Nous atterrissons dans un bosquet de philodendrons et prenons nos repères. S’agit d’avancer prudemment. Les mecs du Shin-Beth ne sont pas des enfants de chœur, vous vous en doutez, et je suppose qu’il ne fait pas bon les contrarier lorsqu’ils sont en train de se livrer à une opération de cette envergure. Fort heureusement, l’hébertisme n’a pas de secret pour nous et c’est en rampant à travers pelouses et massifs que nous contournons la demeure pour gagner la partie avant.
Le camion-citerne est là. Ses deux cons-voyeurs en sont descendus et s’affairent à l’arrière du lourd véhicule. L’un deux actionne une vanne. O, stupéfaction ! L’extrémité de l’énorme cuve pivote, s’ouvre comme la porte circulaire d’un coffre de banque et une demi-douzaine de gus jaillissent du réservoir, armés de mitraillettes. Des types de commandos sûrement, magnifiquement entraînés. La manière qu’ils filent à toute vibure pour cerner la maison, couper toute retraite aux habitants, est un modèle de précision. Le temps de vous expliquer ça, quatre mecs sont en place aux quatre z’angles. Leurs pétoires ressemblent à des caméras car elles sont équipées d’un dispositif spécial qui les rend silencieuses.
M’est avis qu’on va assister à un drôle de sport.
Les deux convoyeurs, plus deux gus de la citerne, sont chargés d’investir l’habitation. Ils gravissent en sauts de chat les deux marches basses de la terrasse et se précipitent sur les portes-fenêtres. Celles-ci sont fermées à clé. Alors ils bousillent une vitre d’un coup de crosse et passent la main à l’intérieur pour actionner l’espagnolette (Olé !). Mais, tudieu, qu’arrive-t-il ? Voilà qu’ils ne peuvent pousser la lourde. Ils ont beau s’escrimer, la porte s’écarte d’une dizaine de centimètres au plus. Ils palpent le voilage qui est derrière (en veux-tu, en voilage) et poussent plusieurs jurons aussi hébraïques que véhéments. Je mords, dès lors, leur déconvenue : les occupants de la maison ont fixé des plaques de blindage derrière toutes les ouvertures. Comme quoi, mes gueux, j’ai été bien inspiré de prévenir Von Chichmann par haut-parleur. Sans moi, il se laissait feinter par le coup du mazout, l’ancien criminel de guerre ! probable qu’il attendait cette livraison. Les agents israéliens, bien patiemment, guettaient l’occasion de se pointer en force chez lui. Ce ravitaillement en fuel la leur fournissait. Seulement le vaillant, l’intrépide, le fabuleux San-A. a pu se pointer à temps, renversant les quilles de ces messieurs !
À présent, Von Chichmann est terré dans son repaire.
— Ils l’ont dans le bab’, hé ? me souffle à l’oreille (et à l’ail) Sa Majesté Bérurière.
— On le dirait. Le gars s’était outillé pour soutenir un siège, le cas échéant.
— Tu penses qu’y vont mettre les adjas sans insister ?
— M’étonnerait. Une fois à pied d’œuvre, ils ne lâchent pas le morcif facilement.
Effectivement, nos gaillards changent rapidement leur mitraillette d’épaule.
Bref conciliabule. Et il y a bulle !
Le chauffeur en combinaison bleue portant le label Shell sur la poitrine (les gars du Shin-Beth ont des accords pour promouvoir Shell, comme nous avec Martini) regagne son siège.
— C’est la décarrade ! murmure Béru au milieu de ses bégonias.
— On pourrait le penser car le gros véhicule avance de quelques mètres. Parvenu au niveau du portail, il stoppe. Soudain je comprends la manœuvre. Dans un éclair génial. Et, comme je m’y attends, voici que la machine recule. Elle prend de la vitesse. Les trois julots du commando se sont écartés. Le citernier met toute la sauce. Ses énormes boudins absorbent les deux marches de la terrasse sans coup férir. Trois mètres encore et c’est l’impact. Ce badaboum, mes gentils seigneurs ! Vous parlez d’un coup de boutoir ! Doit être né sous le signe du bélier, le pilote ! Un arrachement ! Une nuée plâtreuse ! Du fer tordu ! De la caillasse qui n’en finit pas de choir. La porte-fenêtre principale est disloquée. Une brèche énorme apparaît lorsque le camion exécute une marche avant de dégagement. Il est tout écrasé du derche, mais le résultat est acquis. En un rien de tempo, les trois dégourdoches s’engouffrent dans la maison.
