Nous arrivons à Ephèse. Des guides nous proposent la visite du musée, mais moi, merci bien, l’art en conserve, je suis pas partant. J’aime trop la vie pour aller me coller le pif contre un mur, à déchiffrer des cartons. Selma hésite et se range à mon avis. On boit un café turc sur la ravissante petite place avant de partir visiter les ruines. Des kilomètres d’émerveillement. La maison de la Vierge, l’Agora, la basilique de Saint-Jean, la mosquée d’Isabey, tout ça, suivez le guide ! Celui du moins que je tiens à la main. J’en fais la lecture à ma nouvelle camarade. Je suis un peu amer en songeant que je manque à mon « devoir » puisque je n’ai pas attendu Vera pour pousser ma cour. Mais quelque chose me dit qu’il est préférable de la laisser un peu quimper, le désir s’accroissant (de lune) quand l’effet se recule. Et, en outre, Selma me botte. C’est de la jolie bête de race, bien fringante.
Jusqu’à présent, je ne lui ai pas appliqué ma thérapie de base. Non, non : copain, copain.
Et nous marchons sur les rocs, les dalles basculées, les ruines de guingois comme des dents de vieillardes. On va de temple en arc, de bain de Scolastichia en fontaine de Trajan… On discutaille, on admire. Oh ! bonheur, la chérie n’est pas chargée d’un clic-clac. Elle est venue les mains nues et les yeux ouverts. Elle ne regarde pas tout ça à travers un viseur.
C’est rudement fatigant, en pleine chaleur, de cascader ainsi sur des pierres, de s’arrêter à tout moment pour déchiffrer le passé dans ses débris. On arrive à la maison close ; là que fut trouvée la délicate statue du dieu Priapos qui le représente avec un chibre aussi important que le reste de sa personne. C’est un vrai gode que ce Gott . Le braque est colossal. Selma se marre comme une follingue en le voyant. Un peu rougissante toutefois. Dame, c’est impressionnant. La personne qui imagine ce misteur Priape en action, crois-moi, elle ressent des frissons dans ses régions sinistrées.
On s’assoit dans l’ombre de ce qui subsiste du bordel. On est vannés. Comme nous avons précédé les cars, c’est peinard autour de nous. Juste des insectes, les mêmes qu’au temps où le claque fonctionnait. La môme Selma allonge ses jambes merveilleuses et s’adosse au mur. Je me dis que cent piges avant Jésus-Christ, il devait y avoir plein de nanas rutilantes dans le bâtiment, des surdouées du radada qui savaient te déterger les glandes en apothéose.
— Priapos ! murmure la jolie Danoise.
Et puis, bon, elle se tourne vers moi. Avec mister mézigue, tu ne l’ignores point, il n’est pas question de tergir le versé. Je sais reconnaître à la fraction de seconde quand une frangine « en veut ».
Là, elle est partante, la môme Elseneur. Notre marche, notre brusque isolement, la fatigue, la faim, le reste. Son regard brille d’excitation. Priape avec sa rapière géante qui lui cigogne les sens, va savoir. Je la soulève comme une plume pour l’adosser au mur et lui débitougner son petit shortinet. Pas commode. Elle entre là-dedans à l’horizontale, après s’être talquée et en s’aidant d’un chausse-pied. Le duraille, c’est le bouton d’en haut ; je m’y casse un ongle, cré bongu de merde ! Elles veulent toujours paraître plus minces qu’elles ne sont, même quand elles se font des ceintures avec leurs gourmettes.
Mais enfin, quoi, je vais pas me laisser brimer par un bouton, non ?
Tout en m’activant, je me dis que la saison des amours, oh ! pardon, elle m’apporte la grosse provende c’t’année ! J’ai pas le temps de respirer, ni celui de la remettre coucouche-panier comme disent les connards. Je me rappelle plus combien elle a de bras, la déesse Machin, six, je crois. Tonio, lui faudrait six biroutes tel que ça démarre. Il pleut des gerces sur ma vie comme il pleut sur mon cœur. Je les compte plus. Heureusement que j’ai des aptitudes. Je livre à domicile. La fonction crée l’orgasme.
