Frédéric Dard - La matrone des sleepinges

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La matrone des sleepinges: краткое содержание, описание и аннотация

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T'as déjà pris l'Orient-Express, toi ?
Jamais ?
Alors t'as tout raté !
Tu sais qu'il s'en passe des choses dans ce train de rêve ?
Et pas seulement celles que tu crois.
Des choses que t'en reviendras pas.
Je connais des tas de mecs qui n'en sont pas revenus.
Qui n'en reviendront jamais ! Cela dit, la baronne Van Trickhül ne le prend pas à chacun de ses trajets.
En voilà une, je te la recommande !
La Matrone des Sleepinges, je l'appelle.
Au retour, j'ai essayé de compter les macchabées jalonnant sa route ; comme j'avais pas de calculette, j'y ai renoncé.
Mais lorsque t'auras terminé la lecture de cette épopée ferroviaire, tu pourras t'y coller, si ça t'amuse.
Si on te filait dix balles par tête de pipe, t'aurais de quoi prendre l'Orient-Express à ton tour.
Auquel cas tu devrais faire poinçonner ton bifton plutôt que ta tronche !

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— Comme qui dirait.

— Après quoi vous avez téléphoné à vos gredins pour les informer de ce qu’il se passait et leur donner notre position ; c’est pour cela qu’ils ont si vite retrouvé notre trace ?

— Eh bien, je vois que vos méninges ne fonctionnent pas trop mal, San-Antonio.

— Il y avait deux bandes sur le coup, poursuis-je-t-il ; une qui vous veut du mal et une autre que vous contrôlez parce que c’est la vôtre !

— Passionnant ! ricane la sale vieille morue.

Incroyable, cette brusque mutation qui vient de transformer la respectable dadame de la jet-set belge en Ma Garson des séries noires d’avant-guerre. Elle est bathouze, la baronne, Yvonne ! Vieille virago de bar louche, oui ! Que tu devines mal embouchée et cruelle, menant à la baguette une armée de malfrats. Elle tient pas du tout son feu comme un face-à-main, espère ! Elle a la crosse bien en pogne et son index ne frémit pas sur l’ergot de la détente !

— Vous avez arnaqué une équipe de bandits pour que ça soit la Guerre des Deux roses entre vous ? insisté-je.

— Les affaires sont dures, elle me répond.

Tu parles d’un calme ! D’un monstre aplomb ! Il en faut une dose fumante pour faire sous soi, pour donner à croire qu’on est gâteux !

— Les « autres » vous kidnappent pour vous rançonner ? insisté-je.

— Je ne vais pas me mettre à vous raconter ma vie, monsieur le directeur, vous n’avez plus suffisamment de temps à vivre pour l’entendre.

— Me permettez-vous de vous dire que je trouve cette mise à mort inélégante et beaucoup moins sécurisante pour vous que vous ne le croyez ? Je suis désormais terriblement impliqué dans votre affaire : ma disparition va mettre toutes les polices de France et d’Europe en émoi. Je peux vous garantir que, lentement, un filet sera tressé, qui vous emprisonnera.

— Je compte disparaître bien avant, San-Antonio. Il est temps pour moi de raccrocher, tout est prêt pour que je me fonde dans la nature, et de belle manière ! On me croira morte après ces cruels démêlés, tuée et enterrée quelque part. L’oubli fera vite son œuvre.

— Quelqu’un saura que vous vivez, après ce que vous venez de déclarer.

Je désigne le chauve à l’écharpe rouge.

— Pensez-vous ! dit-elle.

De sa main libre, sans cesser de braquer le bide de Jérémie, elle prend le deuxième pétard et se met à en vider le chargeur dans la poitrine du type. Six bastos, presque à bout portant. Il tressaute à chaque impact, se recroqueville comme s’il avait froid, et meurt entre les bras incompatissants du fauteuil.

— Quel sang-froid ! laissé-je tomber, impressionné par le calme de cette houri. Ainsi, vous faites dans les armes de guerre, madame Van Trickhül ?

— Je fais dans tout ce qui rapporte du blé, mon pote ! J’en ai ramassé des paquets gros comac. Mon empire s’étend au monde entier. Pas une femme n’aura engrangé autant que moi : je vends des armes, du cul, de la came, des œuvres d’art. Je vends même de la mort, parfois !

— Puisque nous allons passer à la casserole, ma belle, racontez-nous un peu l’histoire de ce voyage en Orient-Express. Vous devez bien ça à deux flics qui vous ont sauvé la mise, avant de les zinguer !

