En haut, deux dadames somnolentes se chuchotent des ragots en présence d’une vieillarde défunte. L’enterrement est pour quelle heure ? J’ose pas le lui demander, c’est pas le moment propice. Mémé, pour l’heure, c’est le cadet de ses soucis, à ma fleurette bavaroise. Elle souscrit aux exigences de son corps tout neuf. Et bravo. Le Seigneur nous a donné l’instinct de reproduction et, pour nous encourager à le pratiquer, Il l’a rendu agréable. Là est Sa grande infinie bonté ; là Son esprit souverain. Mais les mal foutus de la coiffe, les tordus de l’âme, les biscornus de la conscience ont tenté, en édictant des principes moraux, de faire capoter l’intention ineffable de Dieu. Ils ont voulu brimer l’amour, le rendre honteux, le meurtrir avec des cilices. Ils ont décidé, ces tristes nœuds abjects, tordus, grisâtres et je m’en doute bien, fripés, ils ont décidé de bafouer ce présent du ciel en le mettant pratiquement hors la loi ! Ah ! les indignes ! Honte sur eux. Que leurs testicules se dessèchent ! Que toute érection les quitte à jamais pour ce crime de lèse-baisance !
Nous, on a parfaitement pigé le message divin. On le glorifie en usant comme des fous de ce qui nous est accordé.
La voilà qui passe en seconde, Heidi. Puis, sans marquer de palier, en troisième ! Hep ! minute ! Trop de fougue nuit. Je la rappelle à la mesure d’une bonne petite tape sur le dargiflard. Elle pige, ma pouliche et refrène sagement.
On est bien dans l’obscurité de cette pièce chargée de végétaux. Une obsédante odeur de serre à laquelle s’ajoutent celles de la cire et du vieux bois.
Je laisse aller…
J’oublie mes vicissitudes. Les tribulations de la chair sont tellement plus importantes que les autres ! Et soudain, mon abandon cesse. Je n’étais tendu que de l’archet, je le suis du système nerveux tout entier. Faut dire qu’il y a de quoi. Mais une brève explication pour éclairer ta lanterne sourde. Mon fauteuil est tourné face à la fenêtre. Au gré des mouvements d’Heidi, lesquels faut-il te le préciser, sont alternativement ascendants et descendants (as sans dents et dé sans dents), j’aperçois brièvement ladite fenêtre à travers les rideaux à grille brodés d’amours joufflus.
Une seconde chaque fois. A peine.
Et tu sais pas ? Je constate que les volets se disjoignent imperceptiblement. Un rai de lumière extérieur, perpendiculaire, se joint à ceux, horizontaux, des fentes naturelles. S’élargit, puis se rétrécit.
La chose est ponctuée d’un léger grincement. Pas d’erreur : quelqu’un est en train de forcer les volets !
La phrase était trop forte pour que je ne change pas de chapitre. C’est le moment aigu que les Ricains passent leur pub dans le feuilleton. La situasse rebondit. Alors eux, plouf ! Débandez, m’sieurs-dames ! Voilà Cocu Colé à boire glacé ! L’enfance du lard, comme disait un porcelet que j’ai bien connu.
Mes deux mains bloquent le délicieux yoyotement de fesses de ma tendre partenaire. Elle doit croire que je lui fais halte parce que Dudule voudrait descendre en marche. Surprise, elle sort ses aérofreins, jugule sa fougue sensorielle, comme l’écrivait Paul Claudel dans Le Nonce fêta Marie , me regarde avec des yeux qui, progressivement déchavirent.
— Quelqu’un essaie d’entrer par la fenêtre, chuchoté-je.
Tu crois qu’elle panique, crie au secours, se cache la tête dans ma braguette ? Que nenni, mon Kiki. Ce qui lui vient en premier, c’est l’incrédulité.
— Non, pas possible ? s’étonne-t-elle calmement en regardant la croisée.
L’ouverture s’élargit. Le gonzier qui craque les volets va bientôt arriver au bout de ses peines.
Nous sommes là, encore l’un dans l’autre, à visionner les exploits d’un mystérieux visiteur nocturne, sans plus piper (si j’ose m’exprimer de la sorte).
