Y’en a dedans, derrière, et même sur les marchepieds. Himker a convoqué la troupe avant de me donner la chasse. Il a compris qu’il ne fallait pas trop bricoler avec moi, que j’étais un coriace avec des idées.
Alors ça radine.
Heureusement que les véhicules à essence sont rares sur cet îlot et que mes poursuivants ne disposent que de cette vénérable relique pour me courser.
Je pique un sprint en direction de la première maison du village. Joie ! Il s’agit d’une école. Modeste, mais d’autant plus émouvante. École, c’est écrit dessus.
En rosbif. School house !
Des petites voix grêles ânonnent des trucs en anglais. Donc, je ne suis plus en France, mais dans une île dépendant du Royaume-Uni. Ici, les écoliers apprennent que Jehanne d’Arc était une cinglée et Napoléon un va-de-la-gueule.
Qu’Henry VI était indubitablement roi de France et que ça n’est pas Pasteur, mais Flemming qui a découvert le sérum antirabique.
J’escalade quatre marches. Pousse une porte… Une classe minuscule ; avec cinq élèves seulement, dont je ne perds pas de temps à soulever les blouses pour découvrir à quel sexe ils appartiennent. Une mignonne institutrice est debout à un tableau noir sur lequel est écrit, en français : « Mon tailleur est riche » (ce qui n’a rien d’étonnant quand je me réfère aux prix qu’il m’applique).
Les mouflets épèlent. La fille est ravissantissime. Et même davantage again.
Ma venue la fait tressaillir.
— Que désirez-vous ? s’enquiert la toute belle, une sorte d’espèce de rousse avec des postillons de soleil plein le minois et un regard dont le bleu n’attend qu’une promenade dans la prairie pour virer au vert.
— Please ! lui lancé-je en restant dans le couloir.
Intriguée, elle s’avance. Mais je fouette si tellement la merluche qu’elle stoppe à trois pas et a un haut-le-cœur.
Je lui virgule ma brèmouze de poulardin.
— J’appartiens à la police française et des gens de mauvaise mentalité sont à mes trousses, miss, pouvez-vous me cacher et, ensuite, alerter mes confrères britanniques ?
Elle défrime ma carte ; vainc sa panique olfactive et s’empresse d’aller délourder une porte basse, au fond du couloir.
— Mettez-vous ici !
C’est le placard à : balais, seaux, combustibles, etc. J’engouffre. Elle relourde au verrou.
Il fait plus sombre dans ce cagibi que dans le prose d’un ramoneur. L’odeur du charbon se met à concurrencer celle de mes fringues, mais elle abandonne vite la partie (en english : the party) pour cause d’insuffisance. Si les gredins qui me coursent se pointent dans l’école, sûr qu’ils me retapisseront au fumet. Justement, j’entends discutailler dans le coinceteau. Pourvu que la petite maîtresse ne se trouble pas…
Au bout d’un instant, le bruit de conversation cesse. Des voix juvéniles déclament en chœur ces cinq fabuleuses syllabes qui me vont droit à l’âme :
« Maon thailleûr hé ritche. »
Ouf, sauvé ?
Un léger quart de plombe plus tard, un martèlement de galoches éveille le plancher du couloir. Bruit caractéristique d’une porte vitrée dont les carreaux commencent à se desceller. La marmaille s’égaye à l’extérieur. Le pas léger de l’institutrice vient jusqu’à moi et la serviable demoiselle me déverrouille.
— Merci, lui dis-je avec chaleur, vous m’avez probablement sauvé la vie. Mes bandits vous ont demandé après moi ?
Elle opine.
— Je leur ai dit que vous aviez traversé la cour et franchi la clôture du fond.
— Bravo. Vous connaissez ces gens-là ?
— Oui. Ils habitent le pays depuis quelque temps. Ce sont des étrangers… Ils ont racheté la conserverie abandonnée.
Des étrangers par rapport à quoi ?
— Quelle est cette île, miss ?
Elle écarte ses vasistas à franges.
— Vous ne le savez pas ?
— On m’a amené ici en hélicoptère.
