerne toute la Terre, ma chérie !
— Ne m’appelez pas « chérie » car vous allez m’exciter, et vous avez été témoin de quelques-uns de mes débordements. Je souffre d’une forme d’hystérie consécutive à un viol que j’ai subi dans mon enfance.
Ce disant, elle pose sa main de volupté sur la cage à extase qu’est mon bénoche, comme l’écrit le merveilleux astrophysicien Hubert Reeves dans son ouvrage intitulé : Souviens-toi de ton futur [7] Je lis tous les books de cet homme éminent. Si t’es pas tout à fait aussi con que tu en as l’air, je t’engage à faire de même ! Merci, monsieur Reeves. Pas surprenant que vous racontiez si bien le Big-Bang, vous ressemblez au bon Dieu !
. Je croise vivement les jambes afin de calmer ses violeries audacieuses.
— C’est dommage ! s’apitoie-t-elle sur son sort. Moi qui vous gardais pour la bonne bouche !
— Vous me flattez, mais nous devons parler.
— On a toujours le temps de parler « après ».
— Détrompez-vous : nous n’existons que par nos actes !
Je regarde subrepticement l’heure. Le délai « d’attente » est passé, concernant la petite expérience à laquelle je me livre sur cette frénétique de la moule à crinière. La capsule que j’ai versée dans sa tasse agit.
— Vous ne savez donc rien des gens qui ont tué la mère Ferguson ?
— Rien ! Lorsque vos yeux se plantent dans les miens, je me prends à mouiller comme une folle.
Malgré cette intéressante révélation, je continue :
— Vous vous doutez bien que le commando d’hier a été dépêché par vos Services ?
— C’est probable.
— M. Julius Schaub ?
— Il est trop imbu de ses fonctions pour prendre un risque de ce genre !
— Alors, son collaborateur aux manières efféminées ?
— Sans aucun doute.
— C’est l’éminence grise de la maison ?
— En quelque sorte le patron de l’illégalité, si je puis dire.
— Vous estimez qu’il a donné des instructions pour qu’un commando nous précède chez la vieille femme ?
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