Je mets une petite caresse affectueuse sur le museau du chien-chien, histoire de faire plaisir au maî-maître… Mais le chien-chien aime pas le poulet et il se met à me grogner après de façon inquiétante.
— Prenez garde, me dit le général, c’est un véritable fauve !
Merci du tuyau… J’ai déjà eu des ennuis avec un berger allemand l’an passé et j’ai pigé ma douleur !
Le général confie la laisse avec ce qu’il y a au bout au planton et m’entraîne vers un bureau aussi solennel qu’une grand-messe chantée à Notre-Dame.
Du lambris doré, de la moulure en plâtre, du tapis vert usé, du mobilier d’acajou faux en pire… Du portrait de militaire… Du militaire !
Je m’insinue dans les brancards d’un immense fauteuil. Il prend place derrière son burlingue et croise ses deux mains blanches conservées dans de la peau de pécari.
— Je vous écoute.
Je me mets au baratin. Le plus simple étant de lui narrer les faits tels qu’ils se présentent, je lui fais un solide résumé de ce qui précède… Il semble prodigieusement intéressé.
— Par exemple, murmure-t-il quand je verrouille mon clapoir. C’est une aventure insensée !
— Oui, c’est pourquoi j’aimerais potasser le dossier de l’affaire. Est-ce possible ?
— Bien entendu.
Il actionne un timbre électrique et un lieutenant s’annonce. Un beau petit blond avec des yeux noyés d’idéal et un uniforme de chasseur alpin.
Il claque des talons comme un miséreux claque des dents en voyant rappliquer l’abbé Pierre.
— Je vous présente le lieutenant Mongin, fait l’étoilé. Il va vous être utile… C’est un garçon très intelligent.
Le petit zigoto rougit et je lui adresse un bon sourire confiant. On refait l’historique de l’affaire au blondinet qui se croit débarqué dans un film policier… Il écoute religieusement.
— J’ai en effet vu ce dossier dans nos archives, dit-il. Je vais le chercher…
Il disparaît. Le général a un geste éloquent pour souligner l’intelligence et l’efficacité de ses subordonnés. J’opine. Nous échangeons quelques considérations sur la flotte qui continue de tomber à pleine bourre. Puis le blondinet se la radine, porteur d’une chemise cartonnée plus poussiéreuse qu’une bouteille de mercurey 1929.
Il souffle dessus, ce qui nous donne droit à un nuage radioactif du plus bel effet et l’ouvre.
Il ne me reste plus qu’à me régaler…
* * *
La tartine n’étant pas mon fort (comme dirait l’Amaury), je vous passe subrepticement sous silence les multiples documents relatifs à l’affaire Viaud.
Je vous la résume avec ce sens de la concision, ce don du raccourci et ce parti pris de condensé qui sont les plus beaux fleurons de mon style et qui font écrire aux critiques des choses tellement élogieuses sur mon compte que je ne puis manger désormais que dans de la vaisselle d’argent.
Donc, passez-vous les étiquettes au rince-bouteille et croisez les bras sur la table, je vous déballe le morcif.
Auguste Viaud était représentant pour la France d’une maison de produits pharmaceutiques de Berlin avant la guerre. Quand en 39 le gros boum-boum est arrivé, nature il a moulé ses purges d’outre-Rhin parce qu’il n’y avait pas mèche d’agir autrement. Il est resté chez lui et s’est adonné aux joies discutables de l’espionnage. Il avait dans son grenier un poste émetteur lui permettant de correspondre par ondes courtes avec les mômes vert-de-gris. Sans doute avait-il pris certains contacts avec les boy-scouts d’Hitler au cours de ses voyages au pays de la choucroute ?… Ayant perdu sa situation, Viaud accepta de trahir sa patrie (ici, coup de clairon)… Son appartement devint un bastion de l’espionnage dans le sud-est de la France…, ou, plus exactement, une sorte de bureau de poste. Différents agents allemands siégeaient chez lui et y centralisaient leurs tuyaux que notre brave Viaud câblait chez les Frizous.
