Et la maigre société que nous formons se tord de rire, vu que le brigadier-chef porte, en guise de slip, une chose grisâtre, loqueteuse et informe. Tu sais, les vieilles pendules à balancier ? Elles comportent deux poids : l’un qui agit sur le mécanisme de l’heure, l’autre sur celui de la sonnerie. Généralement, celui de l’heure est beaucoup plus bas que son homologue de la sonnerie. Figure-toi qu’il en va de même des roustons de Mortelas. Son couillon gauche, qui eut probablement maille à partir avec une orchite dans le passé, lui tombe aux genoux, alors que le faux jumeau de ce dernier demeure blotti contre le tableau d’affichage. Et il a la dimension d’une cerise.
Par la large ouverture du créneau à zizi, on aperçoit une sorte de petit mégot de bite, à peine plus fort qu’un gnocchi, orphelin et recroquevillé dans un reliquat de prépuce.
Ainsi, le brigadier-chef Mortelas est mort, car le ridicule tue !
Intraitable, Bérurier lui porte l’estocade :
— Quand j’voye ta panoplie, Gringrin, j’m’ dis qu’c’est pas l’amour qu’ j’aye faite à ta femme, mais la charité !
Nous prenons rapidement congé de nos confrères pour aller galimafrer dans une auberge des environs de Houdan.
* * *
— Il a la tige [2] Pour « il attige », probablement.
, ce tordu, grommelle le Gros en passant un doigt dans le trou de son chapeau. Un bitos de pas douze ans, qu’j’avais acheté pour fêter l’enterrement à ma belle-sœur, l’infirme. Vous croiliez qu’ c’est réparab’ ?
— Pourquoi le ferais-tu réparer ? objecté-je. C’est un couvre-chef de gloire, mon chou. Crois-tu que beaucoup de flics peuvent se promener coiffés d’un galure traversé par une balle ?
— C’est vrai, convient spontanément Eléphant-man. On va m’ prend’ pour un n’héros.
Et le voilà rasséréné !
C’est en consommant une fricassée de poulet au vin blanc que je mets mes deux assesseurs au courant de ce que, in petto, je nomme : « l’affaire Chilou ».
Elle les passionne chiément. Le Vieux ! L’Inoubliable ! Son crâne brillant comme, la nuit, un projecteur de défense antiaérienne ! Ses phrases sèches, son œil de glace. Et puis ses emportements qui n’en finissent pas, comme les spaghettis que tu tortilles autour de ta fourchette et qui continuent de sortir de l’assiette !
Ayant achevé le récit succinct se rapportant au couple Achille-Thérèse, Pinaud le résume :
— La gonzesse part avec deux valises, sans rien emporter. Le dirlo retire 25 000 francs de sa banque, quelques jours avant de disparaître, et sa fille qui vit au Brésil est sans nouvelles de lui depuis des années. Pas de trace d’eux dans les agences de voyages, les réservations aériennes, les gares. La voiture d’Achille est dans son garage.
Bérurier torche le plat vide à l’aide d’un kilo de pain, pousse le tout avec du côtes-du-rhône-qui-se-laisse-faire et déclare :
— Si tu n’y verrerais pas d’inconvénient, grand, je vais aller faire le 22 chez la gonzesse. Y a sûr’ment des trucs à apprend’.
— A ta guise !
— Comme disait l’duc ? plaisante ce parfait humoriste.
Pinuche demande :
— Tu as fait placer le téléphone du directeur sur écoutes ?
— Bien entendu.
Il me prend pour qui, ce vieux con ? Pour quoi ? Pour qu’est-ce ?
— Reste plus que les avis de recherche, émet encore l’Epluchure-de-bananes.
— Le ministre s’y oppose fermement. Il prétend que ça la foutrait mal pour l’ancien grand patron de la Rousse et que nous devons être assez grands pour le retrouver sans cela.
— Il a raison ! décrète Sac-à-chose. D’quoi t’est-ce-t-il qu’on aurait l’air. J’voye d’ici la formule. « Cherchons not’ papa désespérément. Les perdreaux de France. »
— Ce qu’on ne peut faire pour Achille, on peut le faire pour la gonzesse, qui elle est inconnue, rectifie le Déglingué.
