Frédéric Dard - Faut être logique

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Vous croyez aux fantômes, vous ?
Moi, non plus !
Seulement Béru y croit, lui. Et quand le Gros doute de ses sens, il fait appel à mon bon sens… Faut être logique !
On m'a toujours appris à l'école que la vérité sortait du puits. Eh bien ! moi, j'y suis descendu, dans le puits. Et, en effet, j'ai trouvé la vérité… Elle avait une drôle de bouille !

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San-Antonio

Faut être logique

A TITRE INDICATIF

Le titre du présent (et remarquable) ouvrage a été puisé dans la prose du fameux sociologue Lucien Saillet, professeur de langues amovibles au lycée de Bouffémont, lequel écrit textuellement dans son célèbre « Traité sur l’insuffisance glandulaire du Surveillant Général (ou Surgé) dans la société moderne » les lignes suivantes : « Poussez pas Mémère dans les orties ; des fois quelle aurait pas de culotte ! Faut être logique. »

C’est à cet éminent écrivain, nouveau maître à penser de la jeunesse française, que je dédie ce livre de toute beauté.

Au cas où sa modestie proverbiale l’amènerait à décliner cet honneur (car c’en est un), c’est à sa femme de ménage qu’irait l’hommage de ma prose.

San-A.

REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier Sa Majesté la reine Élisabeth II, le président Johnson, monsieur Kossyguine, monsieur Mao Tsé-toung et Sa Sainteté Paul VI qui m’ont permis de publier ce livre.

En effet, j’ai écrit à chacun d’eux pour lui demander l’autorisation de le faire, en précisant expressément que cette histoire ne concernait pas l’Angleterre, ni l’Amérique, ni l’U.R.S.S., ni la Chine non plus que le Vatican. N’ayant reçu aucune réponse à mes différents courriers, et fort du principe que « qui ne dit mot consent », j’en déduis donc que ces hautes personnalités consentent à la publication de « Faut être logique ».

Qu’elles trouvent ici l’expression de ma vive gratitude, de mon profond respect, de ma haute considération et du reste.

Je suis fier et heureux, que dis-je : heureux et fier, d’avoir pu réaliser une telle unanimité chez des gens de naissance, d’opinions et d’intérêts si différents.

Je manquerais à la plus élémentaire courtoisie si je ne remerciais pas également mon éditeur qui, lui non plus, ne s’est pas opposé à l’édition de mon ouvrage. Et je termine, ami lecteur (et surtout lectrice), en te remerciant d’avoir acheté ce roman. Je te remercie et je t’envie, moi dont le drame est de n’avoir jamais eu un seul San-Antonio à lire !

San-A.

PREMIER ÉPISODE

LES ÉVÉNEMENTS DE LA PREMIÈRE NUIT

CHAPITRE PREMIER

Félicie dort dans le jardin, sous la treille dont les grappes commencent déjà à se teinter. Elle occupe le vieux fauteuil d’osier à haut dossier que j’ai toujours vu à la maison. Le siège est tapissé d’une toile à frange que M’man a brodée jadis, alors qu’elle était écolière, et qui représente des petits Hollandais en sabots sur fond de moulins à vent.

Un livre est tombé de ses mains tavelées de taches brunes. Il fait la tuile sur le gazon. La Citadelle de Cronin. Félicie aime bien Cronin. Chaque été elle se refarcit La citadelle et Les Clés du Royaume dans la touffeur capiteuse de notre jardin.

Elle oublie les grands immeubles bourrés d’yeux qui se sont construits alentour et qui nous étouffent doucement mais implacablement, comme on étouffe un pigeonneau en le serrant par-dessous le gésier. Au début, quand on est venu ici, c’était douillet, Saint-Cloud. Presque la campagne. Maintenant ça ne ressemble plus à rien parce que ça ressemble au reste : du béton partout. Des chantiers avec une cabane en planches bardées d’écriteaux. Bureau de vente ! On souscrit ici ! Visitez l’appartement-témoin ! Nous sommes les témoins de ces appartements, témoins qui se mettent à nous faire la nique. On s’efforce de tenir bon, d’oublier les grandes vagues de ciment qui nous assaillent, et toutes ces antennes télémateuses qui pèchent les nuages, là-haut, et ces fenêtres, surtout, même pas hypocrites, où des bouilles fatiguées font des rêves cloaqueux devant notre jardinet.

