Ça lui disait d’autant moins que Féfé-le-Nantais n’existe pas. Ou alors, par inadvertance.
« — Il roule à bord d’une Renault 25 noire, me racontez pas que vous ne l’avez pas vue, nom de Dieu ! » ajouté-je.
Sur l’autoroute du Sud, le motard qui ne voit pas une R 25 noire, c’est qu’il pilote son cube avec une canne blanche, t’es d’ac’ ?
J’ai rembrayé sans attendre.
« — Je vais vous ouvrir la route, commissaire ! » il m’a crié.
Et voilà le cavalier de l’Apocalypse qui décarre avec sa lampe à souder sous les couilles ! Sirène hurlante, fumée au fion. Restait plus qu’à me laisser driver ! Ça roulait si vite que je n’avais pas la possibilité de matouzer mon compteur ! A ces vitesses-là, un éternuement et tu te retrouves dans les labours, à la renverse, ton volant en guise de couronne mortuaire !
Je repense à cette monstre griserie tandis que je pédale sur la nationale 13. Juste que je vais dépasser la bifurc de Vaucresson, j’avise une auto-stoppeuse debout à l’intersection, en train de jouer du pouce et du pétoulet. La vacca ! Cette vision ! Un éclair, j’enregistre à la vitesse du flash. Grande, mince, rousse, short en jean élimé sur mesure, cul admirable suivi de seins parfaits, c’est pas possible autrement, bien que le poids de son sac tyrolien mette ses loloches en vedette. Je freine comme si un pensionnat de fillettes venait de débouler sur la strasse. Stoppe cent mètres plus loin. Recule. Mais un autre tomobiliste moins fougueux s’est arrêté à point, pile devant la déesse du goudron.
— Permettez ! lui crié-je : je l’ai vue le premier.
— Et mon cul ? il me lance.
Je déboule de ma charrette.
— Ton cul, tu te le prends et tu te l’emmènes promener, figure de rat ! Tu crois que cette jeune fille a envie de voyager avec un goujat mal embouché ?
Du temps qu’on échange ces tout-venances banales, la fille a déjà placé son sac à dos sur ma banquette arrière et son fabuleux dargif sur ma banquette avant, ce qui règle le litige.
Le paltoquet repart, furax à apoplexier, en me conseillant d’aller me faire mettre par les Grecs. Ce que je te demande un peu pourquoi j’irais déranger des Hellènes alors que j’ai à dispose cette pure merveille de la nature à qui je peux rendre présentement un service que des Athéniens absents ne sauraient m’accorder.
Je reprends ma place au volant. La gonzesse me sourit. D’emblée je m’assure qu’elle n’est pas trop craignos. Ces arpenteuses de nationales ont souvent tendance à négliger leur service entretien et ma pomme, si une gerce n’est pas rigoureusement clean de partout, je préfère abstiner. Aucun effluve malséant ne m’outrageant les narines, je me sens soudain joyeux et je lorgne l’aubaine avec une sympathie accrue.
— C’est gentil ! me fait-elle avec un sourire que je lui dévorerais en pleine gueule si je ne roulais déjà à cent cinquante.
Son accent ! Une merveille ! Pas anglais, peut-être allemand ?
— Où allez-vous ? je lui questionne à m’en brûler le pourpoint.
— Rouen !
— Par exemple ! Moi aussi ! mens-je précipitamment car en réalité, je ne vais que jusqu’à Mantes-la-Jolie ; mais je suis extrêmement vacant en ce moment.
— Formidable ! se réjouit l’extrêmement bioutifoule.
Elle a la peau un tantisoit ambrée par l’air de ses vagabondages transeuropéens. La bouche pulpeuse, comme il sied dans un livre de ce tonneau, a été rechargée à la va-vite d’un rouge légèrement cyclamen. Les yeux sont bleu-gris, ou plus exactement gris-bleu. Le nez est d’une délicatesse extrême. Les pommettes dessinées par Van Dongen.
Quand il y aura un ralentissement, à un péage ou ailleurs, j’examinerai son hémisphère sud. Pour l’instant, ce serait imprudent, car je sais qu’il y aura alors un sacré court-jus dans mon système nerveux.
— Vous êtes allemande ? m’enquiers-je.
— Non, finlandaise.
— J’adore la Finlande ! Sa Laponie, ses lacs, ses forêts infinies, ses rennes blancs, ses élans du cœur aux ramures impressionnantes !
Je la guigne derechef et j’ajoute :
— Ses filles uniques au monde !
