À mener cette existence reculée, elle va acquérir des complexes indélébiles, Kasleen ; ultra-pernicieux. Je décide séance tenante de faire quelque chose pour elle. Si on s’entraide pas, la civilisation est compromise, tu crois pas ? Non-assistance à personne en danger d’amour, ça peut te mener loin dans les affres du remords à deux temps.
Je lui déboule ma toute grande œillade façon glauque sur fond d’azur, avec arrière-pensées sous cul tanné. On jurerait que ça la trouble (répondit cette bébête cruelle). Je propulse dans sa direction deux bras arrondis de danseur mondain sur le chantier de la guerre. Elle ne recule pas ; alors j’avance. C’est humain. Tu ferais quoi, à ma place, toi ? Pour commencer la galoche galvaudeuse, hein ? Et puis les mains au guidon, non ? Le débouclage futalien, pour continuer. Puis le dégagement de la salle des fêtes. La mise en place de ton jeu de croquet à arceaux, pas vrai ? Avec, en enchaîné direct le trombone ascendant. Exactement comme moi, mon grand. On a positivement les mêmes marottes, les deux, tu ne trouves pas ? Je lui trémulse plantigrades story, contre l’évier. Un conseil que je te donne au pesage, comme dit un de mes potes jockey : quand tu télescopes une gonzesse, embourbe-la debout, façon Clemenceau. Manière de lui exhibitionner ta force et ta souplesse. Ton potentiel d’ardeurs. Tu l’équestres sur ton point d’appui, tel Atlas soulevant le monde, et ensuite tu la promènes un brin afin de lui démontrer que tu sais jouer en marchant. Elles raffolent de cette performance, les gerces. Ça les conditionne fortement pour des avenirs plus douillets. Doré de l’avant (comme exprime Béru) t’es un mâle considéré. Respecté. T’as conquis sur elle ton bâton de maréchal (des logis accueillants).
Elle est à ce point suspendue à mon cou qu’elle m’en bloque la veine jugulaire, cette petite sauvageonne.
Je lui remonte tellement la ligne Maginot à moustache et de si frénétique façon qu’elle risque une perforation des poumons. Elle gémit en anglais, ce qui fait toujours bien dans une conversation. Ses « Aoh ! Aoh ! » m’entriquent le mental. Plus elle brame, plus mon désir s’accroît et moins ses effets se reculent. On va vers des apothéoses, mon chou. Vers des triomphes rarissimes. C’est de la besogne hors catégorie. De l’art concret poussé jusqu’à l’abstraction (avant). Quand je partirai d’elle elle aura un grand vide au cœur, moi je te le dis. Faudra qu’elle le comble avec de la paille. C’est la passion farouche, trépidante, hurlante. Heureusement que les cinq mouflets font un foin de Dieu, dans la cour, sinon notre séance bloquerait l’attention du village. Je me ferais retapisser par mes poursuivants.
Jamais mon club de golf tout terrain ne s’est montré plus résistant. T’attacherais un sac de farine de cent kilos après, il pourrait le soulever, je t’assure. Kasleen, c’est écarteleen, maintenant. Elle me quitterait pour s’asseoir sur une borne kilométrique, tu ne saurais plus à quelle distance tu te trouves de Châteauroux.
Bon, j’en passe…
Et, comme dit l’autre : des meilleurs.
M’étant remis le compteur à zéro sans majoration de tarif, j’ai droit à une collation régénératrice. Thé, puddinge, cake, marmelade.
Elle me bouffe des yeux, la chérie. Faudra que je lui enseigne une autre manière. Je voudrais pas avoir l’air de me vanter, mais sache qu’elle est très reconnaissante de ma royale performance. Impressionnée, quoi.
Revenue à des préoccupations moins éthérées, la v’là qui me questionne sur mon aventure. Je lui déballe grosso modo le schéma. Ensuite je la questionne sur les gens de la conserverie. Elle m’apprend que ceux-ci se tiennent à l’écart de la maigre population. La conserverie battait de l’arête depuis plusieurs années, les jeunes gens préférant partir travailler sur le continent. Un jour, l’on a appris que des Libanais avaient racheté l’affaire qu’ils se proposaient de réorganiser et de développer. En fait, ils se sont contentés de virer les derniers employés. Aucun travail n’a eu lieu.
