— J’ai déjà donné, soupiré-je.
Je poursuis mon chemin, lesté de son regard déçu.
La nuit, le bourg, les bruits de l’univers assoupi. Un oiseau nocturne lance un cri pour film d’épouvante. Un autre lui répond, plus loin. Encore une histoire de baise qui se mijote, tu paries ?
Tout est si paisible en apparence, et cependant il vient de se perpétrer des rapts, un assassinat, des fouilles…
Quelque chose me tarabate l’estomac comme une nausée qu’oserait pas dire son nom ; ça ressemble au mariage d’une déprime et d’une crise de foie.
A l’idée de revoir Duck, mon guignol s’accélère. L’homme au smoking va me regarder, et ses yeux formeront une espèce de fourche acérée qui m’embrochera. Je vais…
Je vais, feutrant mon pas afin de n’éveiller personne. Laissons pioncer les honnêtes gens.
Un pied devant l’autre. Tu peux faire le tour de la planète ainsi, en passant par le détroit de Béring, une année où il est gelé.
Je parviens devant le bureau de poste. Voilà le renfoncement au fond duquel se trouve la petite maison rose de feu Frau Streiger.
Sur la gauche, l’église où gît la tête de son odieux rejeton. Dans combien de temps sera-t-elle découverte ? Des décades ? Un siècle ? Ça fera un papelard dans les gazettes bavaroises. Une énigme locale. A moins que d’ici là… Le monde, tu sais en quoi ça consiste ? C’est fragile, ces petites bêtes, par les temps qui vont. Missiles (dominiciles), tatomique, tout le cheese ! Mais où sont les panzers d’antan !
Mes chers pieds m’entraînent en direction de la maisonnette où se lisent de discrètes lumières. Celles de la mort qui demande à être veillée.
J’arrive à la porte et manie le petit heurtoir.
Toc, toc !
Le Petit Chaperon rouge vient m’ouvrir.
Elle est délicieuse, en noir, Heidi. Rien de plus bandant qu’une orpheline : tous les vieux sadiques diplômés te le diront.
Elle réprime un élan de joie, que dis-je : de bonheur ! en me découvrant à la verticale sur son paillasson, là où se tient debout, le matin, la boutanche du laitier.
Ses joues délicatement rose aubépine s’empourprent façon pivoine. Elle a un temps d’arrêt, puis pose sa tête sur mon épaule. Mes grands deux bras se referment sur elle. Je la presse, l’éprouve, la renifle. Elle sent la rose trémière, la paille neuve, la jeunesse.
Nous demeurons un bon moment soudés. Des musiquettes (musiquéquettes, plutôt) retentissent au fond de mon âme comme auprès d’une crèche à Noël.
— Mon petit oiseau d’amour, je lui mouimouille dans l’oreille.
Elle s’écarte de moi, pose un doigt sur ses lèvres, me fait signe qu’elle n’est point seule. A chuchotis imperceptibles, elle m’explique que deux voisines sont venues veiller la morte qu’on enterrera demain. J’y rétorque par le même canal (auditif) qu’excuse-moi, chérie dearlinge, je vais me retirer sur la pointe des nougats.
« Non, non ! elle implore. Venez par ici, au salon, ça vous ennuie de m’attendre dans le noir ? »
« Penses-tu, mon tendron ; ce sera un plaisir. Elles vont bientôt décarrer, tes pies-borgnes ? »
« Pas avant le jour, mais elles somnolent. Dans un moment, je leur dirai que je vais me reposer et je viendrai vous rejoindre. »
Chère douceur ! Rosée éblouissante ! Bouton de vie ! A la regarder, mon écœurement pour Carson (si je puis dire, mais essaie un peu de m’en empêcher et tu verras ta gueule !) croît.
Insensé ce phénomène ! Je la convoitais jusqu’au délire, je la prends, et brusquement, après avoir chopé un panard monstre, voilà que je désaffecte. Qu’un sentiment de rejet s’opère.
Pour dire, on est bien de drôles de machines, les mecs, non ? Tellement bourrés de contradictions qu’on ne peut plus compter sur soi, ce qui est un comble !
Me voici dans la pièce baptisée salon, à peine éclairée par la lune qui se faufile à travers les fentes des volets. Heidi me désigne un fauteuil du type voltaire. Je suis un trop grand admirateur du sire de Fernay pour le refuser. La môme m’abandonne et remonte. Quelle salade va-t-elle bonnir aux voisines ? Je lui fais confiance. Une femelle, même pure comme l’auroch, quand il s’agit de virguler un vanne, ne craint pas pour elle.
