Je lui mimique à quel point j’entrave que pouic à son patois et combien c’est sans espoir, qu’au grand jamais une seule syllabe de son dialecte ne franchira mes lèvres arpenteuses de chattes humides !
Alors il résigne et demande :
— Vous comprenez l’allemand ?
Bon, là, je dodeline. Le chleuh, c’est pas la langue de mes rêves et le seul reproche que je fasse à Mozart c’est d’avoir écrit ses opéras en boche ; pourtant, comparé au finnois, cette langue me semble aussi délectable que celle de notre petite voisine qui est venue récupérer son ballon chez nous, l’autre après-midi.
Des nouveaux locataires. Lui est pharmacien à Saint-Cloud, la gamine a une quatorzaine d’années et déjà une frimousse de pompeuse de zobs. Je l’ai aidée à chercher son ballon qu’elle retrouvait pas : il était coincé sur notre tonnelle, y a fallu un escabeau. En le lui tendant, mine de rien, j’ai murmuré :
« Ça mérite bien un baiser, non ? »
Je m’attendais au gros mimi sur la joue, comme pour tonton. La salope ! Voilà qu’elle me chope par la nuque et me roule une pelle qui aurait foutu la diarrhée verte à un caméléon ! Ce panais ! Ah ! dis donc, elle m’a vérifié toutes les chailles : des incisives aux molaires du fond. J’aurais pas subi l’ablation des amygdales, j’y avais droit aussi !
C’est ensuite que le tracsir m’a biché : pendant que je la raccompagnais au portail en marchant au pas de l’oie. Je me suis vu embastillé pour outrage aux mœurs, tentative de viol et autres bluettes du genre ! Cette greluse, je m’en gaffe comme de la peste bubonique. Je suis sûr qu’un de ces quatre, quand elle me saura seulâbre à la maison, elle viendra me traîner son petit minou sous le pif pour voir la manière dont je réagirai.
Et bon, ça nous éloigne. Je t’expliquais comme quoi le vieux aux blanches bacchantes se sert de l’allemand pour communiquer avec ma pomme. M’explique, en aboyant presque, que ce lac est formellement interdit à toute forme de pêche. Il sert de réserve nationale. Il renferme des espèces disparues, des silures vieux de plusieurs siècles, des carpes qu’en comparaison desquelles, celles de Versailles sont des poissons rouges pour tombolas de fêtes foraines. C’est un joyau de la couronne finnoise. Comment dis-tu ? Y a pas de monarchie en Finlande ? Et alors ? Tu crois que ça empêche les Finlandais de s’enculer en couronne, pendant LA nuit (qui dure six mois et un jour !) ?
Le gonzman, je lui explique que nous sommes des touristes français et que nous ignorions cet interdit. En France, on nous vante toujours la beauté et l’empoissonnement des lacs d’ici. Alors on croyait. Mais bon, nul n’était censé ignorer la loi, je vais douiller l’amende.
Cette peau de zob fanée ne l’entend pas de ce tympan crevé ! Le délit que j’ai commis est punissable de prison. Je dois être déféré devant un tribunal car je ne relève pas du simple P.-V. La couille, je te dis ! La sale couillerie dans toute sa gloire. T’as des jours sans, quoi ! Ça te pleut sur la frite et t’as pas de pébroque pour te tenir au sec.
Je lui demande « et alors, qu’est-ce qu’on fait ? » Il me réclame mon passeport, l’enfouille et m’enjoint de le suivre jusqu’à Tupuduküu où il me remettra aux autorités de justice. Il va finir par me faire croire que je suis un dangereux criminel. Faut-il qu’ils se plument dans ce patelin pour faire un patacaisse pareil pour deux poissons !
La Berthe qui a repéré l’arrivée du garde se pointe, dans ses affrioleries les plus pimpantes. Elle arbore un soutien-gorge rouge sang, immense comme deux ballons de basket et un bermuda blanc, tellement tendu qu’on peut compter ses vergetures à travers l’étoffe.
— Que se passe-t-il-t-il, Antoine ? J’ai l’impression que vous n’êtes pas d’accord avec ce monsieur.
Je lui résume les données fondamentales du problème. Elle récrie à son tour. Comment peut-on arrêter un honnête citoilien parce qu’il s’amuse à lancer un morceau de métal à pompon dans un lac ?