Elle me défrime en chanfrein et sourit.
Je lui fais comme ça :
— C’est chouette d’avoir préféré ma Maserati à la poubelle de l’autre tocard.
— Qui vous dit que c’est la voiture que j’ai choisie ?
Pile la réponse de rêve. J’aurais pas osé la souhaiter ! Une trimardeuse qui te virgule un machin comme ça, tu peux, d’aurore et d’orgeat (comme dit le Gros) courir te briquer le paf au lavabo, car il va être question de lui dans pas longtemps.
— Vous visitez la France ?
— L’Europe ; je reviens d’Italie et je remonte.
— C’est pas dangereux de voyager seule quand on est une fille éblouissante de beauté ?
— Au début, je suis partie avec mon ami. Mais à Vienne, il a attrapé une pneumonie et il a dû rentrer en avion.
— Vous n’êtes pas repartie avec lui ? constaté-je.
— Non ; je commençais justement à en avoir assez de ce garçon ; rien de plus révélateur que ce genre de voyages pour tester la qualité d’un amour.
Pas mal, cette greluse. Du chou ! De l’énergie !
— Les types qui vous prennent en stop n’essaient pas d’exploiter la situation ? tâté-je le terrain.
— Si, la plupart.
— Et alors ?
— Quand ils sont laids, vieux ou antipathiques, je sais leur faire comprendre qu’ils perdent leur temps.
— Et ils le comprennent ?
— Oui, car je leur dis que j’ai le sida.
— Et quand ils ne sont ni laids, ni vieux, ni antipathiques ?
— En ce cas je passe un bon moment avec eux ; cela fait partie des plaisirs de ma randonnée.
Voilà qui est net. Dieu que l’avenir immédiat se présente sous d’heureux auspices, comme on dit à Beaune.
— Vous avez le sida ? je questionne.
— Dieu merci, non.
— Donc, je peux déduire de votre réponse que vous ne me rangez pas dans la catégorie des laids, des vieux ou des antipathiques ?
— Absolument pas.
Ma main est déjà sur son genou bien rond comme un galet du Rhône, ce bon vieux papa de ma jeunesse.
Elle joue à m’emprisonner la main en serrant fortement les jambes. Oh ! le coup qui se prépare, monsieur le maréchal ! Cette gourme d’au moins dix centilitres que je vais balancer ! C’est pas une pile, c’est un groupe électrogène, la jolie Finnoise.
— Quel est votre prénom ?
Elle me déballe quelque chose long de plusieurs syllabes, tellement imprononçable que je renonce à tenter de le mémoriser.
— C’est pas un prénom, c’est un alexandrin, lui dis-je. Vous devez bien avoir un diminutif ?
— Mes amis m’appellent Mira.
Je ne lui dis pas que j’ai eu une chienne qui se nommait ainsi. Nous passerions le restant de nos jours ensemble, faudrait jeter des bases nouvelles. Mais pour aller tirer une superbe crampe à l’hôtel du Petit Flaubert (ex- Grand Corneille ) à Rouen, Mira devrait suffire.
Bon, alors on roule. Je me cantonne dans les cent vingt réglementaires, biscotte mam’zelle me triture la membrane à travers le futiau. Tu crois que je vais pouvoir tenir jusqu’à Rouen, mécolle, avec plus de vingt centimètres de paf en béton dans le kangourou ?
J’envisage de stopper sur une « aire de repos » pour me faire dégorger le Nestor. Ce qui me retient, c’est ce bon vieux sens du perfectionnisme qui régit ma vie. Je me dis que s’expédier dans le cosmos en bagnole, ça a parfois du charme, c’est même assez mutin. Mais du point de vue de l’exploit intrinsèque, c’est restrictif. Tu peux perpétrer la « charge cosaque » toi, même dans une Maserati ? Et la « brouette mongole », dis ? Tu la tenterais en voiture, la « brouette mongole », Anatole ? Même pour le « caprice de Cupidon » tu l’aurais dans le cul (mais pas elle !). Alors, je suppute. Sur un parking, tout ce que tu peux ambitionner c’est l’enfilage Windsor, à condition de passer à l’arrière parce que cette foutue boîte à gants centrale condamne l’opération à l’avant. Bon, tu as le gentil calumet de départ, slave avale de soi. Mais si tu es bien élevé, tu ne peux pas te laisser engouffrer par une sœur sans lui revaloir la politesse. Surtout quand t’es né sous le signe du Cancer, ascendance Zorro.
Читать дальше