C’est Sa Majesté qui vient de crier.
Et pour lors, je ne serais pas un vrai romancier qui touche des droits de hauteur et paie des impôts exorbitants dessus si je ne te décrivais ce qui vient de se produire. D’autant plus que c’est kif la tronche à Danton : ça en vaut la peine !
Le Gravos vient d’exécuter une manœuvre féerique, moi je trouve. Quelque chose de prédominant, de spacieux, d’aphrodisiaque, de vertébral, j’oserais ajouter. Quelque chose qui mythifie, qui scinde, mercerise, fourraille, ensache, gratticule, fristique, gobichonne, madrigalise, lotionne, romanise, intube, déchevêtre, frigorifuge, lapidifie, oringue, pajote, épontille, dépingle, axiomatise, étançonne, vassalise, trimarde, zinzinule, rudente, néantise et même, même — là tu vas me trouver culotté, aussi te supplié-je de le garder pour toi — : entaque ! C’est te dire !
La manœuvre du Mastoche est la suivante. En cours d’ébats, il s’est débrouillé pour que la corde qui le strangule gentiment prenne un peu de mou, puis, mine de rien, il l’a saisie entre ses dents, et alors, avec une promptitude démoniaque, il a noué ses deux énormes paluches au cou de Chiang Li, s’est rejeté en arrière de manière à ne plus être menacé dans ses endosses et, malgré ses ratiches crispées sur la corde, a hurlé son fracassant « Stop ! ».
Stupeur générale.
Le gardien qui le tenait en laisse tire à fond sur le lien de chanvre, mais le Gravos lui oppose une contre-traction avec sa mâchoire d’airain. Il serre si fortement le kiki de la belle Chinoise qu’elle se met à exorbiter et à sortir une menteuse de douze centimètres.
Je pige qu’il m’appartient d’intervenir, le Fabuleux se trouvant dans l’incapacité de faire un plus long discours que ce « Stooooop ! », éloquent, certes, mais qui ne nécessite pas un phrasé particulier.
— Si vous ne me lâchez pas, fais-je, il tue Chiang Li comme une chienne. Voyez, elle va entrer en agonie ! Il a une force inouïe, cet homme. Pas surprenant avec un pénis pareil !
Les gonziers, qui s’apprêtaient à me mouliner, me désaisissent.
Pouf ! Premier point d’acquis. Mais à présent ? Comment tirer parti de ce renversement de situation ? Notre position reste d’une précarité folle.
C’est compter sans le Mastar, ses initiatives, sa force, son esprit de détermination.
Avant que de pousser plus avant ce palpitant récit, l’un des plus haletants depuis Le Petit Chaperon Rouge , il me faut bien te rappeler dans quelle atmosphère singulière il se déroule. La trappe relevée, le vrombissement sourd de la broyeuse, le vacarme de sonnailles de la musique indonésienne, ces vassaux éberlués, femmes et hommes fanatisés par Chiang Li et qui, la voyant en grand danger, ne savent plus que faire, effrayés à l’idée qu’une manœuvre contre Béru pourrait avoir des conséquences néfastes. Et moi, comme un enfant grelottant de froid et de trouille parmi eux, chargé de prendre des initiatives, de mettre ce temps mort à profit, mais ne sachant comment !
Seulement, l’Unique est un cyclone, lui. Et ça ne pense pas, un cyclone : ça balaie, ça bourrasque, ça détruit, ça décoiffe. Il tient la nuque de Chiang Li en main, donc le couteau par le manche. Il doit continuer ; que merde, on ne va pas se faire cuire un bouillon de poireaux en se regardant comme des poissons morts à l’étal !
Il est près de la mère Tatzi, à gueule de lanterne chinoise. Géographiquement, elle se situe entre lui et la trappe. Alors messire Dugay-Troué, d’un coup de latte latéral, fauche les cannes de mémère, laquelle bascule ; il la bouscule en direction de la trappe dans laquelle elle plonge la tronche la première. Son hurlement ne dure pas. Fini, le lampion. La chierie de musique clochée couvre le bruit effrayant du concassage.
