— Ça doit-être mon amie Estella, dit-elle en se levant, vous m’excusez ?
Je me lève galamment, vu que Félicie, ma brave femme de mère, m’a donné une solide éducation. Maria s’éloigne et je demande l’addition. Si c’est l’amie Estella qui lui tube, moi je suis l’archevêque de Canterbury.
Mon sixième sens : le plus méconnu des dames, mais le plus utile à ma coupable industrie, m’avertit que c’est le dénommé, ou plutôt le surnommé James Hadley qui appelle Maria Vachanski.
En tout cas la conversation ne dure pas, ce qui me confirmerait dans l’impression que c’est un homme et non une sœur qui appelle Maria. Cette dernière revient presque aussitôt. Elle est souriante.
— C’est bien elle, dit-elle. Elle me demande de passer prendre le café chez elle. Je lui ai dit que j’étais en compagnie d’un ami français et naturellement, cette sauvageonne meurt d’envie de vous connaître, cela vous ennuierait de m’accompagner ?
— Du tout, pourtant j’aimerais tellement me promener un peu avec vous. C’est mon premier clair de lune congolais et je ne voudrais pas le rater.
— Rien ne nous empêche de musarder en allant chez Estella.
— Bonne idée.
Nous voilà en pleine décarrade. La nuit est douce comme du velours humide. Une brise bien venue (comme Montparnasse) agite les palmes si académiques des arbres. Des oiseaux nocturnes chantent à leurs femelles les beautés diurnes, comme les amoureux célèbrent la nuit complice de leurs ébats.
— Votre amie demeure loin d’ici ?
— Une dizaine de kilomètres. C’est plus loin que l’aérodrome, dans un endroit de rêve, au bord d’un cours d’eau…
Les pneus de l’auto miaulent doucement dans le goudron ramolli de la route. Nous ne tardons pas à prendre sur la gauche une fois passé l’aérogare. Cette voie secondaire traverse une forêt d’arbres géants aux troncs desquels des plantes parasites forment de curieux festons.
L’ombre est dense. Maria allume les phares. L’auto cahote un brin, because les ornières. J’avance mon bras gauche dans l’épaule de la conductrice et le bout de mes doigts effleure son décolleté. Sa peau est satinée, chaude, émouvante. Elle m’émeut.
Je précise ma caresse. Alors elle soupire.
— Vous allez nous faire arriver un accident, Antoine.
— C’est vrai, conviens-je, il serait plus prudent de stopper.
— Un peu plus loin. Il y a une mine de cuivre non loin de là et c’est plein de baraquements dans cette partie de la forêt.
Je me laisse piloter. Tout à fait entre nous et le Café-Tabac de votre rue, je pense un peu moins à l’enquête. Y a des circonstances dans la vie où il faut savoir vivre au présent.
Nous parcourons environ trois mille mètres. La Street est de plus en plus mauvaise ; la forêt de plus en plus épaisse, la lune de moins en moins visible et mon envie de pratiquer sur Maria Vachanski les sévices mentionnés sur mon carnet de route de plus en plus vive.
Je le lui fais comprendre par des attouchements renouvelés auxquels elle ne reste pas insensible.
— Vous supportez mal les tropiques, murmure-t-elle en coupant le contact de la tire.
Elle a garé celle-ci dans une espèce de clairière et lorsque le moteur cesse de tourner, un silence épais s’abat sur nous. Outre le silence il y a aussi madame Vachanski qui s’abat sur moi. J’en reste baobab.
Elle a dû acheter sa robe à une strip-teaseuse : trois bouton-pression sur lesquels il suffit de faire… pression, et vous avez l’objet sans emballage. Une merveille ! Les gonzesses c’est comme les maisons : elles vieillissent par la toiture mais les murs restent bons. Je vais vous faire une petite révélation, mes frères, histoire de vous porter le cadran solaire à midi : Madame est à loilpé sous sa robe. Parfaitement, ça va sur son demi-siècle et ça se permet de voyager sans se colmater les roberts au béton. Une performance, non ? De quoi vous faire oublier la police, l’Afrique et le savoir-vivre. Je lui interprète vite-fait les Nuits Folles de Saint Pétersbourg, puisque je ne suis pas rétrograde. En pleine forêt vierge, les potes ! À ce taf-là, elle va pas le garder longtemps, son berlingue, la pauvre forêt. Y a les palétuviers qui font bravo, les poivriers qui en sèment, les baobabs qui se prennent pour le tronc des écoles laïques ! Sans parler d’un zoizeau qui joue les voyeurs en faisant un toucan du diable.