Il s’est fait coincer le plus bêtement du monde, par un voisin qui nettoyait son grenier. Le bonhomme perçut le grésillement du poste… Il crut à un incendie et prévint les pompelards qui se la radinèrent avec la grande échelle pour découvrir le petzouille avec un casque d’écoute sur la coiffe.
Ça relevait de la police montée plus que de la lance à incendie ! Les perdreaux succédèrent aux pompezingues et appréhendèrent l’ancien marchand de lavements germaniques qui se retrouva embastillé avant d’avoir eu le temps de dire ouf !
Ce genre de sport vous menait droit dans la rosée en temps de guerre. Viaud passa au tourniquet et se retrouva un vilain matin adossé à un mur avec un chiffon par-dessus ses lunettes.
Je referme le dossier…
Le petit lieutenant de chasseurs me regarde avec un intérêt à au moins quarante pour cent. Le général dessine un diplodocus sur son buvard…
Je fais claquer mes doigts.
— Où Viaud a-t-il été enterré ?
— La famille a réclamé le corps, dit le petit lieutenant. Sans quoi l’acte d’inhumation figurerait dans dossier.
Je me lève.
— Messieurs, il me reste à vous remercier de votre obligeance !
On se distribue des poignées de pattes et je prends congé des galonnés…
Dehors, le déluge n’a pas cessé. Il vase de la hallebarde en fonte renforcée… C’est le moment de sortir sa panoplie de scaphandrier de l’armoire aux mites !
Je cavale à ma voiture qui, maintenant, brille de tous ses chromes. Il faut une averse pour la laver, la pauvrette ! Songeur, je retourne à l’hôtel. La môme Nicole, repeinte à neuf, y piétine la moquette du hall entre deux plantes vertes aux palmes peu académiques.
En me voyant, elle pousse un cri et se précipite sur moi.
— Mais où étais-tu passé ?
— J’étais aux escargots, petite… J’ai toujours eu envie d’avoir un ranch plein de bêtes à cornes.
Elle me bigle, un brin déroutée.
— Mais tu es tout trempé !
Je ne puis nier l’évidence. Pour me justifier je lui désigne le temps pourri.
— Viens te sécher dans la chambre, tu vas attraper la mort !
La mort, je l’attrape par le collet et je m’explique avec elle. Je sais pertinemment que si je grimpe dans la carrée, la môme Production aura une manière bien à elle de me sécher ! Ces gnères, c’est pétroleuse et consorts ! Il ne faut pas leur promettre la camelote sur catalogue ! Elles sont pour les livraisons express !
Je me cintre.
— Non, t’inquiète pas… Viens, on s’offre une petite randonnée sous la baille !
Elle ne paraît pas enthousiasmée, mais c’est une fifille soumise et elle s’installe près de moi à l’avant de mon tombereau.
Nous traçons sur Aiguebelette. Je connais ce coin ravissant de Savoie. Ça se situe entre Grenoble et Chambéry, au pied du mont Lépine… Il y a un lac bleu (d’Auvergne) dans lequel la montagne mire son front olympien [2] Les fronts des montagnes sont olympiens comme les économistes sont distingués.
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Tout y est vert, riant, ferrugineux et antidérapant. Nous y parvenons sur le coup de midi (en réalité on devrait dire le coup d’une heure, midi en comportant douze). Je stoppe devant un bureau de poste grand comme une garde-robe et j’interviewe un facteur qui, la sacoche sur les volets mobiles, s’apprête à aller jaffer.
— Chez M. Carotier, s’il vous plaît ?
Il me désigne un tournant de la route.
— La villa au bord du lac. Mon Repos qu’elle s’appelle…
Je le remercie.
— Où allons-nous ? s’informe Nicole.
— J’ai un client dans la région, puisque je suis de passage…
— Tu travailles dans quoi, au fait ?
— Dans les pneumatiques pour roues de brouettes… On vend peu parce que les brouettes n’ont en général qu’une roue… C’est pourquoi je m’accroche à la clientèle.
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