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Frédéric Dard: San-Antonio chez les « gones »

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Frédéric Dard San-Antonio chez les « gones »

San-Antonio chez les « gones »: краткое содержание, описание и аннотация

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Si vous avez des enfants et si vous êtes tatillons sur leur éducation, je ne vous conseille pas de les envoyer à l'école de « Grangognant-au-Mont-d'or ». Et cela pour deux raisons : la première est que ce paisible village de la région lyonnaise est actuellement le siège d'un drame qui bouleverse toute la France : les « gones » y disparaissent les uns après les autres et l'on assassine les maîtres d'école. La deuxième raison est que le nouvel instituteur a pour nom Bérurier ! Je ne vous en dis pas plus !

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Elle se tut, les larmes l’empêchaient de poursuivre.

Alors je sus à cet instant que je pouvais mettre le solde de mes vacances dans une valise et la déposer à la consigne.

Grangognant-au-Mont-d’Or est une ravissante commune de quatre cents habitants située à une trentaine de kilomètres de Lyon. On y cultive la vigne et c’est ce qui explique la trogne aubergine de la plupart de ses habitants. Ses maisons de pisé, couvertes de tuiles romaines, ont des teintes qui réjouissent l’œil, et il s’en échappe des senteurs qui réjouissent le cœur. Nous y arrivâmes entre chien et loup, un beau soir. J’avais laissé ma Jag à Lyon et emprunté une humble Juva-quatre noir-police. Notre plan d’action était dûment arrêté : Bérurier allait se faire passer pour le nouvel instituteur, ce qui permettrait d’observer « en profondeur » la marmaille du pays sans braquer l’esprit paysan des gosses.

J’étais le jeune frère du nouveau maître, provisoirement en vacances, ce qui justifiait ma présence dans l’école de Grangognant.

Le groupe scolaire se divisait en deux parties : la classe des filles et la classe des garçons, séparées par un préau d’hiver dont la principale utilité consistait à servir d’entrepôt au combustible (bois et charbon). Il y avait un logement de trois pièces pour l’instituteur et un autre, de trois pièces également, pour l’institutrice. Cette dernière avait une vingtaine d’années. Il s’agissait d’une ravissante fille à qui il ne manquait qu’un brin de toilette pour paraître vraiment sensas. Malgré sa blouse bleue, son absence de fards et l’ignorance qu’elle avait des salons de coiffure, elle réussissait à être jolie. Elle rosissait en m’apercevant et se mettait à bégayer des genoux lorsque je me hasardais à lui adresser la parole.

Moi, je passais le plus clair de mon temps, vautré sur le sol du premier, à regarder la salle de classe par le trou que j’avais aménagé dans le plancher. Je devenais Romain et je sentais que si les choses duraient j’allais prendre du poids.

Le second soir de notre venue, un monsieur maigre comme une arête de hareng oubliée au soleil s’était pointé entre deux valtouzes en déclarant qu’il était le nouvel instituteur.

Il s’appelait Pensome, Albert Pensome. Comme l’Académie n’était pas au courant de notre supercherie (on est austère à l’Éducation nationale), j’avais brodé une fable express à l’arrivant. Il devait rentrer chez lui dare-dare et n’en pas broncher avant qu’on le convoque. Je lui refilai vingt sacs de défraiement après lui avoir montré ma plaque de commissaire. Le gars détala, heureux de ces vacances imprévues, avec des projets de pêche à la ligne plein sa petite tête de brochet.

Depuis…

Depuis on continuait d’observer le comportement des mômes et le Gros laissait se développer ses dons pédagogiques. Ça faisait plusieurs jours qu’on vivait en circuit fermé et je commençais à avoir de la moisissure aux articulations.

CHAPITRE II

Béru en maître d’école, c’est un souvenir qui fera longtemps surface dans ma mémoire éléphantesque. Faut la voir à pied d’œuvre, Sa Majesté Lagonfle.

Ce matin, je reviens d’écluser un caoua à la chicorée au troquet de la place (la place s’appelle place de la Mairie, et le café en question, Café de la Mairie) et je regagne mon P.O. avec dans la tronche des idées en grand deuil. Il fait un temps maussade. Je suis déprimé. Je regrette d’avoir rusé. J’aurais dû me pointer sous mon vrai visage au lieu de chiquer au sous-chef de burlingue désœuvré, affligé par surcroît d’un frangin style accident de plumard tel que le Gros.

