Ratage intégral ! Cocufiage tout azimut. Me voiler la face ? Mais avec quoi ?
J’avais Streiger à charge et on me le kidnappe. Je mets la pattoune sur celle qui a aidé à son enlèvement, et on me la récupère en deux coups les gros. Je me rabats (Maroc) sur la fameuse planque aux documents Bruckner, et j’y trouve la tête décollée de Streiger.
Après cette série meurtrière, tu veux faire quoi, tézigue ? T’acheter des lunettes noires, une canne blanche et chiquer à l’aveugle devant Notre-Dame ? Pas si bête. C’est à peu près tout ce qui me reste d’envisageable comme situation d’avenir.
Pinaud a fini de prier. Il se signe après avoir lu et approuvé. Tourne vers moi son faciès de gâteux content.
— Tu connais ? demande-t-il en désignant la minuscule fosse.
Au lieu de répondre, je questionne :
— Pour qui priais-tu ?
Son sourire marron foncé s’élargit.
— Il faut toujours faire trois vœux lorsqu’on entre pour la première fois dans une église ; l’un se réalise.
— Et tu as imploré quoi ?
Je parle pour enchaîner. Il faut que des secondes, puis des minutes s’écoulent après le traumatisme que je viens d’essuyer. « Tromper le temps. » Tu connais l’expression ? Elle est stupide. Le temps, impossible de le tromper, de l’éluder, de lui passer outre. Il est là, comme une échelle infinie que tu dois escalader. Simplement tu peux tenter de penser à autre chose en gravissant les échelons.
Pinuche hoche sa chère vieille membrane sinistrée.
— J’ai demandé la guérison de mon ulcère à l’estomac, la stabilisation de mon arthrose et que mon épouse meure le plus tard possible, mais avant moi.
— Tout cela est très louable, complimenté-je ; chez toi, l’altruisme est sans cesse sous-jacent.
Béru laisse partir un pet, exagérément répercuté par l’ampleur du lieu. Soucieux de ne pas être catalogué sacrilège, il l’annule d’une génuflexion.
— Quel est le programme des réjouisseries ? s’inquiète-t-il.
— Vous remettez la dalle en place, la mastiquez et pliez bagage.
— On laisse la frime du gazier dedans, œuf corse ?
— Ce type aura au moins un brin de sépulture, car je ne suis pas certain que le solde de sa carcasse soit inhumé en Terre sainte.
Pour me contenancer, j’entreprends de mettre à plat la cabine pliable (que m’aida à construire celui dont la tête gît à mes pieds). Je ne suis pas pressé de retrouver Carson. Après mon magistral coup de verge, la courbe de mon prestige va plonger à pic.
Minuit et demi (ou bien une heure ?) tombe du clocher lorsque nous nous pointons au parking de l’auberge. Je suis archifourbu, écœuré au-delà du possible. Une carrière, je vais te dire : ça n’existe pas. C’est l’illuse d’un moment. Un miroitement. Il suffit de si peu pour qu’elle s’écroule et te laisse le cul dans les touffes d’orties, au pied de ses décombres.
Il est devenu bon à nib, le fameux San-A. Jamais il n’a connu d’échec aussi cuisant.
La vérité, tu veux que je te la dise, toute nue, toute crue et sans plume dans le train ? J’ai trop lambiné. Trop voulu fignoler. La cabine insonorisante ? De la branlette ! Fallait s’attaquer à la dalle séance tenante, y aller d’autor, sans perdre de temps. Au lieu de ça, j’ai chiqué les maîtres d’œuvres. Finassé. Comme un con, j’ai fait des dribbles savants devant mes buts : haute démonstration ! Parfait organisateur, Tantonio ! L’homme qui a du chou, qui balise avant de se poser. Et un malin est arrivé en trombe, a shooté et marqué le but. Maintenant, je regarde la balle au fond des filets (en l’occurrence la tête de Streiger), je me grattouille l’os qui pue (comme dit l’Obaise) et la honte me grimpe de partout, kif les bestioles d’une fourmilière.
