En route, Santantonio, l’Aventure t’attend.
Ou tonton.
* * *
La nuit est tombée, sans bruit ni crier gare.
J’enquille une venelle aux fragrances javellisées à cause d’une patrouille de flics déambulatoires. Tu vas m’objecter que ça n’est pas une soluce d’esquiver les bourdilles, et que si ma déguisance est bonne, je peux au contraire les affronter la tête haute ; pourtant l’homme en rupture de siège a de ces réactions spontanées. Pas le temps d’analyser, de réfléchir. Des poulets droit devant ? Ho, virage sur l’aile.
J’emprunte donc cette venelle. La rends lorsque j’atteins son autre extrémité, hésite, ne sachant où je dois aller. Je suis sans projet, mais dispose d’énergie, ce qui est essentiel. Il vaut mieux ne pas savoir quoi faire et être capable de le faire que l’inverse. Je me trouve au cœur d’un quartier pittoresque, composé de petites maisons basses. On aperçoit beaucoup de femmes sur les seuils et je me demande si le quartier en question ne serait pas réservé. Quelques secondes d’examen m’indiquent que probablement oui, car des bonshommes déambulent comme au marché, en reluquant les dames. Parfois, l’un d’eux aborde l’une d’elles. Brève converse et les deux s’engouffrent dans la petite maison.
J’en suis très exactement là de ma conclusion lorsqu’une voix graillonneuse m’interpelle (à tarte) :
— Tu prends combien, ma jolie ?
Je regarde à qui appartient cette voix et ma surprise est vive de reconnaître le gros mec qui m’a proposé la casquette-message l’autre jour sur la plage.
Le dénommé Alonzo Alonzi, plongeur d’élite dans une brasserie de la capitale. Le chéri vient tirer sa mignonne crampette hebdomadaire chez les dames pétasses.
— Pas aujourd’hui, fais-je d’un air horrifié, c’est un jour sacré, le jour du sans-rire !
— On peut baiser sans se marrer, objecte cet homme de bien, avec quelque pertinence, que, moi qui te cause, l’ami, moi qui te déconne à longueur de vie, j’ai su un mec qui pleurait en broutant le frifri d’une fille. Qui pleurait d’amour pour elle, en pleine dégustation de tarte aux poils, comme dit l’Audiard. Qui pleurait la bouche pleine, enfoui dans les profondeurs de celle qu’il bouffait, pleurait de détresse à cause de l’instant qui ne tarderait pas à finir ; pleurait aux perspectives de la vie salopeuse qui l’attendait sur le pas de la porte pour l’emmener dans l’emmouscaillage général ; qui pleurait dans un corps adoré toutes les larmes du sien ; pleurait dans ses délices, l’ami, pleurait dans des jouissances les plus pures larmes de son existence ; pleurait comme je te pleure d’en parler, l’ami, et se sentait grandi par sa peine d’un tel moment, par ce grand mérite unique et magistral de chialer dans une chatte en émoi. Et que personne n’y peut rien, ceux qui comprennent pas davantage que ceux qui ne comprennent pas, parce que c’est ainsi, la beauté du monde : des larmes sur un cul bouffé. Et merci mon Dieu d’avoir permis cela. Car là est Votre vraie grandeur, mon Dieu : sexe et cœur confondus, foutre et larmes mélangés. Là est votre gloire de l’homme. Et vous n’aurez même pas un mot à dire pour qu’il soit sauvé, celui-là qui aura pleuré de misère en faisant minette. Pleuré tout en bandant. Seigneur, pleuré en tyroliant un clitoris épanoui. Quelle prière a pu jamais vous toucher davantage, Seigneur ? Répondez ! Répondez-moi : je suis dans l’annuaire.
Alonzo me défrime avec insistance. Sa remarque n’espérait pas de réponse. Il me regarde en accomplissant un effort mnémonique (amenez Monique !). Visiblement, je lui « dis » quelque chose.
— On s’est déjà vus, assure-t-il brusquement, je suis déjà monté avec toi, ma grande ?
— C’est possible, réponds-je pour m’en débarrasser, tout en réprimant un grand frisson d’effroi. Salut, à un de ces soirs !
