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Frédéric Dard: Faut être logique

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Frédéric Dard Faut être logique

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Vous croyez aux fantômes, vous ? Moi, non plus ! Seulement Béru y croit, lui. Et quand le Gros doute de ses sens, il fait appel à mon bon sens… Faut être logique ! On m'a toujours appris à l'école que la vérité sortait du puits. Eh bien ! moi, j'y suis descendu, dans le puits. Et, en effet, j'ai trouvé la vérité… Elle avait une drôle de bouille !

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— Oh, ce petit rigolo. Oui, les gens m’en ont causé : un propre à rien qui laissait crever le bétail de faim…

Décidément il n’avait pas bonne presse, Vincent Dauvers. Il apparaît que son retrait du monde n’a fait de tort à personne…

Je défrite le terreux qui continue de pétrir la joue de son gamin. Il paraît sorti d’un bouquin de Balzac, Dalbuche, malgré son tracteur tout neuf.

— Dites-moi, cher monsieur, lors de votre prise de possession du Franc-Mâchon, vous n’avez pas trouvé traces du séjour de ce triste gendre ?

— Oh, si, dit mon interlocuteur. Si vous auriez vu toutes ces bouteilles vides dans la cour, et ces restes de victuailles qui pourrissaient dans la cuisine…

— Je ne veux pas parler de ça, dis-je.

Alors il se passe quelque chose. Quelque chose qui justifie ma coupable industrie, les mecs. Ce quelque chose, c’est le flair, le pif, the noze, appelez ça comme vous voudrez… Je devine brusquement, à un léger cillement, à une crispation imperceptible des lèvres, que mon vis-à-vis est sur ses gardes.

J’ai l’impression qu’il redoute de s’engager sur cette voie. Que mes questions à venir lui font peur et qu’il se forge un air indifférent pour lutter contre le tracsir. S’agit d’usiner avec discernement. Le laisser mijoter un brin.

— On pourrait peut-être aller parler de tout ça dans un endroit tranquille ? suggéré-je.

Pour le coup, c’est la Béruroche qui tique. Il me connaît, le Dodu, il connaît mes inflexions. Par ricochet, le voilà tendu et scrutateur lui aussi, ce qui paralyse le laboureur.

— Allons à la ferme si vous voulez, fait-il d’une voix figée.

Du geste, il congédie le gosse, lequel saute sur son vélo et, soucieux de nous prouver que la race des Anquetil n’est pas éteinte, fait un démarrage foudroyant entre les ornières.

— Ce ne sera pas la peine d’aller chez vous, dis-je, je voulais surtout éloigner votre gamin.

Je montre un vaste hangar érigé en bordure du champ.

— On sera très bien là-dessous pour bavarder…

Sans l’attendre, je me dirige vers la construction, suivi de Béru, puis du paysan. Rien de plus démoralisant pour un homme inquiet que de filer le train à ceux qui s’apprêtent à le questionner. Leurs talons le dépriment plus encore que leurs physionomies.

Dans le hangar, il y a des betteraves, de la paille, des machines agricoles. Bérurier s’assied sur le caisson d’une faucheuse et se met à nettoyer une énorme betterave avec son mouchoir, ce qui constitue une gageure, car peut-on nettoyer une chose en s’aidant d’une autre chose beaucoup plus sale ?

Il attend la suite, Bébé Rose. Mais il a confiance en moi. Il se dit que si j’organise cette mise en scène, ça n’est pas sans motif.

Je m’acagnarde entre les bras d’une vieille charrue dédaignée et je mate Dalbuche sans piper.

Il ne sait quelle attitude adopter. Il est gauche. Il danse d’un pied sur l’autre, amorce des sourires hypocrites qu’il n’ose achever, voudrait parler, mais s’abstient. À la fin, il bredouille :

— Vous… vous êtes vraiment policiers ?

Bon Dieu, c’est pour moi un trait de lumière. Si ce gus pense que des gens peuvent venir lui parler du Franc-Mâchon en se prétendant policiers alors qu’ils ne le sont pas, c’est qu’il sait des trucs pas catholiques.

Je virgule un regard au Gros. Message capté. Je peux foncer, il me donnera la réplique. Je crois que la manœuvre à effectuer consiste à laisser subsister le doute dans l’esprit de Dalbuche, la police étant ce qui fait le plus peur aux terreux.

Je feins d’ignorer la question.

