Donc, pas de soucis exagérés : le membre colossal se remettra vite pour peu qu’on l’enduise de la pommade du Bon Sauveur dont il lui reste une fin de tube dans un tiroir « de secours » où elle serre les objets de première nécessité : sa vaseline, son revolver d’appartement, ses boîtes de préservatifs, trois godemichés de calibres différents, un portrait du saint curé d’Ars, un flacon d’élixir de la Grande Chartreuse (indispensable pour ranimer des sodomites néophytes qu’une intromission de trop fort diamètre font défaillir), une longue pince chirurgicale permettant de récupérer les trucs plus ou moins insolites que des apprentis pervers se carrent dans le rectum, et enfin un slip en forte toile, garni de clous dont la pointe est orientée vers l’intérieur.
Le Gros se laisse pommader le module lunaire en cessant peu à peu de récriminer. Il finit d’être vaincu par sa conquête lorsque Miss Cannelle murmure, d’un ton nimbé :
— Dommage, c’était vachement bon. J’avais jamais pris un trognon pareil dans le cul.
Sous prétexte d’examiner le désastre de plus près, ces dames se repassent le chipolata de Béru après l’avoir trituré d’importance. De l’avis général, l’incident sera rapidement contrôlé et un retour de Sa Majesté est vivement souhaité par toute une chacune.
La grande Sandra, qui décidément est faite pour donner un essor au bordel de la grosse Mina, entrevoit déjà des séances de gala réunissant des clients avertis auxquels Alexandre-Benoît proposerait des démonstrations de membre surdimensionné. Elle demande à notre ami s’il consentirait à des sodomies exceptionnelles, le cas échéant.
Le Mammouth déclare que, pour lui, l’amour c’est ni plus ni point qu’un orifice avec de la chaleur et qu’il n’est pas de ces dégueulasses mijaurés [4] Il ne répugne pas à mettre le mot au masculin.
qui font la fine bite. Quand il était enfant, à Saint-Locdu-le-Vieux, il s’exerçait sur des chèvres, voire sur son cousin Fernand qui avait des instincts homosexuels très prononcés et qui hébergeait son déjà monstre braque avec beaucoup d’aisance, sans émettre le moindre gémissement.
Son courage, sa bonhomie, font la conquête de ces personnes vouées à la volupté, et le Gros sort ragaillardi de l’entretien, la ziquette enveloppée d’un linge de toilette.
Miss Cannelle, auréolée par le fabuleux paf qu’elle a réussi à encaisser, nonobstant les avanies que l’on sait, raconte volontiers l’exploit du Mahousse. La gloire la rend lyrique. Elle dit la formidable poussée, quasi déchirante, qui l’a investie. Cette terrible pénétration prouve aux incrédules que patience, obstination et vaseline finissent toujours par avoir raison d’obstacles en apparence insurmontables. Elle veut une photo du membre pour l’envoyer en pays africain, bien montrer à sa famille que certains Blanchâtres n’ont rien à envier aux hommes de son village, et qu’il est des Blancs qui, comme en musique, valent deux Noirs.
Tout semble donc rentrer dans l’ordre. L’harmonie a tendance à revenir, consécutive à une période de déstabilisation. Après la pluie, le Bottin, comme disait si justement Sébastien à M. Gallimard père.
C’est alors qu’on sonne d’importance à la porte du boxon. Cette véhémence alarme Madame. L’usage du timbre de l’entrée est généralement furtif dans une maison comme la sienne. Il s’agit de petits pets penauds exécutés par des messieurs qui gardent la tête dans les épaules et ont grande hâte qu’on leur ouvre.
— Mais quel est le voyou qui se permet cette bacchanale ! fait la bordelière d’un ton offusqué.
Néanmoins, elle se dirige vers l’entrée que martèle à présent un poing bourré de rudes phalanges et phalangettes.
Je la suis, tout encuriosé.
Elle débonde. Sur son paillasson, il y a un gardien de la paix avec, agglutinées derrière lui, un groupe de personnes composites aux visages tendus.
Elle n’a pas le temps de poser une question, elle est bousculée, plaquée au mur par le flot qui se rue dans le bordel telle l’eau par la brèche d’un barrage.