Histoire de me rincer l’âme, je fais une tournée amicale dans la classe de la petite institutrice. In petto, je me dis que j’en ferais bien ma maîtresse à moi. Elle a des taches de rousseur placées exactement où je les aime, avec une peau comme du velours, un regard en forme de noisette, et des dents éclatantes où, vraisemblablement, la main de l’homme n’a encore jamais mis la langue !

En me voyant radiner, elle se déguise en langouste-sortant-du-court-bouillon. Elle s’arrête en plein mitan d’une dictée. La gosse se prénomme Rosette et, naturellement, elle est de Lyon. Je m’accoude à sa table et je la mate droit dans les vasistas. Elle se trouble à une allure supersonique.

— Dites, mon chou, je susurre, ça existe toujours, les cours du soir pour adultes ?

Elle bredouille que « oui ».

— Vous avez beaucoup de clients ?

— Non, personne.

— Alors je m’inscris. J’aimerais profiter de mon séjour ici pour parfaire mon imparfait du subjonctif ; il a besoin d’un rodage de soupape, le pauvre mignon. À quelle heure pouvez-vous me prendre ?

— Mais, objecte-t-elle, et votre frère ?

— Il va bien, merci.

— Il ne pourrait pas, pour les cours…

— Oh, lui, il ne fait rien pour le niveau intellectuel de son pays. C’est le roi fainéant de l’enseignement…

— Pour deux frères, vous ne vous ressemblez pas beaucoup ! s’enhardit-elle.

— Parce que nous ne sommes pas de la même mère et que sa mère à lui trompait papa, fais-je.

Elle est choquée. Je décide d’arrêter là les extravagances, je lui dis : « À ce soir six heures » et je grimpe dans notre logement de célibataires.

Je m’allonge sur le matelas pneumatique et j’ôte la cheville de bois obstruant le trou qui me permet de mater ce qui se passe dans la salle de Bérurier.

Le Gravos est à sa table. Trois de ses élèves s’y trouvent aussi et les quatre personnages disputent une partie de belote acharnée. Je reconnais Cugnazet, Barbarin et Tardy. Les joueurs éclusent un kil de rouge. Béru est particulièrement animé.

— Cugnazet ! explose-t-il, faudrait voir à pas prendre le portrait du bonhomme pour une portion de Brie ! Tu fournis à trèfle, à c’t’heure, alorsss qu’y a pas un instant tu les coupais !

— Moi, m’sieur ! proteste son adversaire.

— J’sais ce que je cause ! tranche le Mastar en mettant sur le dos une aimable famille de cœur entassée devant Cugnazet. Effectivement, un misérable sept de trèfle souille l’harmonie des cœurs.

— Qui c’est qui l’a dans l’œuf ! tonne Sa Majesté. Qu’est-ce t’espérais, dis, tordu ? Que j’y verrais ballepeau ! J’sais pas ce qui me retient de te cloquer dix fois l’adverbe « je blouse mon instituteur en jouant à la tout atout sans atout. »

Il chope le litre et, pour éteindre sa hargne, s’arrose l’escalier de la cave. Après quoi, il le tend à Barbarin, son partenaire.

— Tiens, gamin, humecte-toi les amygdales !

Puis il jette ses cartes sur les plis accumulés et décrète :

— À cause de cet enfoiré (il désigne Cugnazet) le coup est nul et non l’avenue !

Le coupable ramasse les brêmes et les brasse en se renfrognant.

— Fais pas la gu… ! lui jette Béru, parce qu’autrement je donne ta place à Honoré Lebœuf !

Depuis le fond de la classe, le susnommé jette un : « Oh, oui, m’sieur » avide.

— Écrase, lui dit Béru, ton tour viendra car, comme le disait Pasteur : « La belote est un plat qui se mange froid. »

Il ramasse ses cartons, les considère avec intérêt et se met à pouffer.

— Hou yayaille ! exulte mon valeureux camarade, le temps va changer, les gars !

À cet instant précis, on toque à la porte vitrée.

Béru, sans se retourner, lance un : « Mouais » qui à la rigueur — à l’extrême rigueur — peut passer pour une invitation à entrer.

Le visiteur toque à nouveau.

— Qu’est-ce c’est que ce tordu ! tonne Béru. Entre que je te dis…

Il croit avoir affaire à un élève, mais il file un coup de périscope et s’avise qu’il s’agit d’un monsieur.

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