Attiré par l’eau du lac, leur garnement pataugeait déjà dans la flotte jusqu’à la ceinture. Quand il revint vers sa mère, il claquait des dents et ses jambes se drapaient d’algues vertes. L’Ogresse brama très fort, gifla, déculotta et mit les fringues mouillées à sécher au pâle soleil du Nord. Je pus alors constater, Apollon-Jules déambulant cul nu, qu’il n’avait pas hérité que le nom de son père, et que son appendice queutal ressemblait déjà à la trompe d’un éléphanteau. Elle lui battait les genoux quand il courait et se terminait par un superbe gland rose de la taille d’un pompon de mataf.
Armé, si j’ose ainsi parler, d’un friable fusain, je commençai à souiller ma toile de traits géométriques chargés de restituer le panorama que j’avais choisi de peindre. Je comptais me risquer dans une symphonie de bleus hachée de noir dont j’escomptais un puissant effet.
Je travaillai ainsi jusqu’à ce que Berthe vînt m’informer que le dîner était servi. Elle le fit en roulant des meules et des loloches, le regard salingue comme la couverture d’un magazine porno.
Profitant de ce que je tenais un pinceau, elle s’empara du mien. Le fit avec une autorité qui ne permettait aucune dérobade. Elle avait le geste péremptoire, la main plébéienne, mais souple dans l’amour. Nous entendions batifoler Alexandre-Benoît et Apollon-Jules entre les troncs dévastés.
Le Gros s’était éloigné afin de déféquer, ainsi qu’il le fait régulièrement avant de s’alimenter, et tandis qu’il rendait ses entrailles disponibles, il expliquait à son héritier de quelle manière l’honnête homme doit marteler son ventre du tranchant des deux mains, en chiant, histoire d’aider la nature. Gagné par l’émulation, le jeune homme imita son père et cela constitua une scène touchante, pleine de noblesse. Nous entendions le bruit de lavandières de leurs quatre mains martyrisant leur bedaine pour lui faire rendre gorge.
Berthe profita de ce que ses « hommes » se trouvaient ainsi mobilisés pour dégager mon zob de mon jean, ce qui était moins aisé à faire qu’à dire, le bougre étant en état d’alerte générale consécutivement aux basses manœuvres de l’infâme femelle. En geignant, elle s’agenouilla sur le sol ingrat et m’entonna. Tout en me pompant avec des onomatopées qui eussent filé le tricotin à un centenaire suédois, elle admirait ma toile et, du pouce de sa main libre, m’exprimait son admiration pour l’œuvre en cours.
N’ayant aucune raison de différer une libération exempte de volupté, je fis rapidement à la Bérurière le don qu’elle espérait. Elle fut prise au dépourvu et manqua s’étouffer. Mais comme c’était une nature gaillarde, elle s’accommoda parfaitement de mon impétueuse obole, parut même l’apprécier et alla jusqu’à récupérer un trop-plein à ses commissures pour le déguster à loisir, un peu comme on sauce le fond de son assiette lorsque le mets est délectable.
Elle flatta mes aumônières avant de me les laisser remiser et soupira :
— Je vous dis pas !
Je préférais.
Elle ajouta :
— N’en ce qui concerne votre toile de peinture, j’étais loin d’ m’imaginer que vous aviassiez un tel talent !
Je la remerciai. Puis nous rejoignîmes les chieurs, réunis autour d’un cassoulet qui, pour avoir été en boîte n’en était pas moins exquis.
Tout en clapant, je songeais que si des « espions russes » nous surveillaient, ils devaient guère suspecter une pareille tribu de zozos qui bouffaient, pompaient, déféquaient à qui mieux mieux dans la cruelle dévastation de la forêt finlandaise.
Comme je l’avais souhaité, nous ne pouvions en aucun cas passer pour des agents secrets venus rechercher un minerai volé dans une base soviétique.