— Alors, Dalbuche, attaqué-je, qu’avez-vous déniché à la ferme ?

Il secoue sa tête de faucon intimidé.

— Mais… rien…

— Mais… si ! fais-je. C’est vilain de se faire prier. Dites-moi tout, mon enfant, comme si vous étiez avec votre cher vieux curé dans l’ombre du confessionnal…

— Je vous jure que je ne vois pas ce que vous voulez causer, affirme le tracteur-man en se grattant le haut du crâne à travers la brèche de sa casquette.

Un formidable bruit de concassage nous fait tressaillir. C’est Béru qui s’est mis à bouffer la betterave. Ce spectacle plonge le fermier dans l’effroi. Un homme qui mange la nourriture réservée aux vaches, voilà qui est nouveau pour lui et constitue à ses yeux le comble de l’insolite.

Je reprends ma question.

— Ho ! Dalbuche ! C’est pas gentil de nous faire des cachotteries… Si vous persistiez dans cette voie, ça risquerait de se gâter.

Béru, la bouche pleine, opine avec véhémence en poussant un grognement à côté duquel le grondement du grizzli affamé n’est que soupir de libellule.

— Mais quoi donc, bafouille le rat des champs. Mais quoi donc !

Et, reculant d’un pas, sa face d’oiseau-rapace plus blême que jamais, il répète :

— Vous… vous êtes vraiment policiers ?

— Devine ! ricané-je.

Heureusement que j’ai visionné tous les films du Napoléon. Ça aide dans mon job. Voilà que je me surprends à jouer les Paul Newman. Je sors mon arquebuse et la fais tournicoter au bout de mon index en sifflotant entre mes dents serrées. Je dois être vachement terrible, moi je vous le bonnis. In petto, je suis plus péteux. Je me dis que si ce cinoche s’avère injustifié, si mon pégreleux a la blancheur Persil, je pourrais bien comprendre ma douleur et me faire admonester vilain par ma conscience.

Seulement, les gars, retenez bien ceci : dans la vie vaut mieux se gourer en allant de l’avant, que d’avoir raison à reculons.

— Vous êtes qui, alors ? demande le flageolant qui prend ma question pour une réponse négative.

— Devine ! répété-je.

Un silence… On entend les bruits souverains de la cambrousse en fin de journée. Ce que ça pue bon, toutes ces betteraves terreuses, cette paille, ces vieilles tuiles moussues… Je comprends les urbanistes qui se mettent à construire des villes à la campagne.

— J’attends, Dalbuche ! J’attends, dis-je en immobilisant mon camarade tu-tues dans ma paume et en soufflant sur le canon.

— Je n’ai rien à dire, tente encore le pauvre homme.

Béru jette loin de lui son tronçon de betterave, se torche les lèvres et fait en se dressant :

— Tu permets que je m’en mêle, San-A. ?

J’opine, dont je sue, comme disait Casanova.

— T’as tort, Dalbuche, de t’obstiner, prophétisé-je. Mon copain, malgré son air bon bougre, c’est un terrible. Si je te disais qu’au Japon on lui accorde plus de visas, ils préfèrent encore les typhons !

Bérurier parle. Il parle en se curant les dents avec le petit doigt, ce qui n’améliore pas sa diction.

— Bonhomme, attaque-t-il, voilà le programme : c’est pas le plan quinquennal, tu vas te rendre compte. Je te dérouille jusqu’à ce que tu causes. Ou tu causes, ou tu causes pas. Si tu causes pas, tu causeras plus jamais. Si tu causes après t’avoir fait tirer l’oreille, on foutra le feu à ta ferme. Si tu causes illico, je m’économise les calories et on fait ami-ami ; t’as bien suivi ?

« Et pour te prouver que c’est pas de la rigolade, je vais d’orge et d’orgeat faire brûler ton n’hangar, ajoute Sa Majesté en sortant son briquet.

Faut toujours qu’il en rajoute, Béru, c’est ça son inconvénient. Il balance au prologue la grande tirade du trois : une manie !

— Attends la nuit pour tout faire cramer, Gros ! le rappelé-je à l’ordre, ça va attirer du monde et on sera obligé de descendre Cézigue avant l’arrivée des pompelards…

— Très juste, admet le Monarque en remisant son Flaminaire.

Puis, à sa presque victime ;

— Qu’est-ce que tu décides, fleur de betterave ?

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