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Frédéric Dard: San-Antonio chez les « gones »

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Frédéric Dard San-Antonio chez les « gones »

San-Antonio chez les « gones »: краткое содержание, описание и аннотация

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Si vous avez des enfants et si vous êtes tatillons sur leur éducation, je ne vous conseille pas de les envoyer à l'école de « Grangognant-au-Mont-d'or ». Et cela pour deux raisons : la première est que ce paisible village de la région lyonnaise est actuellement le siège d'un drame qui bouleverse toute la France : les « gones » y disparaissent les uns après les autres et l'on assassine les maîtres d'école. La deuxième raison est que le nouvel instituteur a pour nom Bérurier ! Je ne vous en dis pas plus !

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Le môme quitte la classe, désespéré.

Béru regagne sa chaire et dépose la photo contre la boîte à craies.

Il se met à la contempler rêveusement, hochant la tête d’un air inquiet.

* * *

Le môme est immobile au pied d’un arbre. Les larmes sèchent sur ses joues fraîches. C’est un petit brunet au regard dégourdi. Je m’approche de lui.

— Qu’est-ce qui t’arrive, Léon ?

— C’est le maître ! fait-il.

— Qu’est-ce qu’il t’a fait ?

— Il a trouvé une vilaine photo et il veut le dire à mon père…

— Ça va chauffer, chez toi ?

— Oh ! oui…

— Où l’as-tu trouvée, cette photo ?

Il se renfrogne.

— D’abord elle est pas à moi. C’est Loulou Dubois qui me l’avait prêtée pour que je la montre à ma grande sœur.

— Quand t’a-t-il prêté cette belle image ?

— La veille du jour où qu’il a disparu.

Je regarde le môme.

— Ton vieux va te caresser les côtelettes au manche de pioche, non ?

— Pour sûr, m’sieur. La dernière fois, c’est quand j’ai cassé un brancard du tombereau : j’ai pas pu venir en classe de trois jours.

— Où Dubois avait-il eu la photo ?

Silence du lardon.

— Tu ne veux pas me le dire ?

Il secoue négativement la tête.

— C’est impossible, m’sieur.

— Ah oui ?

— J’ai craché, m’sieur.

— Comment ça, tu as craché ?

— Le serment, quoi. Loulou Dubois m’a fait jurer que je répéterais pas. Je peux pas…

J’opine.

— Je comprends ta position, fiston ; elle ne manque pas de grandeur, mais Loulou n’est plus là, hélas ! Donc ton serment ne signifie rien désormais.

Et j’ajoute, perfide :

— Si tu me le dis, je demanderai à ton maître d’écraser le coup et de ne rien dire à ton daron.

Il relève sa figure : elle est sale et pleine d’espoir.

— C’est vrai, m’sieur ?

J’étends la main et je crache.

— Parole !

Alors son petit museau s’anime. Il prend une expression de vieille commère.

— Il l’avait volée, m’sieur.

— Sans blague ?

— Parole !

— À qui ?

— À M me Soubise.

— Qui est cette honorable personne ?

— Ben… la chanteuse !

Ça lui paraît tellement évident et il semble porter un tel respect pour la dame en question que je n’insiste pas.

— Où habite-t-elle, M me Soubise ?

— La maison qu’a du lierre, à la sortie du pays. C’est sa maison de véquende, quoi, parce qu’autrement elle demeure à Lyon.

— Et comment a-t-il fait pour lui voler la photo ?

— Il faisait des commissions à M me Soubise. C’est une fois, pendant qu’elle lui préparait la liste, Loulou a ouvert un tiroir ; paraît qu’y en avait plein, des photos comme celle-là. Loulou en a fauché une pour faire rigoler les copains.

Je lui donne une bourrade.

— Vous avez l’air d’être drôlement dessalés dans cette école. Bon, je tiendrai mes engagements, Léon. C’est promis.

CHAPITRE IV

Une ferme transformée ! La pierre est vieille et le lierre luxuriant. Une vaste prairie cerne la maison. On accède à l’habitation par une allée garnie de gravillons de carrière ocres. Depuis la route je tapisse les lieux. Il y a trois chignoles parquées sur la terrasse. Et c’est pas de la tire de congés payés ! Une Cadillac crème décapotable, une Alfa Romeo et une Mercedes 190. La moindre des choses. Je perçois de la musique, des rires, un ronron de conversation ponctué parfois de cris quasi hystéro. Malgré la prodigieuse imagination que vous me connaissez, je cherche un prétexte valable pour m’annoncer dans la taule. Ça me paraît un brin coton. Mais rien n’arrête le pèlerin lorsqu’il a blaze San-Antonio.