Et je m’apprête à continuer mon chemin de nulle part, lorsqu’il me saisit par le bras.
— Attends, écoute.
Mais il oublie ce qu’il voulait me dire. Il palpe mes biscotos d’athlète et bégaie :
— T’es un homme !
— Tous les goûts sont dans la nature, grand fou ! éludé-je.
Là-dessus, je m’arrache. Il me course.
— Hé ! Amigo !
Tu parles d’un obstiné, ce gros con, il risque de me pulvériser la cabane.
— Quoi ?
— J’ai jamais essayé avec un gars, me dit-il en baissant le ton, je voudrais me rendre compte…
— Revenez demain !
— Demain je ne serai pas libre, c’est tout de suite que je veux !
— Je vous ai déjà répondu qu’il n’en était pas question aujourd’hui.
Le gros lard visqueux prend soudain une expression sardonique. Son excitation le rend fumier comme un mâle insatisfait.
— Tu sais que ton petit boulot est formellement interdit par la loi et qu’il est puni de mort ?
Merde ! J’aurais dû m’en gaffer. Les régimes comme celui du vénéré président Tiago Chiraco s’appuient toujours sur des tabous. Ils martyrisent des minorités pour donner bonne conscience à la majorité. La grande aubaine reste les juifs. Les nègres, maintenant, ils n’osent plus, depuis que ces cons prolifèrent, qu’ils sont licenciés et commencent à savoir se servir de Migs ou de Mirages. Pour les zhomos aussi ça se tasse, sauf encore dans des patelins rétros, comme le San Bravo.
— Ecoute, mon beau chéri, lui roucoulé-je, je ne saurais pas où t’emmener car, pour te dire la vérité, ma vieille mère, sa sœur infirme et mon petit frère viennent de débarquer dans mon studio de travail ; tu ne nous vois pas faisant des galipettes devant eux ?
Le vilain porcelet me montre une maison rose, à une jetée de capote anglaise de nous.
— Viens par ici, c’est chez la pute que je me tape habituellement, on rigolera.
— Ecoute, Chouchou…
Il a de la mousse aux lèvres, ce gros tendeur. Le regard en pleine globulation.
— Si tu ne viens pas, j’appelle un flic. C’est pas dur : il suffit de crier « police » et il en sort de partout !
— Méchant !
— Viens !
On ne pourrait neutraliser sa flamme qu’à grand renfort de seaux d’eau froide. Je le suis donc, me promettant de lui faire sa fête sitôt que nous nous trouverons dans un lieu adéquat et concomitant.
Il pousse une porte dans la façade rose praline de la crèche. On se trouve en présence d’un escadrin, tout comme chez mon pote le nazi, car, au San Bravo, le rez-de-chaussée n’existe pas et les maisons commencent à partir du premier étage.
Parvenu au sommet des seize marches de pierre, il actionne le heurtoir d’une deuxième lourde.
Qui s’ouvre.
Une fille fardée comme les très anciens habitants du pays, je te cause d’avant Colomb, et sobrement vêtue d’un peignoir en voile arachnéen (le voile qui fait se voiler la face) surgit dans l’encadrement.
— Tiens, c’est toi, Alonzo ! dit-elle morneplainement. Mais tu es avec une fille !
— Je veux une séance de gala, annonce Alonzi. Rassure-toi, j’ai de l’argent.
— Alors si tu as de l’argent, vous êtes les bienvenus, fait la fille.
Elle s’efface pour nous laisser entrer.
Et mon sang, au lieu de ne faire qu’un tour, se met à geler. Il stoppe dans mes veines comme l’eau dans les canaux de Bruges l’hiver qu’il a fait si froid, si froid que le zizi du Manneken Pis lui est resté dans la main, le pauvre chou !
J’ose à peine le dire tellement c’est bas.
La pute…
La pute dont Alonzo Alonzi est l’habitué fervent n’est autre que la chaste Hildegarde Von Mammel.
T’aimes ?
CHAPITRE DOUZE
DANS LEQUEL
ÇA DEVIENT CATASTROPHIQUE
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