M’ayant alerté, le gars Barbara quitte ses clilles et rentre chez lui. Le gros Jef l’attendait. Il le torture, lui tranche son canari des îles-sous-le-ventre, le lui fourre dans la bouche (car c’est une histoire à la mords-toi les couilles) et le tue. Point à la ligne.
Ensuite, Fayol… Fayol qu’il questionne avant de l’effacer. Pour lui faire dire quoi ?
Béru revient, portant un bidon de fer dont le fumet est révélateur : hydrocarbure. Quand tu le portes à ton oreille, t’entends le Koweït.
Mister Alexandre-Benoît continue de se montrer affairé. Il débouche son bidon et arrose copieusement la frime du barbu, lequel suffoque pis encore que précédemment. En tout cas, sont-ce les vapeurs d’essence ? Toujours est-il qu’il paraît récupérer de l’essai transformé par mon aminche.
— Dites, Jef, vous êtes en état de tenir une conversation, j’espère ?
Ses énormes yeux d’insecte, qu’on dirait à facettes, tourniquent dans sa trogne hideuse. On peut y trouver de la fureur en très grosse quantité, le reste se composant de vilenie surchoix.
Comme il ne moufte pas, je me permets d’insister :
— Le silence, dans votre cas, est plus de plomb que d’or, mon bon monsieur. Il va vous causer d’incommensurables ennuis si vous vous y cantonnez.
Mes grands mots ont le don d’irriter Messire Béru, lequel affectionne les situations franches.
— Attends, dit-il, on va le réveiller en plein.
Il fouille les deux poubelles de toile qui le bâtent et trouve dans l’une d’elles une pochette d’allumettes.
— T’as jamais vu flamber une barbouze, mec ? me demande Sa Majesté. Surtout arrosée d’essence ! T’vas admirer c’feu de broussailles !
Il craque une allouf.
Jef Inidschier proteste :
— Non !
— Alors tu causes, Enfoirure ? questionne mon très cher collaborateur.
— Va te chier ! répond Jef.
Dans le fond, il espérait un peu ça, le Gravos. Une rapide soumission l’eût déçu. L’homme a besoin de justifier ses délires. Il lui faut tout le temps des points d’appui pour soulever son propre univers. Sinon, il est amené au renoncement et bientôt à la chute.
Il laisse l’allumette s’éteindre au bout de ses gros doigts tailladés par l’existence, puis la jette.
— T’as raison, l’artiste, approuve-t-il.
Et il disparaît sans autre explication, si tant est qu’on puisse en trouver une dans la brève phrase ci-dessus.
— Vous avez tort de rechigner, dis-je. On ne parviendra peut-être pas à vous faire parler, monsieur Inidschier, mais on emploiera tous les moyens mis à notre disposition par une double imagination plus fertile que la Beauce, et nous ne vous ferons pas l’ombre d’un cadeau.
Retour d’Alexandre-Benoît, porteur d’un seau d’eau.
Je l’interroge du regard, surpris par cet accessoire. De bonne grâce, mon pote s’explique :
— C’est pour éteindre sa frite quand é s’mettra à cramer ensuite de la barbe.
Comme, dans le fond, il n’est pas dépourvu de sensibilité, même en face des monstres, il demande en grattant une deuxième allumette :
— Alors, non ? Toujours motus et vivendi ?
Le Jef, tout ce qu’il se permet, c’est de nous foudroyer de ses grosses gobilles sanguinolentes de rage.
Béru jette l’allumette dans la vaste barbe.
Ça fait « flaouffff ». Et un baiser s’élève. V’là qu’il a un incendie en guise de masque, ce tordu. Il se met à bieurler, de quoi faire vêler prématurément toute la Normandie laitière. Alors j’empoigne le seau de flotte et le lui propage en pleine poire. Cela occasionne un deuxième « flaouffff » aussi important que le précédent. Le feu s’anéantit. Nous apparaît dès lors une trogne rougie, noircie, sans barbe ni sourcils.
Il a totalement changé d’aspect, Jef Inidschier, une fois privé de son piège. On découvre que sa bouille ne possède pas de menton. Il est tout tassé du bas, et ses mâchoires font la semelle de mocassin.