Ça y est, ouf, v’là le short dégrafé. Comment s’arrangera-t-elle, la môme Selma, pour le remettre, je veux pas le savoir. Tu deviens un peu cynique à force. La fornication intensive est néfaste à la galanterie. Tu crois que le taureau, il raccompagne la vache jusqu’au portail en lui meuglant comme quoi c’est gentil à elle d’être venue se faire fourrer et que tout le bonheur a été pour lui ; à la prochaine ? Non, non. Le taureau, quand il a virgulé sa potion magique, il se remet sur ses quatre pattounes et il va casser la graine. Ne lui a pas jeté seulement un regard à sa bien-aimée d’une minute. C’est à présent qu’elle peut aller se faire foutre, il en a plus rien à branler. Je suis là, j’exprime… C’est pas choisi, mais je m’en tartine le fondement. C’est de la prose pour vendre, pas pour primer. Mes prix littéraires, moi, c’est mes tirages et l’éclectisme de mes lecteurs. Et le bonheur rare de scandaliser les peigne-cuculs, ça oui, aussi, ça surtout. Quoi de plus rassurant que de choquer les bêcheurs. J’en rencontre, la bouche constipée, le regard judas qui me susurrent avec force battements de cils :
« — Je dois vous faire un aveu… »
J’ai déjà pigé.
Je les interromps :
« — Vous êtes tout excusé ! »
Mais ils causent quand même. Ça leur dégouline.
« — J’ai essayé de vous lire, franchement, j’ai essayé, à plusieurs reprises, mais je ne peux pas. »
« — Faut pas forcer, je les réponds ; ça signifie que ce que j’écris n’est pas pour vous. »
Y en a même, je te jure. Regarde-moi bien ; je lève la main droite et je jure ; y en a qui osent cette question « Vous n’allez pas me dire que vous aimez « ça », vous ? »
« — J’ai pas à aimer ou à ne pas aimer ; ce que je sais, c’est que c’est toute ma vie, que j’y mets tout mon cœur, que c’est pas facile à écrire, que ça me mobilise complètement, que ça me fatigue à l’extrême comme un exploit physique, que je le prépare comme un fleuriste une composition florale, oui, un bouquet de mots qui vous choquent, de phrases qui vous indignent. Et alors, ce que je sais surtout, et c’est l’essentiel, je sais que cela n’a aucune importance que vous ne puissiez pas me lire. »
Et parce que je me sens massacreur, soudain, j’ai envie de courir écrire d’eux, pour bien les dire tels qu’ils sont, sans rien oublier, mais j’en oublie. J’en oublierai toujours. Ils sont pires ; bien pires. Pires qu’ils m’apparaissent. Leur substance m’échappe, je ne conserve d’eux que des bribes, l’essentiel reste en eux. Faut se cacher, plus les voir. Quand ils écrivent je réponds pas. Ah ! la somptuosité du silence ! S’ils me traquent, je change le sujet coûte que coûte, ou alors les envoie chier avec gros fracas. En leur hurlant qu’ils me brisent les couilles, que cons à un tel point, ils doivent obligatoirement aller se faire sodomiser par n’importe qui, n’importe quoi pourvu que ça soit gros et que ça aille loin. Et quand je parviens à changer le cap de la converse, je les entraîne sur des choses insolites. Je leur parle de Virginie Guillet , de La Tour-du-Pin. Ils croient à une poéteuse à cause de « La Tour-du-Pin », fatal. Je leur explique que Virginie Guillet , faut l’agiter avant l’emploi, la tenir à l’abri du gel. Virginie Guillet , c’est une partie de ma vie. L’étiquette a été modifiée, mais la formule est inchangée. Elle a connu des tribulations, Virginie Guillet (la véritable). Le temps n’est pas simple. Mais elle existe toujours. Elle a eu d’abord pour successeur M. Paul Strassarino, son employé et héritier. Les motivations de ce legs, je les perçois pas en plein, j’imagine, je constate. Paul Strassarino, de Jallieu, tu te rappelleras ? Ensuite, M. Barrier a acquis de l’hospice de Jallieu, qui était légataire universel des époux Strassarino, la marque et la recette de ce produit préparé dans son laboratoire aux Abrets (Isère). Et de nos jours, Virginie Guillet , la grande, la seule, la VÉRITABLE est entre les mains de S. Chabert (comme le colonel) de Saint-André-le-Gaz. Je te donne pas son téléphone, tu serais capable de l’emmerder pour rien.
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