Frédéric Dard - Pleins feux sur le tutu
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- Название:Pleins feux sur le tutu
- Автор:
- Издательство:Éditions Fleuve Noir
- Жанр:
- Год:1984
- Город:Paris
- ISBN:2-265-02731-6
- Рейтинг книги:4 / 5. Голосов: 1
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Tu parles d'une escalade !
Je pédalais que d'une !
Tout en danseuse, mon pote !
Et avec pleins feux sur le tutu !
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Pour Toinet, j’avais fait l’emplette d’une bagnole de police téléguidée ; et je n’avais pas oublié notre bonniche espanche à qui je destinais un foulard Hermès que ça représentait une corrida, olé !
Ça baignait.
Je me sentais cool. On boirait une boutanche d’Yquem (mon pied) avec le foie gras. C’est-à-dire que je me cognerais la boutanche presque à moi tout seul, m’man ne buvant presque pas, et la Conchita n’étant pas apte à apprécier un tel nectar. Je lui en avais fait déguster un jour de liesse et cette vertigineuse conne avait fait la moue en disant comme ça :
« — Azucarado ! Azucarado ! » (Sucré ! Sucré !)
Sucré ! Enfoirée, va !
Je mis ces délices du soir dans un coin de mon esprit, puis appelai la Maison Poupoule, histoire de me rencarder à propos du dénommé César Césari-Césarini.
J’appris que le dénommé gagnait son caviar en exploitant trois ou quatre boîtes de nuit dont la plus huppée, Le Grand Vertige s’honorait d’une clientèle surchoix. Il traînait un casier judiciaire point trop chargé : proxénétisme, une douzaine d’années plus tôt, et aussi meurtre en état de légitime défense sur la personne d’un truand qui avait voulu le racketter comme un branque. Césari-Césarini était sorti des assiettes la tête haute. De temps à autre, il bouffait à la Grande Gamelle, histoire de rester en bons termes avec les Roycos. Bref, c’était un père peinard du Milieu, plus exactement de sa frange, et on l’imaginait mal trempant, à soixante et mèche, dans un coup fourré fracassant.
De songeur, je devins perplexe.
Une nana me rendit visite, fidèle à sa promesse ; une dénommée Gretta, belle Allemande aux cheveux d’or et au regard de faïence. Pour la divertir, je l’embroquai sur mon bureau après une mutine séance de minouche parisienne. Elle avait les deux pieds sur les accoudoirs de mon fauteuil. Moi je restai assis, les coudes sur le burlingue, kif le gazier qui dirige la tour de contrôle de Roissy-Charles-de-Gaulle, à lui pousser une tyrolienne de bègue en javanais.
Bon, tout ça… Je t’apprends rien. On a ses secrets, sa méthode, Descartes avait bien la sienne et il faisait plus de discours que moi à son propos. La môme regrettait pas d’avoir franchi le Rhin, au contraire, elle criait Sehr gut, sehr gut à s’en claquer les ficelles.
Ensuite, y a eu après, comme dit Béru, une chevauchée héroïque. Elle à plat ventre sur le sous-main. Tous derrière et lui devant, comme le petit cheval à Paul Fort. Très beau steeple. A un moment, au plus ardent, le téléphone a sonné. J’ai décroché. C’était Mathias qui demandait s’il pouvait garder le reste de son après-midi pour d’ultimes achats. Sans cesser de limer ma Gretchen, je lui ai accordé la permission. Un 31 décembre, si on ne se montre pas tolérant, hein ? Fraülein Gretta trépignait du fion, je me suis grouillé de raccrocher pour envoyer mon message de fin d’année.
Après quoi la gosse est allée voir ailleurs si ma zifolette à col roulé y était. C’était une demoiselle pas compliquée, une sensorielle plus qu’une véritable sensuelle. Elle aimait le paf, la tringlette, sans préalables casse-bonbon ni postface mondaine. « Bonjour, tu es prêt ? Hop ! En selle ! Et puis ciao, bambino, tes transports valent ceux de la R.A.T.P. A bientôt ! » C’est pas de l’amour, c’est mieux que de l’hygiène et ça ne mange pas de pain. Pas d’usage prolongé sans avis médical.
Un quart d’heure après l’en-allade de Gretta, Lurette a refait surface. Il avait l’air d’un rat d’égout, cradingue comme jamais, à grignoter son hévéa. Mais son regard d’un peu vermine scintillait.
— Je finis bien l’année, patron, m’a-t-il annoncé.
Il bichait comme les poux qui devaient faire les fous dans sa tignasse.
Dans le fond, il restait un môme. Sa crasse protégeait ce qui restait d’enfance en lui. Il me faisait songer à un jeune maçon italien au chômage.
