— Cette seconde initiative est de mon fait, intervient Le Clanche. (Non, c’est un nom trop honnête, décidément ; presque breton ! Faut que je trouve un blaze à consonance étrangère. Le côté levantin. Tiens : Zizoula ! C’est marrant, non ? Ça fait bien chauve-frisotté-au-teint-safran. Maître Zizoula. Maître Moktar Zizoula, ça joue ? C’est reparti !)
— Trop aimable à vous, maître Zizoula.
— Si je ne vous avais pas prévenu, mon cher commissaire, je serais moralement complice d’un meurtre éventuel.
— Je cherche à comprendre pourquoi votre client vous a mis au courant de cette proposition repoussée, s’il n’avait pas l’intention de me prévenir.
— Il se doutait bien que je le ferais.
— Et il ne vous a fourni aucune précision sur les gens que ma vie importune ?
— C’eût été suicidaire de sa part, convenez-en !
— En effet, admets-je. C’est tout ce que vous aviez à me dire, maître Zizoula ?
— C’est tout, mais ne trouvez-vous pas que c’est beaucoup, commissaire ?
— Je ferais preuve d’une ingratitude noire si je prétendais le contraire. Selon vous, mes « ennemis » auront sonné à une autre porte pour réaliser leur dessein ?
— Cela semble probable. A votre place, je resterais sur mes gardes. Gilet pare-balles, armes de poing constamment à disposition et, pourquoi pas : garde du corps aux aguets ! La vie est le plus précieux de tous nos biens.
Je suis convaincu que si j’avais une concierge, elle tiendrait un langage identique. Tous les philosophes concordent sur ce point.
— Il ne me reste plus qu’à vous remercier pour votre sollicitude, maître. Et à vous demander une nouvelle fois pardon pour cette blessure. Donnez-moi vos coordonnées afin que je prenne de vos nouvelles. Si la chose revêtait quelque complication, prévenez-moi pour que j’alerte mon assureur.
Il est de ces gens qui ont en permanence un paquet de cartes de visite dans leurs poches, prêts à les distribuer à tout propos. Celle dont il me gratifie a un brin de tabac collé à son revers et une minuscule tache de brillantine sur l’avers. Je l’adopte telle que et raccompagne le vilain-pas-beau jusqu’à la grille. La troupe des négrillons nous lapide avec les oignons de tulipes que m’man met à sécher dans le cabanon, et maître Zizoula en déguste un sur la pommette, bien que je me sois interposé en pare-oignons.
— Comprenez-moi, déclame le ténor (enroué) du Barreau (scié), je ne suis pas raciste, avec le dernier nom dont vous venez de m’affubler je ne peux pas me le permettre, mais, franchement, je me demande si ces gosses ne seraient pas plus à leur affaire dans des contrées où sévissent encore les reptiles et la malaria !
Il s’en va au volant d’une voiture japonaise dont je ne dirai même pas le nom, tellement je trouve con de rouler japonouille quand on est européen. Qu’enfin merde, si c’est comme ça qu’ils préparent quatre-vingt-douze, faudra pas qu’ils se plaignent de l’avoir dans les miches !
Pendant que les dames reprennent le café et que les bambins commencent la démolition systématique de notre cabanon, Jérémie et ma pomme on devise à bâtons repus dans ma chambre.
C’est un lieu privilégié où je reçois peu. En dehors de m’man, avec laquelle j’ai de longs épanchements à l’heure sacro-sainte du petit déje, et des carambolages express qu’il m’arrive de pratiquer épisodiquement à Maria, rares sont les personnes que je reçois en ce lieu consacré à l’écriture et au sommeil.
J’ai pris place dans mon fauteuil rustique et Jérémie s’est assis à même le sol, le dos appuyé à un bonheur-du-jour qu’il doit prendre pour un cocotier.
— Tu sembles troublé ? note mon sombre ami.
— Il y a de quoi, fils.
