Frédéric Dard - La matrone des sleepinges

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La matrone des sleepinges: краткое содержание, описание и аннотация

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T'as déjà pris l'Orient-Express, toi ?
Jamais ?
Alors t'as tout raté !
Tu sais qu'il s'en passe des choses dans ce train de rêve ?
Et pas seulement celles que tu crois.
Des choses que t'en reviendras pas.
Je connais des tas de mecs qui n'en sont pas revenus.
Qui n'en reviendront jamais ! Cela dit, la baronne Van Trickhül ne le prend pas à chacun de ses trajets.
En voilà une, je te la recommande !
La Matrone des Sleepinges, je l'appelle.
Au retour, j'ai essayé de compter les macchabées jalonnant sa route ; comme j'avais pas de calculette, j'y ai renoncé.
Mais lorsque t'auras terminé la lecture de cette épopée ferroviaire, tu pourras t'y coller, si ça t'amuse.
Si on te filait dix balles par tête de pipe, t'aurais de quoi prendre l'Orient-Express à ton tour.
Auquel cas tu devrais faire poinçonner ton bifton plutôt que ta tronche !

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— Cette fois, je pense que c’est le terminus, avertis-je.

Depuis un certain temps, la tire a perdu sa vitesse de grande routière pour naviguer par des voies confidentielles.

Tours et détours. A un certain moment, on fait grelotter les lamelles d’un pont léger, plutôt d’une passerelle. Un ou deux virons, et voilà !

Nous entendons s’ouvrir et se claquer les quatre portières. Des pas touillent les graviers d’une allée ou d’une esplanade. Ils s’éloignent.

— Votre avis, docteur ? demande M. Blanc.

— Je perplexite, avoue-je. On quitte le coffre ou on attend.

— Pourquoi attendre ?

— Bonne question. J’envisageais la seconde solution dans le cas où, quelqu’un surveillant la voiture à distance, nous perdrions l’effet de surprise.

— Corrosif ! lâche-t-il.

On gamberge en faisant cerveau à part.

— Par contre, reprend mon pote, si nous parvenions à quitter ce coffre sans être retapissés, on l’aurait meilleur pour une attaque de commando.

— Tu oublies les graviers qui nous entourent ? Rien de plus perfide !

— Exact. Alors on attend.

MARDI (PROBABLEMENT)

Je ne sais pas où, ni l’heure

Et comme cette décision est sage !

A peine l’avons-nous adoptée qu’un double pas retentit, qui se rapproche.

— Tu tiens la manivelle ? m’enquiers-je-t-il.

— Bien en pognes, me rassure Jérémie.

De mon côté, j’ai, depuis lurette, dégrafé la sangle de toile maintenant le cric. Seule crainte : nos membres ankylosés. Tu ne vois pas qu’on soit relégués à l’état de tas dans cette chignole ? Que, l’instant décisif (ou de Sisyphe) venu, ne puissions plus faire un geste ?

J’invoque le Seigneur, et puis aussi maman, car on ne s’entoure jamais d’assez de précautions.

Les pas stoppent à l’arrière de la Mercedes. Clé dans la serrure.

Santantonio, toujours à la pointe de l’action ! Un surdoué en la matière. Le génie du coup d’éclat à l’état pur. Deux comme lui : y en a un de trop !

A peine le couvercle commence-t-il à se lever que je me dresse comme… Quel est le con qui vient de dire : « un diable dans sa boîte » ? Je ne veux plus entendre de pareils lieux communs, compris ? Quand on lit du Sana, on a sa dignité, bordel !

On entreprend une croisade ! On s’écarte des chantiers battus.

Bon, je disais donc que je me dresse comme la bite d’un collégien à qui Madonna tripoterait les couilles au cinoche.

Le couvercle est soulevé tel un canot par une vague de fond. En même temps je pousse un cri terrific de kamikaze, un truc dans le genre de « hhhhaaaaaaarwhhhh », mais en plus fort. Je suis agenouillé dans la malle, je file un coup de cric mortifiant et déprédatesque dans la figure d’un monsieur auquel je n’ai pas eu l’honneur d’être présenté et qui, sur le coup, se fend la gueule ! De son côté, Jérémie Blanc use de sa manivelle à bon escient.

Son coup est l’écho du mien. Bruit de chaise et de pet dans un temple bouddhiste.

Inscrivez deux allongés de plus au tableau.

Pour ma part, j’ai seringué si fort que mon épaule me brûle.

Nous restons côte à côte, agenouillés dans la malle, à contempler ce qui nous entoure.