J’achève de gloutonner ses gâteries et je dis à ma rapide conquête que je voudrais téléphoner le plus rapidement possible à la police. La môme Kasleen me conseille d’attendre la nuit pour pouvoir circuler sans être vu. En attendant, elle va prévenir le pasteur qu’un policier étranger a besoin de son aide et qu’il viendra lui rendre visite dans la soirée.
Je lui vote un rabe de galoche sur les muqueuses et vais me pagner dans sa chambre en attendant que ça se tasse.
Pittoresque personnage que le révérend Mickmack.
Tu sais, ces masques qui se composent d’un nez, de grosses lunettes d’écaille et de pommettes rouge vif ?
Eh bien c’est lui. Plus un menton en galoche et une denture qu’il n’a pas fini de se carrer dans le clapoir car on la lui a refilée trois tailles trop grande. Il a le cheveu très plaqué et en longueur, des étiquettes en vol de mouette, et un regard besbythérien dans les tons huître avariée.
Kasleen me présente. Le pasteur me sourit, me dit comment-allez-vous-très-bien-merci-et-vous-pas-mal-allons-tant-mieux-prenez-seulement-un-siège.
Ce qui est éminemment gentil, mais pourquoi « seulement un siège » ? Comme si mon cul en exigeait deux !
Après quoi, se contentant d’un minimum d’explications, il se met à actionner la manivelle d’un téléphone qui a dû être apporté dans l’île par Guillaume le Conquérant. Je regrette que l’appareil ne soit pas relié à une dynamo, car il faut tellement cigogner cette garcerie de manivelle que le digne ecclésiastique pourrait assurer sa production annuelle d’énergie électrique.
Après avoir laissé deux kilos de sueur dans l’aventure, il finit par avoir la poste de Mireyedark, de laquelle il sollicite la police de Plymouth.
Qu’il obtient par miracle, bien que sa religion ne s’intéresse à Lourdes que par le biais du rugby, et me passe. Je discutaille sobrement et on me branche sur le superintendant Fouketts à qui je décline mon blaze, ma qualité (je n’ai que l’embarras du choix) et mes coordonnées à Paris. Le digne fonctionnaire me répond que, la mer étant d’huile, il va s’embarquer immédiatly sur une vedette et qu’il sera là dans moins de deux plombes. Je lui conseille de prendre du monde avec lui et le remercie chaleureusement. On dira ce qu’on voudra « d’eux » ; mais question service, devoir et coopération, « ils » sont de première, non ?
L’attente serait longuette, en compagnie du pasteur, si ma ravissante Kasleen ne participait pas à la soirée. Ce qu’elle est choucarde, cette sœur. Tu l’aurais vue s’occuper de ses cinq lardons ; les baigner, les alimenter, les coucher… Un vrai roman photo de la « Veillée des Chaumières ».
Quand je mate les roberts à Kasleen, je me dis que, tant qu’à faire, elle aurait pu crécher dans l’île de Seins, cette poulette. Tu accrocherais deux chapeaux à ces patères (que je souhaite noster), sans que cela fasse surréaliste.
— Vous êtes marié, inspecteur ? me demande le révérend Mickmack, en me servant deux doigts de « Brandy ».
Douche écossaise, bien que la chose ait lieu en Cornouailles.
Marié !
L’image de Zoé passe, comme un ange silencieux. Je capte son regard triste. Son air désenchanté.
— Non, réponds-je brièvement.
Ce connard d’ecclésiastique vient de me filer le bourdon. Je patinais sur la piste impec de l’optimisme, et puis, une question idiote, passe-partout, superflue… Faut toujours que des tronches te fassent dégoder dans les instants de félicité. Le monde est plein de mecs qui pensent faire leur devoir parce qu’ils font ceux de leurs enfants.
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