Bon ! Il est temps d’appliquer le dispositif d’alerte. Pour commencer, je récupère M. Glandu et le remets coucouche panier. La môme désarçonne.
Froidement, j’appréhende la situasse.
— Tu vas te glisser sous le canapé et ne plus bouger quoi qu’il arrive jusqu’à ce que je t’appelle, compris ?
— Qu’est-ce que vous allez faire ?
— Dépêche-toi !
Vaincue par mon autorité, les nerfs encore trépidants de son désir brisé, dirait Marguerite Yourcenar, elle se glisse, avec son cher petit slip dévasté, sous le canapé de bois. Ma pomme, je m’accroupis derrière une sorte de reposoir tarabiscoté supportant une chiée de plantes en pot que tu te croirais quai aux Fleurs. Je conserve encore par-devers moi le pistolet que j’ai trouvé dans la boîte de peinture de Virginia Salski. Le rends opérationnel en ôtant le cran de sûreté.
Maintenant, à vous de faire, messieurs.
Je devrais être tendu, voire anxieux. Tout au contraire, un chant d’allégresse me trottine par la tronche. Inespéré ! Je m’avouais battu. Tout me semblait foutu. Rome remplaçait Sparte, déjà Napoléon perçait sous Bonaparte… Et voilà qu’au moment du renoncement, alors que je me rabattais sur les joies du guerrier vaincu, c’est « l’affaire » qui renoue avec moi. Car, pas une seconde, je ne doute qu’il soit question du secret de Streiger. Je me dis : « Et s’il y avait eu un os, à l’église ? » Supposons que « quelque chose » ne soit pas éclairci et que « les autres » viennent chez la mère pour essayer de désembrouiller le sac de nœuds ?
Que miel !
Voilà les volets qui s’écartent.
Il leur reste à violer la fenêtre. Tu croirais assister à un documentaire sur l’effraction.
Mes doigts, instinctivement, se crispent sur la crosse du pétard. Pourtant je n’ai aucune envie de défourailler sur les mecs du Shin Beth. Ils ont une tâche à accomplir, une tâche qui leur est beaucoup plus sacrée que ne me l’est la mienne, le Big B. agissant en somme pour le profit. Eux, ils ont liquidé Streiger par esprit de châtiment, pour venger des centaines de milliers de morts qui ne le seront jamais assez. Certes, la suite de l’exécution tourne un peu à la récupération commerciale, ce qui est dommage et ôte de la grandeur à leur justiciance ; malgré tout je leur conserve mon estime. Alors, attendre et voir venir, comme disent les Anglais, en anglais.
Un crissement. Ils découpent la vitre à l’aide d’un diamant de vitrier. Bientôt, une main passe à l’intérieur de la pièce et actionne l’espagnolette. Ça y est : la croisée est béante.
Une silhouette noire, souple comme une panthère, bondit et passe dans le salon d’une détente aérienne. Entre les feuilles en palette du philodendron, je distingue un individu en combinaison noire de mécano, ganté, le chef coiffé d’une casquette sombre dont la visière mesure au moins vingt centimètres de long, et affublé de grosses lunettes teintées. Au reflet de leurs verres, je pige qu’il s’agit de besicles à infrarouge permettant de voir dans l’obscurité comme en plein jour.
L’arrivant se tourne vers l’extérieur et fait un signe. Une deuxième silhouette surgit, un peu plus massive que la première mais équipée de la même manière. Des duettistes. Le premier aide le second à escalader la barre d’appui. C’est duraille car les fenêtres du village comportent toutes des bacs à fleurs contenant des géraniums qui débordent de la façade.
Pendant cet exercice, je note que chacun des deux types porte une grosse ceinture de cuir, façon « cop » ricain, lestée de tout un fourbi plus ou moins évident, parmi lequel un pistolet à silencieux.
Les visiteurs du soir jettent un œil rapide à la pièce. Je me fais le plus mignard possible et retiens mon souffle en espérant très fort que, de son côté, Heidi agit de même. Et puis les deux zigs sortent.
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