Carson à qui j’ai révélé le cuisant échec a détourné la tête pour me cacher sa façon de penser. Mais je la lis sur sa nuque aussi clairement que je la lirais dans ses yeux. Elle me prend pour un bon queutard, mais pour un lavement, question turbin. Son illustre papa a accordé sa confiance à un poulet de grain trop fragile.
Misteur Bérurier, ministre, ouvre le petit réfrigérateur de ma chambre pour y dénicher du réconfortant.
— Tu comptes faire quoi t’est-ce ? grommelle-t-il. T’ostiner ou bien mett’le compteur à zéro et passer à un aut’gendre d’exercice ?
— Je n’en sais rien.
Il déniche quelques petites boutanches échantillons d’alcools forts et doux, les réunit dans un grand verre à bière, en alchimiste expert.
— Faut qu’tu saves, gars. Ma pomme, j’rentre dans mes bercails c’t’aprème, biscotte, demain morninge y a Conseil extraordinaire des miniss. On doit débloquer à propos de la Nouvelle-Calédonie, au sujet d’à propos d’ce con d’Edgar Panzani qui s’prend pour Fidèle Castré. Moi, j’précone qu’on l’oblige déjà à s’raser, y f’ra moins marchand d’tapis.
Il écluse son riche cocktail aux teintes jaspées.
— Si tu décides de poursuivre, murmure Pinuche, je peux rester, étant en vacances jusqu’à la fin de la semaine prochaine.
J’enregistre ces différentes déclarations. Mon caberluche est vide, avec un nuage effiloché à la place de la cervelle.
— En ce qui me concerne, je repartirai avant midi, déclare froidement Carson.
Elle continue de fuir mon regard. Sa voix est neutre, plutôt froide. Elle ajoute :
— Je vois mal ce que nous pouvons encore espérer.
Ce qu’elle me tenait, cette fille ! J’étais obsédé par elle. Mon sang se mettait à bouillir quand je la contemplais. Et puis, bon, très bien, je l’ai possédée cette nuit, et, bien que ce fût intense, je conserve de cette étreinte — à cause de ce qui a suivi, sans doute ? — une confuse amertume. Dans le fond, je me suis davantage régalé avec la petite fille de mamie Streiger. Ce fut moins violent, mais d’une volupté plus suave. C’était doux, lent, musical. La flûte de Pan (dans la lune !). Un nectar…
Et mes gambergeries s’enchaînent. Je récapitule, ne voulant pas capituler. La nuit dernière, « les autres » se sont emparés de Streiger. Ils ont dû aussitôt le « questionner » avec leurs méthodes « à eux » pour savoir ce que je foutais avec lui à Bärbach. Malgré son endurance, sa cuirasse, il a parlé. Alors « les autres » ont filé à l’église pour s’emparer des documents et ont décapité l’Allemand et mis sa tête dans la cache : leur signature ? Ils m’ont fait une sacrée farce.
Et tout cela s’est passé à quelques centaines de mètres de la maisonnette où je sautais la petite nièce du nazi. Par une fantastique ironie du destin, ce type au cœur de pierre, qui a laissé pendant près d’un demi-siècle sa mère sans nouvelles de lui, est venu mourir tout près d’elle, en même temps qu’elle !
Jolie histoire à raconter, n’est-il pas, sir ?
Je m’arrache à mes songeries moroses.
Un automate, l’Antoine.
Je quitte ma piaule à pas lents.
— Tu vas où est-ce ? demande Bérurier.
L’ignorant moi-même, je sors sans répondre.
Comme je parviens au bas de l’escadrin, une porte s’entrouvre et ma belle hôtesse montre un quart de sa personne opulente, drapé dans une longue chemise de nuit rose, pleine de dentelles noires qui dénudent abondamment sa gorge et ses brandillons.
— Vous ressortez ? chuchote-t-elle en entrebâillant davantage la porte, sa chemise et, j’en mettrais ma main au feu, sa moulasse quinquagénaire.
— Je ne peux pas dormir, je vais prendre l’air.
— Vous ne voulez pas venir bavarder un peu ? propose la chère femme dont les glandes mammaires (et vas-y donc, c’est pas ton père) sont agitées comme les testicules d’un paveur en train de manœuvrer un pic pneumatique.
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