— Allons-y, fais-je à Béru. Je vais me payer le factionnaire de droite, occupe-toi de celui de gauche. Et travaille en silence. Une manchette sur la nuque ! Surtout le bousille pas ! Je veux bien protéger une salope de chleuh tortionnaire, mais pas en butant ces petits téméraires.
Ayant fait mes recommandations, je me coule sur le moelleux gazon jusqu’au mitrailleur de l’angle le plus proche. Il a l’oreille fine, le bougre. Il entendrait une mouche s’essuyer les fesses sur un coussin de velours ! Je suis à deux mètres de lui lorsqu’il se retourne. Heureusement que j’ai « senti » son mouvement. Heureusement idem que j’ai fait du rugby. Le temps qu’il assure son arme, j’ai plongé magistralement. Il prend ma tronche dans son plexus. Ça lui accomplit un saut en recul long comme de vous à moi. Je lui bondis encore dessus. À genoux ! Il me fait un ciseau avec ses jambes, ce qui est à la fois un exploit et un pléonasme. Mais s’il connaît le catch, moi je pratique le cas raté et je lui vote une gâterie entre les côtes qui le rend condescendant. Son emprise se relâche. Une manchette doublée à la nuque et me voilà disponible.
Béru a eu moins de tracas avec son client car il est déjà là, armé de la mitraillette du zig.
Nous courons jusqu’à la brèche.
On déboule dans un vaste salon admirablement meublé. C’est plein de bois polychromes et de tapisseries du 13 e(arrondissement des Gobelins).
Comme j’y déboule, un des investisseurs se ramène d’une pièce voisine qu’il a dû trouver vide. On se trouve nez à nez. Il me braque. Ce réflexe ! Mais il prend un monstre coup de crosse sur l’occiput ! Ce réflexe ! Bérurier pour toujours ! Admirablement présent. Il vient de coucher son homme par-dessus mon épaule.
« Bon, me dis-je in petto, afin de n’être compris que de moi-même, ils ne sont plus que trois et ils se sont dispersés pour fouiller la maison. Très bon cela. Deviser pour Rainier, comme disait la princesse Grâce. »
Je fais signe à Gradu de visiter le rez-de-chaussée. Pour ma part, l’instinct jouant à outrance, je m’élance vers l’escadrin. Bien m’en prend. Au détour de l’escalier, j’avise deux loustics dans le couloir du premier. Ils ouvrent les portes alternativement, font un pas prudent dans chacune des pièces, puis se retirent. Et tout à coup, celui qui se trouve le plus proche de moi appelle son compagnon d’un imperceptible sifflement. Le loquet qu’il est en train d’actionner n’ouvre pas la porte car celle-ci est close de l’intérieur au verrou, probablement. Le pote du gars en question se rapproche. Il essaie à son tour. En vain. Alors il fait un signe à son coéquipier de s’écarter. Il pose sa mitraillette sur le sol et prend de l’élan. Blaoum ! La lourde vibre, résonne, craque un peu mais ne cède pas.
« Et si t’intervenais, San-A. ? » me suggéré-je, ça ne serait pas plus connard que de percer des spaghetti avec un vilebrequin pour en faire des macaroni, mon chou.
Je chope le revolver trouvé dans la pompe par le canon.
Ma parole, j’ai dû avoir un léopard dans mes ascendants, les aminches ! D’ailleurs j’étais tacheté, dans ma petite enfance. Félicie croyait qu’il s’agissait de la rubéole, mais je pense qu’il s’agissait d’autre chose. Ma crosse s’abat sur la tempe du premier mec. Il lâche une salve qui grésille comme une crécelle. Un éparpillement de pralines amoche le couloir, brise un vase en vieux Rouen, troue un tableau représentant une fileuse flamande en train de filer à l’anglaise, ébrèche une bonnetière et traverse la main du défonceur.
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