— Je ne vous dois rien du tout, mes glandeurs, mais je sais être généreuse, parfois. C’est au cours de ce voyage que j’avais décidé de disparaître. Pour étayer le fait que je me trouvais en danger, j’ai demandé la protection du chef de la police belge, lequel a manigancé ce système de protection avec vous. Il fallait qu’un témoin officiel puisse témoigner à propos de mon rapt. Où je l’ai eu saumâtre, c’est lorsque vous avez décidé de me faire remplacer par une grosse pouffiasse transformée en baronne Van Trickhül. Heureusement que cette dondon est fastoche à manœuvrer. Elle raffole de la bite et il m’a suffi de la faire séduire par un casanova professionnel déguisé en médecin pour qu’elle oublie sa « mission » et se casse avec lui ! Votre manigance à la gomme arrangeait mes bidons ; plus il y aurait de fumaga dans l’aventure, mieux ça se passerait.

— Génial, ma chérie ! Génial. Je dois vous avouer qu’une fois déclenché, je ne m’arrête plus. Des idées me viennent, en trombe, façon chasse d’eau. Si je vous disais par exemple que je nourris une pensée plutôt saugrenue, concernant le beau Cédric Demongeard, votre talentueux amant.

— Vraiment ?

— N’est-ce pas vous qui l’auriez fait mettre à mort ?

Un éclair surpris traverse son regard de vieille salope.

— Comment ça vous est venu, poulet ?

— Le pif, ma bonne mère ! Au moment où vous faites le ménage, il est normal que vous liquidiez vos faiblesses. Sans doute qu’au plus fort de votre passion, vous lui avez confié trop de secrets.

Elle a un vilain sourire qui révèle son absence d’âme.

— C’est bien vu, mon flic ! Très bien vu.

— Par contre, je pige mal que vous l’ayez fait torturer avant liquidation totale.

— Oh ! ça, ce n’était pas par sadisme, mais pour lui faire restituer une chose très importante pour moi que je lui avais confiée.

— Je peux savoir quoi ?

Elle secoue la tête.

Nein, Herr Direktor ; secret professionnel !

— Et il vous a restitué la « chose » en question ?

Elle se rembrunit.

— Celui qui s’est occupé de lui m’assure qu’il ne l’avait pas, sinon il aurait parlé car il a passé un très sale moment.

— L’ayant vu mort, je ne puis que confirmer ces dires, baronne. Dites-moi : vous êtes réellement baronne ?

— Ayant épousé un baron, je le suis.

— Au fait, je n’ai jamais entendu mentionner votre époux dans ce bigntz.

— Canné depuis vingt piges, mon chou !

— De sa belle mort ?

— Si on peut appeler une « belle » mort le fait de tomber d’une falaise de deux cents mètres sur des rochers, au Mexique.

— Quelqu’un lui a fait rater la marche ?

— Devinez.

— Vous ?

— Pas si bête ! Pourquoi faire soi-même ce qu’on peut faire faire par autrui contre une liasse de dollars ?

— Vous veniez d’où, Léocadia, avant d’épouser ce feu baron ?

— De Nice.

— Vie orageuse ?

— Sur laquelle j’ai tiré un trait. Il faut changer radicalement d’existence tous les vingt-cinq ans. Je m’apprête à le faire pour la seconde fois.

Ce qui sous-entendrait qu’elle a cinquante balais, la mère ; elle oublie les mois de nourrice et les années de guerre ! Ce ne serait pas tous les trente piges qu’elle opère sa mue, la dabuche ?

— Et ça va être comment, la troisième époque, baronne ? Le côté Matrone des Sleepinges, Négresco, Waldorf Astoria ?

— Non, tout cela je viens de le vivre, ça ne m’épate plus.

— Alors ?

— Pour commencer je vais me faire refaire la gueule de la cave au grenier ; et puis, avec le monstre blé que j’ai engrangé, j’irai dans les pays déshérités fonder des dispensaires pour les gosses en péril, les petits scrofuleux, les squelettes vivants qu’on nous montre parfois à la télé et qui font si peur que les gens zappent dare-dare !

Là, ma stupeur atteint le paroxysme du paroxysme. Elle me chambre ou quoi, la vieille ? Pourtant son air grave n’a pas l’air bidon.

Elle murmure d’une voix mélanco :

— J’ai jamais pu avoir de gosse, alors je vais finir ma vie avec ceux des autres. Tu sais, flic, d’être truande n’empêche pas les bons sentiments. Surtout ne me parle pas de rachat, j’en pisserais dans mon froc ! Je ne regrette rien et même tu vois, quand les deux têtes de nœud auront fini leur trou, c’est ma pomme qui te cloquerai une bastos dans le pariétal.

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