Donc, nous sommes maîtres de l’impasse et du coup, de la situation. J’aide Bérurier à se relever. Et c’est alors que mon bon ange (c’est ainsi que je nomme le gonzier qui m’arrange les bidons) fait des heures supplémentaires sous la forme dont je vais.
Là, près du gars allongé, parmi les outils dispersés par l’impact, accrochée à l’une des fixations de la chaîne à neige, une espèce de petite médaille remue doucettement. Le surnaturel, tu sais pas ? C’est à cause d’un rais lumineux qui tombe droit dessus, en provenance de la fenêtre du premier, et l’éclaire comme une icônerie dans une orthodoxie. Je pèse mes mots : sur-na-tu-rel ! Le hasard qu’il falle pour que ce pinceau de clarté se soit posé sur cette petite chose brillante. Et, dis donc, avant d’en arriver là : que j’eusse eu à propulser ces chaînes ! J’ai connu un monsieur, il avait pêché une montre Louis XVI dans l’Yonne. Tu te rends compte, ces millions de milliards d’improbabilités pour que son con d’asticot passe par la boucle de l’oignon, qu’ensuite un poisson se le goinfre, et puis qu’il ramène le tout, ce pêcheur miracle [5] Je tiens à préciser que cette anecdote est rigoureusement véridique. (San-Antonio) [9] .
? Ça flanque le frisson, hein ? Comme lorsque tu calcules combien il faudrait de zizis comme le tien, mis bout à bout, pour aller de la Terre au Soleil.
Enfin quoi, c’est la vie, non ? Moi j’y peux rien.
Et l’objet qui brille, si je te le compare à une médaille, c’est bien pour dire de t’emmener en barlu, te fourvoyer la crédulité. Je connais mon métier de suspenseur. Je t’aurais dit tout de go qu’il s’agissait d’une clé, ça perdait de son envoûtement. Pourtant c’est bien d’une clé d’acier brillant qu’il est question. Une clé que je reconnais car elle ressemble comme une cousine jumelle à celle que m’a remise la Gertrude à la banque, quand je me suis fait ouvrir un coffre et que je l’ai embroquée contre, cette poulette.
Je la décroche, comme on prend un fruit mûr à la branche dont il est sorti et qu’il allait larguer.
Elle porte le numéro 44.
CHAPITRE XI
QUI APPARTIENT AUX PLUS BEAUX DE MA CARRIÈRE [6] Et pourtant, hein ?
La sirène d’une voiture de police retentit dans le silence de la nuit. Sûr que la maman Inidschier a prévenu la Poule. Fallait s’y attendre.
— Vite ! lancé-je au Gravos, lequel s’éponge le visage avec du papier hygiénique qu’il pique dans les restaurants afin d’emporter les reliefs (non de ses repas car il n’y a pas plus de reliefs dans l’assiette du Gros que sur un court de tennis) des voisins de table.
Il pige et se hisse dans la Land-Erneau-Rover. Me voici au volant. Manœuvre rapide. Je l’arrache de l’impasse tragique (comme l’écriront les baveux de demain) et m’engage dans la rue des Frères Paul Kenny (surnommé le Malin, parce qu’il est de Malines). A l’instant précis, la Volkswagen à phare tournant de la police se présente. Je lui fous mes loupiotes en grand et j’appuie sur la girolle. La bagnole flicarde freine pour se laisser croiser. Doit y avoir tempête sous les crânes des trois poulagas se trouvant à son bord. Il y a bulle puisqu’il y a cons, et au bout d’un assez bref conciliabule, deux flics sortent de la tire cependant que le troisième opère une époustouflante volte-capot, histoire de nous courser.
— J’ai idée qu’on n’est pas encore au plumard, soupire l’Endommagé.
* * *
Il n’est rien de plus fastidieux qu’une poursuite en voitures, la comtesse de Sussmela me le disait encore pas plus tard que naguère. Fastidieux pour qui la visionne dans son fauteuil de cinématographe, fastidieux aussi pour ceux qui l’exécutent. Foncer, le pied au plancher, éviter les embûches de Noël et les autres tout en gardant un œil dans son vadérétroviseur (Satanas), prendre des virages à la corde, suer du dos, se cogner le front au pare-brise à cause des freinages en catastrophe, ah, Dieu, quelle corvée.