Il a raison. Mais comme cette histoire sent bizarre !
Deux jours plus tard, nous sommes toujours au point zéro. Le ministre me fait venir et, tout de go, me demande ma démission. Faute du Vieux, il nomme un préfet à ma place et me délivre le titre (est-ce une promo ?) de « Secrétaire d’Etat chargé des Services spéciaux » ; ce, à l’initiative du président de la République. Je suis chargé de composer ledit service dans la journée et de lui communiquer la liste de mes collaborateurs en fin d’après-midi.
Il a sa frime équivoque des mauvais jours, celle où la goguenardise et la réprobation font bon ménage avec, sous-jacent, un rien d’intérêt. Très bulldog en train de se demander s’il va te planter ses crochets dans le fion ou dans le cuissot.
Il ajoute, comme un qui rote une andouillette pas fraîche :
— La disparition de votre doublement ex-homologue commence à se savoir dans les coulisses, vous m’obligeriez en la résolvant dans les quarante-huit heures.
Je lui rétorquerais bien que « plus facile à dire qu’à faire », mais il vaut mieux garder l’échine souple comme un mocassin italien.
Pour la première fois peut-être de ma carrière, je me sens vide ; pire : incapable. Tu m’entends, Armand ? In-ca-pable. Ça me flanque une espèce de vertige interne. Je vais m’écrouler à l’intérieur de mon enveloppe charnelle. Imploser, quoi ! Est-ce à cause de ce remaniement ? De cette destitution faussement compensée par un gros gâteau à base de chantilly ? Est-ce à cause de mon inefficacité à retrouver Chilou ?
Je suis un vieux préservatif qui a servi et qu’on a balancé par la fenêtre. J’en ai reçu un sur la gueule, une nuit, en déambulant dans un quartier bourgeois plein d’ombres et de soupirs. Il s’est écrasé sur mon épaule, puis sur le trottoir. J’ai crié « Assassin ! » à celui qui, contrevenant aux vœux du Saint-Père, se défaisait bassement de sa progéniture en devenir.
Oui, je suis une capote enfoutraillée, inutilisable et dégueulasse. Besoin de me cacher ! La formation de ma nouvelle équipe ? Zob ! Qui veux-tu que je choisisse en dehors de Béru, Pinuche et M. Blanc ? Quelques autres collègues moins comme les autres, tels que le commissaire Honnisoit où le petit Machin-truc dont je ne me rappelle plus le blase et qui me fut si utile dans je ne sais plus quelle enquête ?
En fait, tu sais quoi ? J’ai besoin de me foutre le nez dans le cul, afin de laisser passer cette défaillance. Pour faire ça, une seule adresse : la mienne, que disait le cher Francis Blanche qui avait autant d’esprit qu’il buvait de Pernod sec.
Le hic c’est que m’man est dans le fin fond des Ardèches chez une sœur de papa en train de larguer la rampe. Accompagnatrice de rêve pour ceux du grand voyage, Félicie. Elle sait moribonder avec tact et gentillesse. Canner entre ses bras est un bonheur, maman.
Baisser le store en ayant son beau regard plongé sur tes adieux est le plus grand des réconforts. C’est une grâce du ciel auquel elle sert d’intermédiaire. Passeuse d’âmes ! Tu saisis ? Sa main, ses yeux, sa voix de bonté. Qui donc un jour pourra lui revaloir ça ? Moi, tu crois ? Je le voudrais tellement. J’ai toujours la crainte, au cours de mes tribulations lointaines, qu’une vacherie lui tombe dessus en mon absence.
Je rentre à Saint-Cloud malgré la maison vide et qu’il fasse matin. J’ai dormi au studio contigu à mon bureau, la nuit passée. Mon presque ex-bureau, devrais-je dire. La vie est un malaxage. On est touillé dans le grand mixer. Ça n’arrête pas : les gens, les lieux, les sentiments… Un jour ici, le lendemain là-bas. On fait semblant de trouver la chose normale, de s’y complaire. Mais tu ne m’ôteras pas de l’idée que la véritable existence, c’est celle du paysan, né dans la maison ancestrale, cultivant les champs qui l’entourent, et puis mourant dans le plumard où il est né, après s’être acheté une bagnole et la téloche.
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