Avant de lui casser les révélations de l’avocat marron (foncé) je note :
— Drôle de période où des gens bizarres venus d’ailleurs déferlent sur moi. L’autre soir, c’est une tante de Toinet, frais émoulue de taule, qui vient m’annoncer sa volonté de récupérer le môme. Ensuite, c’est un clodo très particulier qui me rapporte ma carte de police, que je n’ai cependant pas l’habitude de perdre. Enfin ce pourri de Zizoula se pointe pour me faire part de la confession de quelqu’un qu’on aurait voulu engager pour me dessouder et qui aurait refusé le boulot !
— Il s’appelle comment, cet avocat ?
— Zizoula, fais-je d’un ton mal assuré. Mais, franchement, ce blaze ne lui convient pas des mieux car il est un peu trop moyen-oriental et jette le discrédit sur une race qui ne le mérite pas. Aussi, si la chose ne te contrarie pas, vais-je le rebaptiser Simson, un patronyme anglo-saxon attribué à un méchant ne désoblige personne. Franck Simson, donc, est venu m’apporter la funeste nouvelle suivante : des gens dont il prétend tout ignorer, ont tenté de confier mon assassinat à un tueur à gages, probablement chevronné. L’excellent artisan a décliné la propose, peu soucieux qu’il est d’avoir une carcasse de perdreau à son tableau de chasse.
M. Blanc étudie ses ongles beige clair, puis satisfait par leur propreté, demande :
— Tu crois à la chose, Sana… ?
— Non, je suis convaincu que c’est du pour [2] Pour : en argot, contrevérité.
. Si maître Simson apprenait qu’on veut me refroidir, il ne dépenserait même pas le prix d’un jeton de téléphone pour m’en avertir.
— Alors, pourquoi cette visite ?
— Voilà une bonne question à cent balles, grand primate. Si tu parviens à y répondre, t’as tout pour devenir un champion du « Trivial Pursuit ».
— Dois-je comprendre que, par cette boutade, tu me charges d’enquêter sur maître Simson et ses éventuels confidents ?
— Tu es le seul Noir à même de comprendre les choses sans avoir besoin de dessins étrusques. Oui, je te confie le soin d’élucider ce casse-tête. Pourquoi cet avocat de mes fesses est-il venu me prévenir qu’un grave danger planait sur ma modeste existence ? Afin de m’intimider ? Pour se mettre bien avec moi ? Pour préparer je ne sais quel coup tortueux ?
D’une détente féline, Jérémie se met droit sur ses antérieurs.
— Ne sois tout de même pas trop insouciant, Antoine, et ouvre Il ne faut pas écarter la possibilité que tout cela soit vrai.
Y A DES MECS QUI PRÉFÈRENT
LES FILLES RAPIDES…
Y a des mecs qui préfèrent les filles rapides à celles qui hésitent plus d’une heure avant de t’accompagner à l’hôtel de « La Passe de Deux ». Moi, c’est les voitures rapides qui me régalent ! Appuyer sur un champignon de métal et sentir ta caisse foutre le camp sous tes miches comme un lavement que tu ne contrôles plus, quel panard !
Ma Maserati, tu peux pas savoir, les coïts épiques qu’on s’est payés, les deux. Le grand enivrement, c’est sur autoroute. Quand la voie est à peu près dégagée et que la carburation s’opère dans le moelleux. T’enfonces de toute ta plante du pied, sans à-coups. La belle régalade. Le moteur dit oui, les pistons pistonnent, ton dossard se colle au siège et t’entends susurrer les kilomètres dans tes cages à miel. L’extase, je te dis.
La semaine passée, sur l’autoroute Sud, mon pote ! A deux cent vingt-neuf, montre en main ! Et la tire qui bronche pas. Se met à bouffer de l’asphalte sans renâcler. Voilà un motard qui me course, m’intime de stopper. Je. Il déjugule son casque qui le faisait ressembler à la Grande Mosquée d’Istanbul. Bref salut militaire avec deux doigts ; il mouillait de bonheur dans sa culotte, l’apôtre. Et moi, pour lui exploser les jubilations, de lui brandir ma carte.
« — Vous allez tout me faire rater, bordel ! Vous ne voyez pas que je coursais un malfrat ! Féfé-le-Nantais, ça vous dit quelque chose ? Il a refroidi davantage de gens que la guerre de quatorze ! »
Читать дальше