— En effet, ils en ont un. Eh bien c’est l’île de Godmichey, à seize miles du comté de Cornouailles. Un coin perdu, ajoute-t-elle en souriant.
— Il y a un shérif, ici ?
— Oh, non. À quoi bon ? Il reste tout juste deux douzaines d’habitants.
Je commence à piger que cet endroit est séduisant pour des gens désireux d’y abriter un trafic clandestin.
— Le téléphone ?
— Chez le pasteur, et à la conserverie…
— Il va falloir que je contacte le pasteur, dis-je péremptoirement.
La délicieuse petite rouquine réfléchit.
— Voulez-vous prendre un bain et changer de vêtements ? Vous êtes si plein d’écailles et si malodorant que vous ressemblez à un gros poisson.
— Volontiers, mon joli petit cœur, mais où trouverais-je d’autres fringues ?
— Il y a les habits de mon père qui est mort, je pense qu’ils seront un peu justes car vous êtes très athlétique (une connaisseuse !) mais vous pouvez toujours les essayer. Venez…
Elle me conduit à un escalier de pierre qui pue l’humidité. Je la suis jusqu’au premier. Là est un logement modeste mais relativement confortable. Je pénètre dans une grande pièce où cinq petits lits sont alignés. Je regarde la jeune fille d’un air interrogateur auquel elle ne résiste pas :
— Oui, mes élèves prennent pension ici, fait-elle, j’ai passé un accord avec leurs familles. Ici, les femmes vont pêcher l’anchois avec leurs maris et cela les arrange de se décharger tout à fait de leur progéniture… Tenez, la salle de bains est ici. Pas très luxueuse, mais il y a de l’eau chaude et une baignoire sabot. Je vais essayer de vous dénicher des vêtements.
Je lui décoche le grand merci de d’Artagnan venant de s’embroquer M me Bonacieux et je m’enferme dans la salle d’eau. Tu ne trouves pas que ça s’appelle avoir du bol, toi ?
Mon ange gardien est capricieux, parfois, mais dans l’ensemble c’est un petit emplumé qui connaît son boulot.
Quelle délectation, mon z’ami, que de l’eau chaude dans mon cas ! Je me fourbis de partout : les entre-orteils, les entre-meules, le dessous des aumônières, là que ça fait un peu nid à poussière. Je lui carbonise sa grosse savonnette à la mimiss. Plus un demi-litron d’eau de Cologne. Je me fais les ongles, je me shampouine, me lotionne, torchonne, frictionne, décape, rince-bouche.
Quand enfin je m’hasarde hors de la salle de bains, je reluis comme une pièce frappée à l’effigie du roi soleil quand elle est fleur de coin (et lui fleur de nave).
Des vêtements sont préparés sur le premier des cinq plumards. Un futal de velours, de grosses chaussettes de laine, un fort tricot de marin, des sandales de cuir.
J’arrive à m’insérer dans ces différents réceptacles. Ça craque un chouille aux entournures, mais je suis relingé et c’est là l’essentiel.
— Je peux ? demande la jolie voix de mon hôtesse.
— Et comment !
Elle paraît. Elle a posé sa blouse bleue à col blanc et elle porte un pantalon de lin bis qui lui moule le tortillard comme une pelure d’oignon moule son oignon, et un sweater-polo jaune souci qui lui exalte à la fois la chevelure et les loloches.
— C’est quoi votre nom, miss ? que je puisse réclamer la bénédiction céleste pour vous sans risquer que mes prières fassent retour pour cause d’adresse incomplète ?
— Kasleen, me répond l’adorable sauveuse.
Elle ajoute en souriant :
— Malgré l’état de ces hardes, je vous préfère ainsi.
Tu me connais ? Faut pas qu’une gonzesse me préfère trop ouvertement, moi, sinon je perds vite le contrôle de ma direction.
Si tu veux mon avis, cette jeune beauté doit se faire tarter comme mille rats morts sur son îlot à la con, en compagnie de ses petits saucissons. C’est pas humain, une vie pareille. Vaut mieux le Carmel. Au Carmel, au moins y’a la télévision et des plombiers pour réparer les fuites d’eau.
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