Un parc, une esplanade parsemée de graviers, au fond, une grande bâtisse sans grâce, à deux étages. On voit de la lumière en haut. Le ciel est tourmenté, nuageux ; une lueur blême, au bout de l’horizon, annonce l’aurore pour bientôt. Quelle vie de chien ! Je suis pétrifié par l’ankylose. Heureusement que je n’ai eu besoin que de mon hémisphère nord, sinon je restais en rideau comme un trou du cul-de-jatte dans sa caisse à roulettes.

Avec d’infinies précautions, je me risque hors de notre prison mobile. Une jambe, l’autre. Ça flageole, je ne sens plus mes guibolles. Je retombe à genoux. Le guépard de la brousse s’en sort mieux que moi. C’est coriace, ces grosses bêtes ! Quelques exercices d’assouplissement et le voilà prêt à prendre le départ d’un dix mille mètres. Il m’aide à retrouver la verticale ; mieux : me masse les mollets et les cuisses. Ses coups de tranchant de main remettent mon raisin en activité.

— Mieux ? chuchote-t-il.

— Impec. Foutons ces deux zozos à notre place.

Le mien est mal en point et râle. Celui du grand primate est un tout petit peu moins esquinté.

— Pour une fois, se réjouit M. Blanc, je n’ai pas cogné trop lourd.

Les voici au chaud ; emballez, c’est pesé.

— Ils doivent avoir des armes sur eux, note Blanc en les fouillant, sinon ce serait comme un garde-pêche qui ne porterait pas de flanelle pour faire sa ronde !

Ils en ont. Chacun un Colt à museau court. Par ici la bonne soupe !

Toi qui me lis scrupuleusement (et même scrofuleusement quand tu souffres d’une maladie éruptive), tu n’ignores pas que pareille situation s’est moult fois répétée au cours de mon indicible carrière en comparaison de laquelle celle d’Elliott Ness comporte autant de péripéties qu’un ouvroir de dames patronnesses. En combien de circonstances épiques ai-je risqué d’intervenir dans une maison isolée pour y surprendre de sombres et bas filous, gens de sac et de corde, pour qui l’assassinat n’était qu’épisode routinier ?

Nos armes de poing au poing (et au point, je l’espère), nous avançons sur la maison, déterminés, farouches, éclairés de l’intérieur par une indomptable énergie.

Elle est bizarre de conception, cette baraque ; pas du tout comme chez nous autres où un vestibule (voire un hall) sert d’épine dorsale et distribue les différentes pièces. Une porte à double battant fait communiquer le haut du perron avec une grande salle encombrée de machines-outils, d’établis, de caisses, de rayonnages. Bref, c’est d’un vaste atelier qu’il s’agit.

Personne ne s’y trouvant, nous le traversons pour gagner un escalier à rampe de fer, nu et froid, dont les marches sont en pierre.

Nous le gravissons, l’un suivant l’autre, ce qui nous conduit à un autre atelier, tout aussi désert que le premier.

Je crois t’avoir indiqué que la maison comporte deux étages. Mais tu es tellement tête de nœud de linotte que tu l’auras déjà oublié. Un second escadrin, de bois icelui, beaucoup plus étroit que le précédent, mène à une partie burlingue ou habitation.

Parvenu au second niveau, je stoppe pour risquer un œil. Ce qu’il y a d’étrange dans cette crèche, c’est que, malgré ses dimensions, il n’existe qu’une pièce par niveau. Comme je le subodorais, c’est effectivement d’une partie privée qu’il s’agit. Des divans de cuir ravagés, des fauteuils ; dans le fond, un bureau encombré avec un fauteuil pivotant et un meuble comportant des livres et des dossiers.

J’aperçois trois hommes : un très gros, tout chauve, habillé de noir avec une écharpe rouge, plus deux, tellement insignifiants qu’on leur marcherait dessus en les prenant pour deux peaux de banane. Outre le trio, la baronne, lovée dans un fauteuil et qui semble dormir, la joue contre l’accoudoir.

— On y va ! susurré-je dans le plat à barbe de Jérémie. Le premier qui bronche, on l’étale.

Et j’arrive peinardos dans l’immense livinge-rome (Béru dixit) en proférant ces simples paroles, d’une voix posée :

— Soyez gentils de lever les bras, messieurs, nous avons horreur de tirer sur des hommes assis.

Le trio en reste comme ce que tu voudras, mais bien !

— Exécution avant exécution ! insisté-je d’un ton si glacé que les mains d’un serpent passeraient pour des chaufferettes.

Comme s’ils étaient dans un état second, ils s’exécutent.

— Confie-moi ton feu, Jéjé, et va fouiller ces gentlemen en toute tranquillité : je suis capable d’en praliner deux à la fois !

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