Mais je me dis qu’un jour faudra qu’on se décide à partir, à fuir ce Paris qui vient nous montrer son c… jusqu’ici. Bientôt ça sera plus tenable, la promiscuité. On sera devenu les Robinson d’un monde ancien, perdus sur leur maigre îlot rogné par les bulldozers. Déjà c’est plein de promoteurs, comme on les appelle, qui viennent nous carillonner sur le paillasson pour demander si on ne serait pas vendeurs. Ça les chiffonne, notre pavillon de meulière, notre potager aux haricots végétatifs et les tourterelles à Félicie qui se gargarisent dans une caisse grillagée. Ils ont hâte de nous biffer, de nous balayer comme des colombins pour, à notre place, bâtir un chouette truc de huit étages déclaré de Grand Standinge où les demi-bourgeois de Pantruche viendront se persuader qu’ils vont respirer un oxygène de first quality. On n’arrête pas le progrès. Se soumettre ou se démettre. Mais se démettre où ? Et comment emballer les habitudes de M’man sans les amocher pour aller les planter ailleurs ?

Je gamberge à tout ça en la voyant dormir, bien calmement, une main pendante au-dessus de l’accoudoir fléchi. Je lui parle « en dedans ». Je lui dis des choses du genre : « Dors bien, ma bonne vieille. Repose-toi, tu l’as mérité. Déguste l’été à la petite cuiller, M’man. » Je suis comme qui dirait la sentinelle de son sommeil. Félicie endormie, c’est un tableau reposant. Toute la sérénité du monde, je vous assure. Elle dort comme coule la Loire en Touraine, majestueusement.

Le bigophone retentit dans la maison. Ce qu’il peut avoir une sonnerie bête quand il est seul dans une pièce et qu’il fait beau dehors. Je n’ai rien d’une gonzesse, pourtant je pressens les choses. Je me dis « Ça, c’est Bérurier ». Je vais décrocher et c’est effectivement Sa Majesté Gras-du-bide qui bavoche à l’autre bout.

J’identifie son souffle puissant avant même que le Gros se soit annoncé.

— Salut, Pomme-à-l’huile ! lancé-je.

— C’est moi, répondit-il obligeamment.

— Ça se passe bien, ces vacances ?

Il observe un silence. Puis, de sa voix de mêlé-casse galvanisée, il déclare :

— Ça se passe pas mal, on est chez des cousins à Berthe, à Bécasseville, près de Vernon. On y bouffe des potées au chou mémorables et, au fond du pré, coule une rivière où qu’on pêche les plus beaux ressorts de sommier que j’ai jamais vus !

Nouveau silence.

— C’est gentil de m’avoir appelé, fais-je, histoire de le rompre.

— Ça te dirait de venir nous rejoindre avec maâme ta mère, manière de vous épousseter les soufflets ?

La perspective de co-vacancer, ne serait-ce que quarante-huit heures, avec les Béru ne m’enthousiasme guère. Je les connais, leurs parties de campagnes : boustifaille, vinasse et contrepèteries ! Le régime des hydrocarbones, tu parles !

— Tes gentil, mais tu connais Félicie ? Elle se gêne chez les gens qu’elle ne connaît pas.

— Alors, là, on voit que justement tu connais pas Ambroise. C’est la crème des hommes, ce nabu. Et sans façon, je te promets. L’art de vous mettre à l’aise, il l’a jusqu’au raffinement. À table, je te prends, le premier rot, c’est lui qui le balance, pour l’exemple.

— En effet, conviens-je, c’est un hôte plein de tact, seulement on a profité des vacances pour filer un coup de badigeon à la cuisine et c’est pas possible de mouler notre Ripolin en pleine barbouille. Après, ça sèche et t’obtiens plus le même ton, Gros… Tes marron pour des raccords.

Troisième silence. Du coup, confusément, je commence à me dire que s’il m’a tubophoné, c’est pour une raison plus impérieuse.

— C’t’embêtant, rumine-t-il ; tu peux pas faire un effort ?

— Ce serait pas raisonnable, Gros, franchement !

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