Frédéric Dard - Un os dans la noce

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Un os dans la noce: краткое содержание, описание и аннотация

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Dans cette affaire, il y a beaucoup de morts et beaucoup d'anchois.
Le buste de Marianne en prend un sérieux coup…
Et celui de M. le maire, donc !
Et puis il y a aussi des considérations comme celle-ci : Tandis que les modestes dames semi-bourgeoises, bien ordonnées et prévoyantes, outre leurs confitures, leurs conserves d'haricots verts en bocaux (donc haricots verre) et leurs draps empilés dans des garde-robes aux senteurs de lavande, détiennent aussi de la fringue noire pour « en cas de malheur ». La mort peut carillonner à leur lourde : elles sont parées pour l'accueillir la tête haute, ces magistrales ménagères. La mort ne leur fait pas peur, ne les affole pas. Elles en font leur affaire. L'accommodent à la sauce aux larmes, avec un bouquet garni et une couronne de perlouzes « A mon mari si marri et tellement tant bien-aimé » qu'il te vous laisse des regrets éternels et un goût de n'y revenez plus.

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Là, un léger blanc.

Le rush de l’oxygène dans mon garde-mou me reconnexe avec la vie.

Ils viennent de m’arracher le sparadrap qui me muselle. Sans ménagement, j’en ai le feu aux joues, comme une rosière qui choperait le mandrin d’un sadique, dans le métro, en croyant qu’il s’agit de la barre centrale.

— Vous m’entendez, commissaire ?

Je balbutie « oui ». Pendant toute mon enfance, j’ai cru que « oui » s’écrivait « voui ».

Parce que je prononçais voui.

Là, pris au plus juste de ma lucidité mal recouvrée, j’ai dû dire « voui ».

Un rire interne me secoue. Tu m’objecteras que ça n’est pas le moment, seulement si on ne rigolait pas quand on est dans la pistouille, quand donc se marrerait-on ? Quand tout va bien ? À quoi bon ! Le rire, dans le fond, c’est fait pour le malheur, la détresse.

Ces carnes molles m’ont rejeté aux produits de la mer. V’là que je re-sombre.

Doucettement.

— Parlons net, attaque Himker, si vous ne répondez pas à ma question, nous…

Encore !

Toujours le même topo : torture, questionnaire… Tu causes ou tu causes pas.

La bonne vieille « question » de jadis. That is the question. L’éternelle question. Celle qu’on met sur le tapis ou à l’ordre du jour. La question de temps et de confiance. La question-clé. Clé de toutes confidences. Clé des aveux les moins doux.

Parlez ou sinon…

Ou sinon tout. On te fera bobo très beaucoup. T’épluchera la prostate au couteau à huîtres. T’enfoncera des fers incandescents dans le radaduche. T’arrachera les ongles. T’oindra les plaies au beurre de piment. Te donnera des lavements à l’acide chlorhydrique… Et j’en passe.

L’éternelle pression, l’éternelle contrainte physique…

J’écoute à peine ses promesses, à Himker. Grosso modo, il est question de ma mort, quoi. Alors, que veux-tu ajouter ?

— Vous êtes prêt ? il termine.

Et moi, paisible comme Baptiste :

— Je ne saurais avoir une conversation sérieuse dans cette position, mon bon monsieur. Je ne vous répondrais qu’après avoir pris un bon bain chaud et passé des fringues qui ne sentent pas la marée.

Faut voir ce qu’une telle attitude peut donner.

Eh ben, mon canard, c’est le monumental fiasco. Le bide terrifie.

— Je crois que le commissaire n’est pas encore conditionné, mes amis, fait Himker. Nous reviendrons plus tard.

Et ces carnes s’en vont.

En attendant leur retour, malgré ma lutte farouche contre l’anchois envahisseur, je me pose la question suivante : « Qu’est-ce qu’Himker peut bien avoir à te demander ? Ne lui ai-je pas dit, à Paris, tout ce que je savais de l’affaire ? En ce cas, qu’espère-t-il ? J’ai eu tort de poser mes conditions : je perds du temps…

À moins que…

Une idée m’habite, comme l’écrivait Prosper Mérimée dans son traité sur le rôle de l’automobile au temps des pharaons.

Qui vaut ce que valent les bonnes idées lorsqu’on parvient à les mettre en pratique.

Je me remets à poireauter dans mes affres poissonneuses. Ce m’est de plus en plus difficile car, depuis qu’ils m’ont retiré le bâillon, j’ai la bouche en contact direct avec les anchois, et dès que j’ai le malheur d’écarter tant soit peu les lèvres, un vilain fripon se faufile dans ma gargouine.