Je pris une posture commode pour écouter son récit. Lurette me conta alors qu’il s’était rendu directo à l’hôtel particulier de Césari-Césarini. Une cour sans prix, pavée de granit rose et cernée de treillage vert à quoi grimpait du lierre, était offerte, portail béant. Un chauffeur lavait une énorme Mercedes 600 qui aurait dû gagner la dernière guerre. Lurette feignit d’admirer le véhicule, posa des questions pertinentes à son sujet. Comme tous les chauffeurs, l’homme était amoureux de sa machine ; il en parla complaisamment. Lurette proposa alors de passer la peau de chamois, juste pour le plaisir de caresser les chromes du monstre. Son interlocuteur accepta, ravi. Bref, quarante minutes plus tard, mon précieux collaborateur savait tout ce qu’il fallait savoir sur Césari-Césarini et son copain yankee.
L’essentiel étant que ces messieurs avaient un rendez-vous important le soir même au Grand Vertige où ils devaient fêter le Nouvel An.
J’eus une pensée pour le sautoir de Félicie, la voiture téléguidée d’Antoine et le carré Hermès de Conchita, plus un soupir nostalgique en songeant au Château-d’Yquem qui allait poireauter une nuit entière au frigo.
— As-tu un smoking, Jeannot ? demandé-je en commençant de composer le numéro de chez nous.
Il me regarda comme si je lui eusse demandé si ses parents étaient sénégalais ou s’il avait un frère siamois dans le commerce de gros.
— Quelle idée ! s’exclama le jeune inspecteur. Je ne suis pas maître d’hôtel !
Je me mis à la verticale ; la partie de baisanche avec Gretta m’avait un peu mouliné les rognons.
— Allons jusqu’au passage du Lido, lui dis-je, je vais t’en offrir un pour tes étrennes.
On put nous dénicher deux couverts au Grand Vertige où nous nous présentâmes sur les choses de 22 heures. La salle était joliment décorée de toutes ces scintilleries qu’on colle un peu partout à l’époque des fêtes pour que ça fasse joyeux. Tout juste si on n’avait pas cloqué une branchette de houx dans le frifri des entraîneuses platinées. Le Grand Vertige est un vaste cabaret, bourré de velours bleu, de colonnettes dorées, de moulures plâtreuses et de luminaires vénitiens. Les gens huppés trouvent ça folklo et les autres pensent débouler dans un haut lieu du luxe.
Un orchestre de Noirs en smokings blancs concassait du jazz. La société était smart ; les femmes saboulées comme des mannequins de Vogue avaient été harnachées par Cartier ; le champ’ coulait aussi fort que le Drac à la fonte des neiges. Pour une sacrée ambiance, c’était une sacrée ambiance. Le menu y allait grand train : caviar gris, filets de rougets au basilic, poulet à la diable, morilles à la crème, carré d’agneau, le brie de Meaux dans sa crèche, glaces aux marrons, pièce montée Année Nouvelle.
Je me suis rendu au téléphone pour chougnarder un peu ma vieille mère, la consoler de mon faux bond, l’assurer que nos grandes réjouissances auraient lieu à midi, demain. Qu’en rentrant j’irais lui souhaiter la bonne et heureuse dans son lit. Evidemment, j’avais prétexté le boulot, mais ça viornait si fort au Grand Vertige , musique et rires entremêlés composaient un tel brouhaha qu’elle me croyait à demi, bien que j’eusse juré sur la mémoire de papa.
En revenant à notre table, j’ai retapissé celle de mes deux forbans. Je m’étais fait amener leurs photos de la Maison Pébroque, et ça facilitait leur identification.
César Césari-Césarini était un petit gros déplumé, avec un bide de bouvreuil et des paupières en lézard. La couperose lui ravageait la gueule, sévèrement. Quand il riait, ses ratiches en jonc, ancien modèle, en jetaient comme dans les dessins animés quand on ouvre les coffiots de la caverne d’Ali Baba. Son pote, le Ricain d’origine irlandoche, trimbalait au contraire une frime allongée, aux cheveux d’argent bouclés serrés. Il donnait de l’air à Charles X, ce grand compassé qui ne régna que six ans, mais ç’a été bien suffisant, merde ! Al Kollyc semblait figé comme un mannequin de la Samar, pas joyce le moindre pour un 31 décembre. Peut-être qu’il nostalgeait d’être seulâbre en Europe, loin des siens. Mais avait-il des « siens » ? Sur son plastron immaculé, il arborait des diams au lieu des perlouzes classiques ; la moindre des choses ! Y a des mecs qui ne se refusent rien. Je pensai au nombre de chiares tiers-mondistes qu’on aurait pu nourrir jusqu’à leur majorité avec le prix de ces quatre cailloux flamboyants. Enfin, tout ça se tassera un jour, avec ou sans infusion de sang, comme assure le Gros.
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