Le Mammouth a des lotos fous, tant il en peut plus d’efforts pour garder la corde en bouche. Ses batraciennes prunelles me fustigent. Il se demande ce que je branle au lieu d’intervenir. Moi aussi du reste. Il se perd en contractures, en conjectures, Alexandrovitch-Benito. Aimerait savoir si je létharge ou si j’attends le prochain passage du tour de France qui fera escale à Singapour l’an prochain.
Force m’est !
Je bondis sur le teneur de corde. Coup de boule dans la poire. Ses ratiches se dispersent. Il lâche. J’ôte le nœud coulant de l’illustre gorge.
Un pétard, bonté divine ! Mon droit d’aînesse (je suis fils unique) contre un pétard ! J’en avise un dans la ceinture d’un des gardes. Bérurier a traîné Chiang Li jusqu’à la trappe où les ripatons de la maquerelle sont en train de disparaître. Il tient la fille Lamoon au-dessus du gouffre. Frémissement dans l’assistance. Moi, j’ai ma rapière en pogne. Pas suffisant. J’en chope une seconde qui gonfle la fouille d’un autre garde.
— Allez tous vous placer contre le mur du fond ! enjoins-je. Et vite, sinon Chiang Li sera morte.
Ils obtempèrent. Le décès dramatique de la bordelière leur a donné à comprendre qu’ils avaient affaire à des hommes déterminés, voire des surhommes. Disons un surhomme et demi et adjugeons !
Lorsqu’ils sont face au mur, sans me casser le bol, j’applique la méthode policière classique qui consiste à leur faire prendre appui contre des deux mains, et à reculer leurs pieds le plus possible. Voilà notre petit monde à l’alignement.
— Casse-toi avec la gonzesse, Gros, intimé-je. Je les tiens à l’œil pendant que tu sortiras.
— Y en a d’aut’ à l’estérieur, me prévient Bibendum, ça va êt’ coton d’ faire leur éducance.
Il doit mal contrôler ses battoirs, Dudule, car Chiang Li a perdu connaissance.
— On va jouer ça autrement ! décide l’Enflé. Déniche-moi d’ l’artillerie à moi aussi.
— Mais comment la tiendras-tu puisque tu as la gonzesse ?
— Fais ! te dis-je-t-il.
Du moment que c’est lui le chef, cette nuit !
Je vais aux gardes encore armés et les déleste de leurs armes.
— Et après, ça consiste en quoi ? demandé-je à mon pote.
Je ploie sous le poids des seringues de tous calibres prestement récoltées.
— Donne-m’en deux chouettes, sans le cran de sécurité. En sortant de la piaule, y a un escadrin, à gauche, qui mène vers la sortie, faudra que ça passe ou que ça casse !
— Mais la fille ?
— Voilà ce que j’en fais !
Il lâche la miss somptueuse dans la trappe, m’empare les deux moulakas et fonce vers la lourde en gueulant :
— Fissa, mec ! Fissa !
Mais moi, tu me sais comme si je t’avais fait, non ? J’attrape la Chiang Li funeste par un bras, l’arrache, la dépose sur le tapis. Il lui manque les deux pinceaux à cette chérie. Deux hamburgers à leur place. Bon, tant pis ! Je calte. Les alignés poussent des clameurs sauvages et se ruent, qui vers elle, qui sur moi.
Je balance un peu de purée dans les jambes les plus véloces. Ça refrène. Me voici sur le palier. Je peux te dire qu’à côté du bouzin qui éclate, Verdun c’était une partie de chasse en Sologne ! Ça plombe à droite, ça plombe du bas de l’escadrin. Béru y est engagé à demi et il défouraille allègrement. Moi, je prunaille mes arrières. Ces niacouais, ils ne doivent jamais s’entraîner au tir. Rater deux mecs dans un escalier, faut y mettre du sien, non ? Surtout des gars comme Béru ! Les bastos bourdonnent à nos oreilles, trouent nos fringues, là où y a pas de viande dessous.
Voilà : on est en bas. Trois mecs ensanglantés gisent dans le hall d’entrée, deux autres se sont foutus à plat ventre pour se soustraire au tir nourri du Gravos. La porte est fermaga au verrou. Un gros verrou à l’ancienne, costaud de partout. Pépère l’actionne avec tant de violence que l’objet lui reste dans la main.
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