Courageusement, je pousse la barrière blanche et je m’annonce vers le living où semble régner un vent de folie. Par les larges portes-fenêtres béantes, j’aperçois une faune assez clitoresque. Il y a là sept personnes : quatre frangines et trois matous. Trois des quatre souris sont jeunes, saoules et décolletées, la quatrième est vachement vioque et fardée à la truelle. Ça fait au moins cinquante ans qu’elle a remplacé son maquilleur par un maçon. Les trois hommes réussissent l’exploit délicat d’être aussi antipathiques les uns que les autres. On devrait désigner la plus sale bouille qu’il faudrait au moins quatorze tours de scrutin pour y parvenir. Il y a là un jeunot à face de belette, un gros adipeux, façon importé d’Orient, à la peau comme de la peau de grenouille ; et un troisième avec plus de carat, cheveux presque blancs, teint rose, œil vicelard.

Au moment où je me pointe, tout ce populo est mélangé de surprenante façon. Les trois messieurs sont vautrés sur un divan grand comme l’esplanade des Invalides, et les trois jeunes bergères se trouvent en travers de leurs jambes, les jupes retroussées beaucoup plus haut qu’à la cour d’Angleterre. La vioque se tient assise en face d’eux et paraît se délecter au spectacle de ces couples empilés. Tout le monde me paraît soit chlass, soit en passe de le devenir rapidement.

Mon arrivée provoque le silence. Y a que le tourne-disque qui continue à moudre du Johnny Halliday comme s’il ne m’avait pas vu.

Je me force un peu et je virgule à la ronde un sourire qui ensorcellerait un essaim de frelons.

— Mande pardon, m’sieurs dames, susurré-je de ma voix à inflexions reconverties, pourrais-je parler à M me Soubise ?

L’une des trois pétasses décolletées jusqu’au nombril lève le bras, ce qui m’offre une découverte imprenable sur une aisselle marquée de roux comme les grands bœufs de Pierre Dupont.

— C’est moi, ponctue-t-elle niaisement.

Les autres nanas gloussent. Les bonshommes se fendent le pébroque. J’ai la nette, la très nette impression que ces foies blancs me prennent pour un lavedu.

— De quoi s’agit-il ? poursuit la rouquine.

— Je venais vous proposer un gala, M me Soubise, dis-je. Je m’occupe du comité des fêtes de la ville de Paris et nous aimerions avoir un récital de vous pour le mois prochain.

— Cela dépend de vos conditions, fait mon interlocutrice. Je suis très chère, vous savez !

Mais la vioque peinturlurée se met à bramer d’une voix plus acide qu’un jus de citron nature :

— Ça suffit comme ça, Lola !

Puis se tournant vers moi :

— Je suis Léocadie Soubise.

Je ravale ma surprise. Elle est centenaire, la vedette ! Les autres doivent vivre plus ou moins aux crochetons de la douairière car ils ne se marrent plus.

— Je feignais de couper dans ce que cette personne estime être une plaisanterie, fais-je en désignant la rouquine. Je pense, chère madame, que vous voudrez bien m’accorder un entretien particulier afin que nous discutions… sérieusement.

J’appuie très fort sur le « sérieusement », au point que je l’entends craquer aux jointures. Mais il ne casse pas.

— Allons dans mon boudoir, décide la divavioqua. Votre bras, cher monsieur… heu… comment avez-vous dit ?

— Antoine, me présenté-je, je ne l’avais pas encore dit d’ailleurs !

À petits pas — car la vieille est drôlement constipée des cannes — nous gagnons la pièce voisine. C’est une sorte de mausolée plutôt qu’un boudoir. Il y flotte une lumière vénéneuse, tamisée par d’épais rideaux. Les murs sont entièrement recouverts de photos dédicacées. Réjane ! Sarah Bernhardt ! Mayol ! Dranem ! Le maréchal Sprountzbul ! Le président Glotmutche ! etc. Une bergère véritablement Louis XV accueille nos derrières.

— Excusez-les, fait M me Soubise en désignant le living d’un hochement de menton, ils sont jeunes et aiment la plaisanterie.

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