Et puis, quoi, merde, comme me le disait le comte de Sussmela, une Disney-Land-Rover n’est point l’engin adéquat pour accomplir pareille performance. J’en fais vite la remarque, et Bérurier-le-Preux plus encore que moi, lui qui n’a pas le privilège de pouvoir se cramponner au volant et qui accomplit un mouvement d’essuie-glaces sur la vitesse 3, sacrant pis qu’à Reims, jurant pis une barre de cour d’assisses, saignant pis que les abattoirs de Chicago et tout ça…
Le policier arrière possède un joli brin de conduite. En plus, il a l’avantage de sa sirène, de son phare tournant et du prestige indiscutable de son uniforme.
Béru qui le mate tant mal que bien par la vitre me dit :
— Faudrait trouver d’urgence un terrain de camping, pac’qu’ ce zob à roulettes est en train de balancer un message radio à ses congénés et on va voir se pointer une vraie tribu d’marchands de frites dans moins d’pas longtemps.
Je réfléchis et réponds :
— Gros, c’était dans quel bouquin que j’ai fait le coup du virage lors d’une poursuite ?
— M’en rappelle plus, et comme j’y étais pas, tu peux le ritéérer, et pis t’sais comme les lecteurs sont glands ; à preuve, t’en as qui lisent l’ Figaro tous les jours de leur vie sans aperc’voir qu’c’est l’même et qu’a qu’la date qui change…
Fortifié par la pertinente assertion, il ne me reste plus que de trouver un beau virage propice à mes desseins animés. Ce virage doit être arrondi et non à angle droit, se trouver à proximité de voies latérales et, de préférence, dans une zone mal éclairée.
Le concours de circonstances se propose juste comme je quitte le boulevard Lumumba pour m’engager dans l’avenue du Zaïre. Une rue en pente ascendante, qui, au bout de trois cents mètres, tourne sur la droite.
Je champignonne à fond la caisse.
— Ouvre ta portière et prépare-toi, gars !
Je fais de même grâce à ma main gauche que tu peux pas t’imaginer ce qu’elle m’est utile dans ces occasions-là. En plus, je coupe toutes les loupiotes de la tire. Je roule les derniers mètres à borgnon. Et puis j’arrête le contact et saute de la Landeau-Roverte. Le Béru agit pareil. Notre grosse tire s’immobilise à la fin de la courbe.
Une vieille dame insomniaque, accoudée à sa fenêtre, s’apprête à contempler un très bel accident, dont j’espère qu’il sera corporel le moins possible, n’ayant rien d’autre que de la sympathie à l’endroit de notre poursuivant.
Il se pointe.
Ses phares dansent.
Balaient un immeuble vétuste agrémenté d’un buste de vieillarde. Puis illuminent l’arrière de la Cleveland-Rover. Et alors, le conducteur flamand se dit textuellement ceci :
— Mais… un, deux, trois … c’est la voiture que je course… un, deux, trois … et elle est arrêtée… un, deux, trois … si je ne freine pas je vais la percuter… un, deux, trois … alors freinons !
Et pile comme son pied droit passe de la grisante pédale d’accélération à la sécurisante pédale du frein, voilà-t-il pas qu’il emplâtre notre grosse pompe en force.
Vraoum ! comme il est écrit dans les sarabandes dessinées. Mais en énormes caractères à languettes. Il se passe ceci, mais très vite :
Le pare-brise de la voiture policière éclate, la grande vitre arrière de la Glande-Rover aussi. Le policier, sous l’impact, est projeté en avant (arche !). Il pénètre comme une fusée dans le gros véhicule télescopé, le traverse de part en part, achève de trajecter contre le pare-brise de la Flandre-Rover, extrêmement résistant, puisqu’il a eu la médaille de la Résistance interprétée par le général de Gaulle.
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