Après les Nuits folingues, c’est « Volga en Flammes » qu’on se joue. Quelle science, Madame ! Si cette dame n’a pas lu le Kamasoutra, elle l’a sûrement écrit. Je savais pas qu’il y avait des volcans en Pologne. Comme quoi c’est bien vrai : les françouzes connaissent ballepeau à la géo.
Elle me fait le Lotus effeuillé ; je lui revaux ça avec le candélabre chinois (puisqu’on est en Asie restons-y) ; elle m’apprend le coup du Martien, moi je lui enseigne la tabatière à ressort. Ça boume. On est doué : aussi bon prof et aussi bon élève l’un que l’autre. J’ignorais tout de la fameuse position polonaise que Chopin enseigna à Georges Sand : Varsovice-versa ! Je ne peux pas vous l’expliquer ici parce qu’il y a des moins de seize ans qui écoutent, mais que les dames m’accordent un petit rendez-vous dans un coin discret et je me fais fort de leur apprendre ça en moins de douze leçons.
Comme disait un vieux marchand de melons : j’aime m’en payer une tranche à condition qu’il n’y ait pas de pépins.
Le mal vient de là, les mecs : justement y a des pépins dans la mienne et ils sont aussi gros que celui de feu Monsieur Chamberlain.
Ma brave camarade d’ébats git in the car, exténuée. Son porte-jarretelle s’est pris dans le cerclo du volant et quand elle veut le récupérer, un coup de klaxon rugit dans le sous-bois, éveillant des échos endormis et provoquant des battements d’ailes affolés.
— Ici, au moins, on ne risque pas de réveiller les voisins, remarqué-je.
Elle a un petit rire amusé et se coule contre moi, câline, reconnaissante, comblée (du moins je l’espère).
— Antoine, chuchote-t-elle ; tu es un garçon merveilleux.
Heureux de le lui entendre dire. Une attestation de plus à verser au dossier, quoi. Le jour où je vais déballer mes ex-votos, mes lettres d’amour, et la liste de mes conquêtes, y aura du remue-ménage dans le landerneau.
— Mets la radio, chéri, soupire-t-elle, maintenant ce silence est crispant.
Docile je tripote le bouton (je suis doué) du poste et une musique douce s’élève. C’est une Congolaise qui chante une berceuse à son enfant dans le dialecte Foskaho si cher à Pierre Loti. Les paroles sont, je pense, dans toutes les mémoires.
Kakaho cho, y’a bono
Eleska Ceteski,
etc…
Ça vous chatouille la glande lacrymale jusqu’à l’utérus. C’est d’une nostalgie qui parle aux tripes, comme on dit à la succursale Olida de Caen.
Soudain, j’éprouve une impression étrange. Il me semble percevoir une sorte d’espèce de glissement feutré à l’arrière de la bagnole. Comme à ces heures les reptiles sont couchés, ce bruit suspect ne laisse pas de m’inquiéter.
— Qu’as-tu, mon amour ? soupire la dame de mes pensées licencieuses.
— Ce bruit…
Elle me prend la main et la caresse doucement.
— Mon chéri, nous sommes dans la brousse et non dans les jardins des Champs Élysées.
Elle a raison. Pour la remercier de cette remarque, je lui vote une nouvelle galoche, dite suprême patin, qui ridiculiserait le champion of the world de patinage artistique sur piste cendrée.
À peine lui lâché-je les labiales, histoire de reprendre un peu d’oxygène destiné à ma consommation personnelle, que quatre ombres jaillissent de part et d’autre de la guimbarde. Quand je dis que ce sont des ombres, croyez-moi, c’en sont (et Dalila). Des ombres de nègres habillés de sombre. Ah ! qui dit mieux ?
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