— Il est buté comme un tampon de chemin de fer, ce vieux con ! fulminé-je.
La Gravosse est femme de décision énergique.
— Disez-lui qu’vous allez prévenir mon mari d’votre départ, moive, pendant ce temps, j’vas essayer de me mett’ dans ses bonnes grâces.
Je traduis au moustachu. Il consent (comme une louf de Béru). Je m’éloigne en direction du Gravos et, m’étant retourné, j’avise le garde qui pénètre dans le mobile home derrière les miches de la Gravosse. Cette inferneuse va-t-elle le ramener à une juste clémence ?
Ma pomme, une pensée diabolicienne me surgit en pleins méninges. Je reviens à pas de loup et grimpe dans la cabine du véhicule. Un guichet coulissant permet d’entrer en contact avec les passagers de l’intérieur. Je l’écartouille la moindre, juste faufiler un zœil investigueur dans le logis à roulettes. J’avise la Mastarde vautrée sur le canapé, ses jambons écartés. Elle a prié le garde de déposer son vieux prose sur le fauteuil qui lui fait face et lui sert un verre de muscadet.
— It is french vinasse, my lord , explique-t-elle.
Le vioque commence par refuser, mais, devant l’insistance de son hôtesse, il finit par écluser. Leur converse serait vite languissante si l’Ogresse n’employait le langage manuel.
— You have bioutifoule bacchantes, pépère, ça doit z’être un vrai bonheur d’ se laisser crougnougner le trésor par un mec qu’a des baffies pareilles !
Et de lui lisser les moustaches, mutine et rieuse. Pépère, il se sent plus. Je le situe veuf ou marida à une poupette frisottée, asséchée de la moulasse. Y a lulure qu’il a pas dû tremper, le garde ! La courtisane Bérurière se met à lui zéphirer le kangourou de sa dextre de velours. Au début, il est tellement interloqué qu’il regimbe un peu. Puis, sachant que les Françaises sont femmes expertes aux manières propices, il s’abandonne.
Cette dénoyauteuse de braguettes a tôt fait de lui dégainer la rapière. Elle met à jour un paf finlandais mélancolique comme un poème de tuberculeux. Du braque septentrional, blanchounet, rosâtre, flasque, avec de la peau excédentaire et un gland pas du tout frivole.
— Ben mon pépère, c’est pas la gloire, soupire Berthy. Si t’as jamais rien eu de plus présentable à montrer aux dames, je comprends qu’tu soyes devenu un vieux charognard de garde ! Qu’est-ce tu voudrait-il que je fasse de ça ? C’est pas jour d’abats ! Je me croive chez mon tripier. Bon, je vas tenter de te turluter un peu le Nestor, dans le cadre des premiers secours aux noyés, des fois que la respiration artificielle le ranimererait, mais dans ton cas, j’voye que Lourdes pour c’ qu’est d’obtiendre un résultat.
Elle s’agenouille en geignant devant l’irascible et commence à le pomper. Sursaut du bonhomme, effaré complet ! La pipe, cézigo, no connaître ! Elle est pas encore arrivée jusqu’au cercle polaire ! Il a jamais entendu causer, même dans les légendes nordiques.
Histoire de mieux capter la mémorable séance, je fais coulisser un peu plus le guichet. Je prends alors un choc sur la noix. C’est mon appareil polaroïd que j’avais accroché à un piton vissé dans la cloison et qui vient de me choir sur la coupole.
L’aubaine ! Merci, Petit Jésus pour cette bosse opportune ! Je vérifie la languette qui dépasse : il me reste trois photos à tirer. J’arme le bidule et j’attends. Dans le camping-car, le garde a fini d’effarer, il trouve la tétette à son goût, le bougre. Découvrir ça à soixante et mèche, c’est vraiment une bénédiction du Seigneur dont les décisions sont toujours insondables. Le voilà qui trouve un regain, imagine ! Sa marionnette fait bravo et pirouette entre les doigts prodigieux de Berthe. Son pacsif de tripes devient plus présentable. La Bérurière grogne de contentement et, le mufle comme celui d’un chien enragé arpentant les campagnes d’autrefois, admire son œuvre résurrective.
Читать дальше