Enfin, un laps de temps s’écoule, fatalement, et je perçois de nouveaux bruits de pas.

Dès que ceux-ci sont proches, je respire un bon coup et je me laisse couler dans la masse gluante. Quelle effroyable sensation, mon neveu. Mais faut tenir… It is ma seule little chance of salut, camarade.

Malgré le cataplasme d’anchois qui me recouvre, je décèle confusément des exclamations. Des interjections de toute beauté. Des onomatopées de belle venue.

L’air qui m’emplit les poumons me ressort lentement des naseaux. Je sais que lorsque mon gaz carbonique sera évacué faudra que je choisisse entre l’asphyxie ou le renoncement. À moins que mes gredins ne fassent fissa pour me récupérer.

— L’échelle, vite !

Je suis pratiquement certain d’avoir perçu cette phrase. La cuve vibre. J’étouffe… Ma raison vacille. Une opacité interne me prend, m’emporte.

Malgré tout, sagace comme un pape, je sais ce qu’ils sont en train de maquiller. Ils placent une échelle en travers de la cuve. L’homme au ciré jaune s’avance sur cette passerelle improvisée. Il se penche, sa main s’enfonce dans l’anchois, tâtonne, m’alpague par le col.

M’hisse.

Il n’était que temps. J’aspire avec mesure l’élément indispensable à une parfaite régénération de mon sang. Tout en chiquant l’évanouissement intégral. Je me révulse les gobilles. Retrousse mes lèvres sur des dents d’agonie.

On m’arrache au cloaque pour Vendredi Saint.

On m’extrait de l’infernale cuve.

Je chois sur le sol. Ou plutôt : j’enchois !

Y reste flasque comme les poissons que je viens de quitter. Cachalot de San-A. Immobile.

— Il est mort ?

— Je ne sais pas.

— Vérifiez…

— Le cœur bat.

— Il faut le réanimer.

— De l’alcool ?

— Faites-lui préalablement la respiration artificielle.

— Il a les bras liés.

— Eh bien ! détachez-le, bon Dieu !

On cisaille à l’aide d’un couteau les larges bandes sparadreuses qui m’entravent…

L’homme au ciré me saisit les poignets, m’écarte les bras, me les ramène sur la poitrine. Il me souffle dans la gueule, ce connard. Drôle de bécot. Je suis pas fana d’une pelle masculine, les seize mille gonzesses qui sont passées entre mes bras m’ont habitué à mieux.

Une, deux…

Ouf, ça me désankylose. Bon exercice…

Une… deux…

Au bout d’un instant, il me lâche les bras pour m’appliquer ses deux mains contre l’Henri II, presser, retirer… Pompe, mon pote, pompe bien ! Ça te donnera des couleurs. Ma main droite, éclaffée au sol, sent un froid contact. Je devine le couteau dont on a coupé mes bandes adhésives.

Je m’en saisis avec les précautions que prend un horloger lorsqu’il répare une montre de dame en ayant la coqueluche.

Ce que je vais faire ne me botte pas. Mais que veux-tu que je fasse d’autre, Bazu ? Dans la vie il faut savoir choisir entre les autres et soi-même.

Je choisis.

Et également l’emplacement où je vais lui voter ses dix centimètres d’acier inoxydable. Juste au-dessus du bassin, à l’étranglement de la taille. C’est quoi, à cet endroit, docteur ? Le pancréas ou la rotule ?

J’assure le manche du ya dans ma dextre, la lame tournée vers l’intérieur de mon bras. Allez, au boulot, fils ! Basse-z’œuvre, soit. Mais, hein ? Bon !

V’zoum ! De toute ma force. Le paquet géant. Ça rentre d’un coup. Tellement que j’ai le tranchant de ma main contre la hanche du mec. Lui, une ou deux secondes encore, il continue d’exercer sa pression.

Puis il pousse un cri et s’allonge d’une masse, comme une statue renversée.

Les deux autres n’en reviennent pas.

Moi, si.

N’oublie pas, crème de nouille, que j’ai toujours les jambes entravées. Un grand coup de lame à la volée… Crra-aaac ! Est-ce suffisant ?

Le compagnon d’Himker me plonge dessus. Pour moi, c’est une bonne indication : ça veut dire qu’il n’a pas d’arme. Je lui administre un coup du manche de mon couteau sur la tempe. Ça le fait mollir. Je le repousse. Une série de balles s’annoncent. Tirées par Himker. Pile au moment où, d’une farouche détente, je refoulais mon agresseur. Il déguste tout dans le Rasurel. Himker en est tellement sidéré que sa main qui tient le flingue se met à pendre. Faut dire que le magasin doit être aussi vide qu’une boutique de frivolités dans le désert de Gobi.

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