Intérieur douillet. Mes yeux s’accoutument aux ténèbres, je distingue une quantité folle de plantes en pots. Des patiences tombantes, des philodendrons escaladeurs, des caoutchoucs vernissés. Et puis des chiées de menus objets de porcelaine ; et aussi des coussins de velours avec le dessus brodé au canevas empilés sur une banquette de bois ancien. Et il y a la classique horloge à balancier avec son sempiternel tic tac. Toute une éternité coagulée dans cette pièce. Des photos de famille aux murs, des chromos niais, et des laideurs kitch durailles à imaginer, qu’il faut vraiment être un Allemand pété pour concevoir ces tarabiscoteries de cuivre ou de faïence.
J’allonge mes quilles, laisse pendre mes rames par-dessus les accoudoirs. Relax, Max ! La vie continue. T’as perdu une bataille, t’as pas perdu la vie. Même perdre la guerre c’est pas grave, pourvu que tu puisses assister à ta défaite. Les vrais baisés sont ceux qui ne peuvent assister à leur victoire pour cause de décès.
Au premier étage, il est, près d’un vieux cadavre, une exquise jouvencelle, fraîche dépucelée, qui m’aime et que je convoite déjà malgré la radada’s boum de naguère. Alors, tout va bien, non ? Si on devait se suicider chaque fois qu’on a un os dans le turbin, la moyenne de vie chuterait de cinquante ans.
A l’aise, Antoine ! J’ai bien fait de venir. Il existe de vrais refuges. Celui-ci en est un.
Pas un bruit. Les voisines atteignent la zone de somnolence. Fectivement, je ne tarde pas à entendre un léger grincement en provenance de l’escadrin. La porte s’écarte, Heidi apparaît, exquise silhouette plus sombre que l’ombre ambiante, avec la tache pâle de ses cheveux d’or. Elle referme la porte, doucement, doucement. Comme y a pas de clé ni de verrou, elle amène une chaise dont elle cale le dossier sous le loquet. Oh ! dis donc, elle a des projets, Mam’zelle Fräulein . Tu vois, rien que de lui voir prendre cette précaution, j’en éprouve des turlutances dans l’antenne magique. C’est si éloquent. Je respire son désir comme un bouquet de muguet.
Elle a ôté ses chaussures et glisse en pas de patineuse sur le parquet bien briqué. Elle remonte sa jupe noire pour pouvoir se placer à califourchon sur mes genoux. Sa bouche vient voracer la mienne. Tout de suite on éclate. Le courant passe. Tout s’illumine en nous, nos sens sont dare-dare à l’incandescence.
Notre baiser n’en finit pas. On respire en biais, pas l’interrompre. J’ai glissé une main sous le pont de ses adorables jambes et voici ma dextre fofolle qui s’éclate. Tu parles : pas de collants, des bas ! Faut venir en Bavière pour trouver encore ce produit de « consumation ». Oh l’exquis renflement, ce mont émerveillant que ma caresse humidifie ! La joie pure et roide de la volupté quand elle s’impose simplement.
Tête haute, camarade Popol ! Le casque fourbi, la jugulaire à l’aplomb !
Elle s’affaisse (avec deux « f », y a qu’afin et Afrique, qu’en prennent qu’un, les gars) contre ma poitrine. Haletante. Oh ! le bruit soyeux de son souffle précipité. Oh ! l’odeur de blé mûr de ses cheveux mousseux. Elle est a bout de retenance. S’abandonne totalement. Me naufrage contre. Dans sa posture, pour la décarpiller, faudrait l’en aller de moi ; mais ne puis rompre la magiquerie du moment. Alors, il faut savoir payer le désir. Au diantre sa culotte. Mes mains rapaces la font éclater, doucement, mais implacablement. Poff ! Chers admirables lambeaux que je porterai à mes lèvres tout à l’heure, plus tard, après. Mais ceci est une autre histoire. Mon cher grand zigomard dodelineur irruptionne. Coucou, me voilà ! Ebloui de rut ! Sauvage. Vite ! Vite ! Elle « s’aide » de son mieux, la Heidi chérie, participant à la manœuvre, comme un motard intrépide traîne du genou dans un virage en épingle à cheveux. Et voilà ! Merci. Entrez, vous êtes chez vous, marquis ! Vous prendrez bien quelque chose ? C’est l’instant solennel de l’irrattrapable. En place, en position. La charge héroïque peut démarrer. Mais gâche pas le bonheur, Ernest ! Vas-y doucement, presse pas le mouvement. T’as tout ton temps. Tatou tond tant ! Tâte où on tend ! C’est à elle, d’ailleurs de prendre l’initiative à pleines miches. D’imprimer le tempo. Elle le comprend bien, cette exquise surdouée. L’instinct, chez les petites fumelles, c’est irremplaçable. Tu peux rien contre. Alors la voilà qui se lance mollo, à la paresseuse. Elle me pratique sans le savoir le carrousel viennois.
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