A la fin du repas, le Gros et sa viandasse étaient allumés comme un 14 Juillet et braillaient à tue-tête dans l’immensité désertique. Berthe chantait Fascination et le Gros : Les Matelassiers ; ensuite de quoi ils entonnèrent en duo La Petite Amélie , puis l’inévitable Trois orfèvres .
Il y eut beaucoup de pets dans le camping-car, cette nuit-là (cassoulet oblige). Au bout d’une demi-heure, je traînai ma paillasse dehors, près des braises agonisantes, m’enroulai dans une couvrante et dormis.
Le jour qui succédit, j’eus la force de caractère de continuer à peindre stoïquement. De temps à autre, je m’accordais une promenade de détente, mais j’avais beau tendre l’oreille et écarquiller des vasistas, je n’entendais et ne voyais rien qui puisse trahir une présence insolite. Je finissais par songer qu’il était inimaginable que les Russes mettent autant de pugnacité à surveiller une zone pouvant receler un matériau, certes inestimable, mais qu’ils possédaient par ailleurs en bonne quantité.
Pendant la sieste du Gros, Berthe me demanda de lui faire l’amour. Elle portait une jupette mauve, un soutien-roberts vert et sa chevelure rouge ressemblait à un incendie de brousse au milieu de cette nature déshéritée ; je la trouvis si hallucinante de grotesquerie, si terriblement pas vraie, que l’idée de tremper mon biscuit dans une telle tasse me couvrit la rate d’urticaire.
Je lui répondis fermement que je ne pouvais plus commettre l’acte de chair car, au cours de ma nuit à la belle étoile, j’avais eu une apparition sous la forme d’un renne blanc nimbé de lumière, lequel m’avait abjuré d’entrer dans les ordres toutes affaires cessantes, ce que je ne manquerais pas de faire de retour en France. Je tombis à genoux et exécutai le plus magnifique signe de croix de toute mon existence catholique.
Elle en fut fortement impressionnée et se retira en soupirant qu’elle allait se faire tirer par le Gravos ; mais que, vous m’en reparlerez, Antoine ! Venir dans ce pays à la con pour être touché par la grâce, c’est vraiment pas de chance ! Elle était excitée comme une puce à l’idée de m’engouffrer la fusée Ariane et, au lieu de se carrer un chibre délicat d’intellectuel dans la moniche, elle allait devoir se rabattre sur le vil boudin de son sac à merde ! Des vacances comme ça, mercille bien, elle me les faisait cadeau !
Ce fut un nouveau dîner dans la cathédrale de cendres. Une nouvelle nuit à la belle étoile.
Il n’y avait pratiquement pas d’aurore, mais on faisait comme si. A l’aube, donc, du second jour, je pris Apollon-Jules par la main, un cahier de croquis et quelques crayons à mine grasse et entrepris une opération de repérage, m’arrêtant parfois pour tracer quelques dessins à la mords-mon-paf sur les feuillets de mon carnet à reliure spirale. Au cas où l’on m’aurait observé, je continuais de jouer à l’artiste. Ma barbe qui s’allongeait chaque jour davantage renforçait, je suppose, ma ressemblance avec un barbouilleur professionnel. J’eus beau examiner le sol, sonder l’étrange et funèbre sous-bois, je n’aperçus rien d’insolite.
Lorsque nous rentrâmes « au campement », fourbus, j’étais à peu près certain que les Russes avaient abandonné la partie.
Dès lors je commencis réellement à rechercher « le trésor ».
J’étudia mon plan minutieusement. Puis, lorsque j’eus déterminé la zone où devait être enfoui le caisson de béton, j’inspectis le sol et alors j’eus l’impression qu’il avait été défoncé, puis remis en place et damé à l’endroit mentionné par feu Mikhael Strogonoff. J’allis chercher les outils prévus et les proposis à Bérurier en lui demandant d’attaquer des fouilles. Il rechigna, mais je vantis sa force herculéenne et, comme toujours chez les cons, la vanité eut raison de ses réticences. Ses coups de pioche retentirent bientôt, troublant les échos du voisinage. Moi, pendant ce temps, j’allis à la pêche au lancer.
Читать дальше