Je le regarde déferler, aussi ahuri que mamie Pain-de-fesses.
Le fer de lance du groupe, en l’occurrence l’agent de police, marque une hésitation comme un qui prend ses repères, puis fonce résolument vers la chambre « du drame » dont la porte bée.
Il entre, suivi de la foule.
Je me fraie un passage difficile à travers ces badauds survoltés.
L’agent se précipite à la fenêtre que je découvre grande ouverte.
— Surtout ne bougez pas ! crie-t-il à l’extérieur. Restez face au mur, les pompiers vont arriver.
Kif dans un film, on perçoit en effet le pin-pon des « archers du feu », comme les appelait si joliment la comtesse de Ségur qui n’en fit jamais un seul au cours de sa longue vie.
Vachement énervé, j’extirpe ma brème poulardière et la brandis à qui veut l’admirer en psalmodiant des « Permettez ! Permettez ! » autoritaires.
Me voici enfin dans l’encadrement, tout contre le sergot. Je mate à l’extérieur et crois soudain être plongé dans un cauchemar.
Une corniche large d’à peu près vingt centimètres court sous la fenêtre et ceinture l’immeuble. Notre croisée est la dernière de la façade ; six mètres plus loin, c’est l’angle de la construction. Un homme est là-bas, debout, qui s’efforce de s’incruster dans le mur, lequel, en dehors de ladite corniche, ne lui propose aucune aspérité digne de ce nom à quoi s’accrocher.
L’individu s’est lancé sur ce faible rebord, non pas courageusement, mais je dirais plutôt inconsciemment. Il est parvenu à se déplacer sur cet étroit entablement et puis, arrivé à l’angle de l’immeuble, le vertige l’a saisi. Alors il a eu le réflexe de se plaquer de tout son être contre la façade, de fermer les yeux et d’attendre. Il parle. Une litanie. En tendant l’oreille on perçoit, déchiré par le grondement de la circulation, les paroles de sa prière. Il la sanglote.
Il récite, comme ça :
— Vierge Sainte, au milieu de vos jours glorieux, n’oubliez pas les tristesses de la terre. Jetez un regard de bonté sur ceux qui sont dans la souffrance, qui luttent contre les difficultés et qui ne cessent de tremper leurs lèvres aux amertumes de la vie.
Il ne peut aller plus loin.
— Maman…, balbutie-t-il. Maman… O maman !…
Je devine qu’il est à bout. Qu’il va lâcher prise, s’abandonner aux sortilèges de l’horreur.
— Pinaud ! lui lancé-je d’un ton tranquille, pas d’impatience, vieux crabe ! Tu dois tenir encore un petit moment. Les pompiers arrivent. Tu les entends ? Laisse-leur le temps de développer la grande échelle, ensuite tu n’auras plus rien à faire, ils s’occuperont de toi.
— Je peux plus ! Je peux plus, répond la Vieillasse dans un râle.
— Bon, lui dis-je, je te rejoins, mais ce que tu peux être chiant !
Malgré les exhortations de l’agent, j’enjambe la barre d’appui après avoir ôté mes mocassins.
Je me dis, dans ma Ford intérieure : « Pauvre fier à bras de mes fesses, héros de caf conc’ en chômage technique ! Tu te crois obligé de jouer les sauveurs intrépides, et tu vas déféquer dans ton beau costar de chez l’Académicien [5] Il m’arrive de m’habiller chez Pierre Cardin.
. »
Malgré cela, j’avance, tourné face au vide.
Je perçois l’arrivée des pompelards, en bas ; la rumeur d’effroi de la populace qui compte bien qu’on va se fraiser comme deux mannequins, La Pine et moi. Néanmoins j’avance, en raclant la façade de mes fesses crispées. Je ne regarde pas en bas, mais droit devant. Et qu’aperçois-je ? Pile vis-à-vis de ma pomme ? Une nana blonde avec des bigoudoches dans les crins. Elle a ses deux mains appliquées sur le haut de sa poitrine et paraît folle d’angoisse. Enfin quelqu’un capable de charité chrétienne, tu crois ?
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