— Et ton Monsieur X, il s’appelle comment, dans la clandestinité ? demande l’Émerveillé.
— À nous de le découvrir…
— Tel que t’étais parti, j’espérais que t’allais tout me servir jusqu’au Happe Hihan !
— Il ne va pas tarder, Gros.
— T’espères ?
— Je. Tu ne trouves pas que notre histoire ressemble à ces bons romans policiers de jadis ? Y a le château, le revenant, les suspects dont la liste s’allonge, les interrogatoires qui apportent leur provende de révélations…
— Exaquete.
— Alors on va faire comme dans ces fameux romans qui charmaient ma jeunesse, Béru.
— Caisse à dire ?
— À la fin, on réunit tout le monde sur les lieux du crime pour une confrontation générale. On produit un coup de théâtre, et le coupable tombe le masque !
— Et ce sera quoi, ton coup de théâtre ?
— Si je te le disais, ça ne serait plus un coup de théâtre. Dès que Dalbuche nous aura remis ce qu’il reste des cailloux, nous retournerons à Paris non sans avoir convoqué notre homme pour neuf heures du soir au Franc-Mâchon. Toi, tu prendras du monde à la Grande Taule et tu m’embarqueras, de gré ou de force, avec ou sans mandat, tous les pions de cet échiquier, à savoir : Lachaise, sa femme, sa fille et son deuxième gendre. Tu veilleras aussi à ce qu’Ambroise soit bien sur place à l’heure dite ! J’aurai besoin de tout mon monde !
Bérurier approuve, puis, son naturel sceptique reprenant le dessus, il questionne :
— En somme, tu es persuadé que c’est un de ceux-là qui a fait le coup : pourtant, ce tripotage de bijoux a bien pu avoir lieu avec quelqu’un d’étranger.
Je lui tapote l’épaule :
— Toujours le même refrain, Gros : quelqu’un d’étranger au Franc-Mâchon ne pouvait pas connaître l’existence du conduit !
TROISIÈME ÉPISODE
LES ÉVÉNEMENTS DE LA SECONDE NUIT
Neuf plombes ne vont pas tarder à sonner au beffroi de notre montre-bracelet lorsque notre étrange véhicule radine sur l’esplanade du Franc-Mâchon.
Je le fais stopper devant le perron et je me tourne vers Mathias.
— Alors, t’as tout bien pigé, fiston, pas de questions ?
— J’ai compris, soyez sans crainte, monsieur le commissaire.
Fort de cette garantie, je contourne la maison de maître pour gagner la ferme où mon petit monde m’attend. La cuisine d’Ambroise ressemble un peu à la salle d’attente d’une gare de province. Des gens bien habillés et d’autres qui le sont moins bien se tiennent assis en rond tout autour de la pièce, se parlant peu et faisant la gueule. Tous ceux dont j’ai réclamé la convocation se trouvent réunis là, et pas tellement contents d’avoir dû céder aux exigences policières. Surtout que Béru, vous le connaissez ? Quand ça rechigne dans le landerneau, faut pas compter de sa part sur des prouesses de diplomatie. Les arguments les plus convaincants dont il dispose se trouvent la pointe de ses souliers et dans la pliure de ses phalanges. Donc, se trouvent rassemblés, M meLachaise, dite Ninette, mistifrisée, avec une touche de rouge à lèvres pareille à une violette au milieu de la bouche. Elle porte une robe imprimée, joyeuse comme un catafalque, et un chapeau à fleurs, genre anglais. Car, je sais pas si vous connaissez les Anglaises, mais ces dames se collent toujours sur la théière des badas couverts de flowers. Voyez sa Grassouillette Majesté… Une finale à Wimbledon, ça ressemble, côté public, à un parterre de Bagatelle.