— Bath ! admire Bérurier. Y m’rappelle le boxer à ma belle-sœur de Nanterre, en moins joli. Qu’est-ce que tu dis d’c’rasage espress, beau Casse-Noisettes ? Braun ou Rémingueton, tu peux toujours courir pour ob’tenir c’v’louté !
— On s’y met ? coupé-je.
— Vous êtes deux enc…, répond le coriace.
Je me sens du glacé dans la moelle épinière.
— Toi, j’ai bien envie de te servir une pension de 30 millions par an, avec avance de cinq secondes pour solde de tout compte ! lui lâché-je.
Il me fixe de ses globes plus rouges que never.
— Va te faire fourrer, grande lope !
C’est suicidaire comme attitude, tu ne trouves pas ?
Y a des gens, commak. Pourtant, un grosse gonfle vicelote comme lui, on pouvait espérer qu’elle flancherait rapidement. Un gars pourri, sadique, meurtrier, ça n’a rien d’un Bayard. Note que Bayard, hein ? Y aurait fallu le voir dans la même situation. On lui aurait filé un boisseau de fourmis rouges dans l’armure, à Marignan, il moulait aussi sec le François Pommier pour aller se faire déculotter au chalumeau oxhydrique, je garantis. Et pourtant, cézigue, il raffolait les rois puisqu’il en a servi trois avant de se faire allonger comme un gland sous un chêne.
Mais comme l’écrivait encore mon bon maître Roland Dumas (pardon, j’voulais dire Alexandre ; Roland, lui c’est pas un auteur, c’est un mousquetaire) revenons à ce problème préoccupant qui est le nôtre.
L’initiative est laissée à Bérurier, lequel, en auxiliaire zélé, fait très bien son sévice.
Au fond du local se trouve un sauna. En face du sauna, il y a une sorte de piscine minuscule, de trois mètres sur deux, pas davantage, dans laquelle se trempent les ébouillantés après leur séance de suffocation.
Le Gros va s’assurer de la profondeur de ce trou : environ un mètre soixante-six.
Il chope l’haltère liée aux pieds de Jef et se met à haler. Le reste suit : l’ex-barbu et le deuxième haltère.
— Où est-ce que tu hales ? m’informé-je.
— Tu pourrais m’donner un coup d’main au lieu de curiositer, ronchonne le haleur (qu’il est).
Inutile, le premier haltère est déjà au bord de la piscine.
— T’sais pas, dit le Mammouth à l’Incendié, j’vas virguler c’te bricole dans l’eau. Ça va t’faire de la longation des cannes, déjà qu’t’as le pot d’échappement au ras du gazon. J’suppose qu’tu pourras pas résister longtemps. Si tu voudras qu’on stoppe la manoeuv, tu dis « pouce » et tu réponds aux questions d’monsieur qu’voilà.
Il exécute son plan. Le premier haltère bascule. Ça flanque une secouée noire au vilain. Il rehurle, se cramponne, grimace. Il est happé par le poids inexorable qui l’attire vers la piscine. Ravaillac, Damiens, priez pour lui ! Sans ambages, il va devenir sans jambage, comme un « o ».
— Non ! J’peux pas ! qu’il dit ! Je peux pas !
— Tu vas causer ? demande bonhomme Béru.
— Ouiiii… arrêtez ! Je glisse, arrêtez !
Pépère retient le deuxième haltère.
— Alors grouille-toi de jacter, mon pote.
— Ouiiii… Qu’est-ce qu’il faut dire ?
— Pourquoi as-tu tué Barbara ?
— Mais… mais non… Je n’ai pas tué Barbara…
— Tu voyes l’à quel point il ostine ? fait Bérurier en relâchant l’haltère.
Ce qui suit nous surprend plutôt. Tout ce qui est fortuit surprend, quand bien même ce serait prévisible. En abandonnant la tige de l’haltère, le Mastar, sans le faire exprès, lui a imprimé une secousse. Et voilà les deux roues qui se mettent à tourner. Jef Inidschier file droit dans la flotte, avec l’énorme poids comme bouée de sauvetage. Plouf, et plouf ! Plus rien que des bulles à la surface du mouilloir.
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