Son mari a mis un costar, mais ne s’est pas résolu à nouer une cravetouze. Sa chemise largement ouverte découvre une poitrine fiasque de gros vieux bébé, sur laquelle végètent quelques misérables poils blancs. Leur fifille est vêtue d’un tailleur de toile jaune, très seyant, et son toubib d’époux a sur lui le costar qu’il portait tantôt. Je le trouve particulièrement rageur. Un drôle de teigneux, ce faux nain ! Sa lèvre inférieure est pliée comme une tuile romaine à la renverse, toute prête à laisser s’écouler des sarcasmes. Dalbuche a mis un beau complet marron-merdeux dont les revers frisés s’ornent d’une grosse chaîne de montre. Lui a une cravate, sorte de ficelle élimée, sans couleur précise, qu’il a élégamment enfouie dans sa chemise à la sortie du nœud. Le camarade Ambroise est en tous les jours. Il propose à boire, mais seuls Béru, Lachaise et Dalbuche ont accepté de trinquer.
La belle-mère à Lachaise marmonne des présages funestes devant son poste de télé éteint. Elle est en manque de Zitrone, Mémère. On sent que ça lui crée des spasmes, des tourments gastro-métaphysiques. Elle fixe l’écran éteint, sinistrement blafard, comme un fumeur intoxiqué s’obstine à téter sa pipe éteinte en un lieu où il est interdit de fumer. La femme d’Ambroise est collée à la cloison, espèce d’humble cariatide du quotidien un moment perturbé. M’man et Berthe jouent à la bataille. Quant à ma gente Angélique, elle écoute son transistor qui, en sourdine, diffuse un machin yé-yé. V’là l’ambiance. Mon arrivée donne un sang nouveau à cette attente exsangue. On frémit, on s’anime, on se dresse, on déglutit, on se gratte, on fourmille, on m’apostrophe.
— Ah ! tout de même ! glapit Chkoumoune, allez-vous nous expliquer pourquoi…
— En voilà des façons ! meugle Lachaise, juste le soir que j’avais rendez-vous avec le ministre des pins-du-nord de Suède pour acheter cent mille hectares de forêt !
— Et moi qui devais assister monsieur le curé de Saint-Xavier-Salomon pour l’organisation de l’école libre de la paroisse ! proteste M meChkoumoune, pincée.
Y a que la Ninette, avec son massif sur la frite qui ne moufte pas ; non plus que Dalbuche d’ailleurs. Morveux comme il se sent, il dérouillerait des tartes sur le museau, recta, biscotte le Gros l’a à l’œil et en grippe !
Voilà le bon Mastar qui me fonce sur le colback, bille en tête.
— C’t’était temps que tu rappliquasses, me chuchote-t-il, y a z’eu des grincements de chailles, espère un peu ! Alors, elles sont au point, tes maniganceries ?
— C’est après que je te dirai ça, Pépère, selon les résultats.
— Les bijoux ?
— On est en train de diffuser leur signalement ; mais faut pas compter obtenir des résultats avant quarante-huit plombes au moins.
Comme les convoqués continuent de rouspéter, je lève la main à la romaine, style duce au balcon.
— Je vous en prie !
Un calme bouillonnant se fait.
— Mesdames, messieurs, conférencé-je, vous devez bien penser que si j’ai pris la liberté de vous réunir toutes affaires cessantes ici, c’est pour une raison majeure. Un concours de circonstances nous a permis de faire au Franc-Mâchon une découverte très particulière. Pour tout vous dire, un crime y a été commis voici cinq ans environ.
Murmures effarés dans l’assistance…
Angélique, depuis son recoin, me regarde en souriant. Comme elle m’admire, cette petite ; et comme elle a raison ! Je lui permets de vivre une belle aventure de fin de vacances et je lui fournis un prétexte valable pour rater sa deuxième cession de bac. Elle pourra dire « Avec tout ça, que voulez-vous ? ». Dans l’existence, il est important de se préparer des motifs d’échec, ainsi les réussites n’en sont que plus brillantes.
Je dompte la rumeur d’un geste moutonnant de la main.
— Mesdames, messieurs, solennisé-je, j’ai de bonnes raisons de croire que l’un de vous est l’auteur ou tout au moins le complice de cet assassinat.
Cette fois, les murmures se changent en vociférations. On me traite de vilains noms. Chkoumoune décide que j’exerce un abus de pouvoir. Lachaise assure que, si je continue d’insinuer des choses sous son toit, il va me claquer la frime, tout commissaire que je suis.
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