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Frédéric Dard: T’assieds pas sur le compte-gouttes

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Frédéric Dard T’assieds pas sur le compte-gouttes

T’assieds pas sur le compte-gouttes: краткое содержание, описание и аннотация

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Faut toujours se gaffer des pays où il ne se passe rien. Parce que en général, il s'y passe des trucs-machins pires qu'ailleurs. Ainsi de l'Uruguay. Moi je croyais que Montevideo, sa capitale, n'était intéressante que pour les cinq pieds qu'elle apporte à une chanson. Fume ! Si nous n'avions pas été à la hauteur, Béru et moi, on y aurait laissé nos belles plumes de coq ! Heureusement qu'on a pu s'y faire rigoler la zize à s'en gonfler les amygdales sud ! Quand on a tout paumé, il nous reste au moins le chibre. Nos petites potesses n'en demandent pas davantage, t'es d'accord ?

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— Pour revenir à l’ordre du jour, lieutenant, vos services ont-ils une idée de l’endroit où il se terre ?

Ramirez hésite, emplit nos verres, mais, au lieu d’écluser le sien, décide d’allumer une cousue et finit par répondre à ma question par une autre :

— Vous avez partie liée avec les Britanniques ?

Je souris à son regard scrutateur, plissé par la fumée de la cigarette.

— Ce n’est ni aussi simple, ni aussi excessif, lieutenant.

En quatre phrases admirablement construites, je lui résume la requête que m’a présentée sir Raidcomebar quelques jours auparavant.

— Si j’ai accepté sa proposition, dis-je, c’est que je suis résolument hostile à toute forme de terrorisme ; c’est là un mode d’action que je juge vil parce qu’il fait fi des droits les plus élémentaires de l’être humain. Aucune cause ne vaut qu’on lui sacrifie des innocents. On ne solutionne jamais un problème par l’horreur.

« Mais pour répondre très sincèrement à votre question, je ne me sens pas lié à mes homologues anglais, pas plus que vous, cher Ramirez y Ramirez y Ramirez, ne sauriez l’être avec moi. Nous faisons des métiers similaires et nous nous devons assistance pour traquer les criminels. Cela dit, les intérêts de nos pays priment sur notre confraternité. »

À dire vrai, j’ignore tout de l’hymne uruguayen, mais si j’en connaissais quelques strophes, je les entonnerais bien volontiers pour parfaire un aussi brillant discours.

Son âme américano-latine frémit. Il me tend cinq doigts fortement imprégnés de nicotine pour une poignée de main qui finirait un film d’épopée sur fond de drapeaux ventés.

Amigo , me dit-il, si vous me promettez de ne pas révéler aux Britanniques ce que je sais, je vais vous le dire.

Dare-dare, je tends la main pour un serment qui ferait déféquer dans son froc un amiral de ferry-boat .

— Je vous donne ma parole de haut fonctionnaire français ! déclamé-je comme à une matinée théâtrale de la Comédie-Française.

Il écrase son mégot dans un cendrier de marbre.

— Depuis hier, mes services ont repéré l’homme en question et le surveillent étroitement.

— Mes plus vives félicitations, lieutenant. Vous comptez l’appréhender bientôt ?

— Sitôt que nous serons en possession de son dossier, car, jusqu’à plus ample informé, nous n’avons officiellement rien à lui reprocher.

Douche.

— Oui, soupiré-je, je comprends. Vous ne craignez pas qu’il prenne la fuite après avoir eu connaissance de l’article d’aujourd’hui ?

— Soyez tranquillisé : mes effectifs sont sur la brèche ! S’il tentait de filer, alors nous interviendrions.

Hommage par mimique expressive du grand San-Antonio.

— L’on m’a souvent assuré que votre police était l’une des meilleures du monde ; je constate que c’est la pure vérité !

Cette fois, il va devoir rentrer chez lui pour changer de slip, vu que le sien est à essorer.

Il a un élan. Un beau et noble élan doré à la feuille.

— Vous avez un peu de temps devant vous, cher ami ?

Je tricolore des pupilles.

— À vous consacrer ? Du temps, non ! Ma vie entière, lieutenant.

— Alors, suivez-moi !

Dans la cour de l’hôtel de police se trouvent une tripotée de guindes dont la plupart sont ricaines. Il choisit une Chevrolet bleue aux portes latérales coulissantes ; le véhicule est banalisé. D’un geste, Ramirez ordonne à un perdreau de prendre le volant puis il me prie de monter à l’arrière et s’installe à mon côté. Il jette une adresse que je ne peux mémoriser car il jacte plus vite que son ombre, l’ hombre !

On se met à déferler dans « Montez-vider-l’eau ». C’est l’heure précrépusculaire. Les petites boutiqueries de plein air plient bagage et la circulance se fluidifie. Mais il y a encore plein de gens sur les trottoirs, des couples de jeunes se tenant par la taille, quelques vioques aussi, à la démarche malaisée qui traînent leur fin de destin dans la lumière rasante du couchant. Tout paraît tranquille, bon à vivre. On devine un pays sans gros problèmes. La population est, en majorité, de souche européenne, et ça reste décelable malgré des éléments folkloriques d’origine noire et métisse.

On remonte l’Avenida 18 de Julio, riche en vestiges architecturaux. Le bon Ramirez fume comme un sapeur et l’odeur de son tabac me fout la gerbe, à moins que ce ne soit le « coup de volant particulier » de notre driveur ?

À présent, on quitte la ville pour suivre la route de Maldonado. Des maisons résidentielles dominent la mer. Blanches, d’un style franchement moderne, entourées de palmiers et de plantes épineuses.

Pourquoi me mets-je à rêver de l’une de ces constructions ? Qu’en ferais-je ? Des vacances avec Félicie ? Elle n’apprécierait pas le dépaysement, ma vieille chérie. Pas trop longtemps. Quelques jours, comme ça, pour être avec moi. Son univers, à elle, c’est la casa de Saint-Cloud : le bout de perron, le jardin, la tonnelle aux rosiers grimpants. Elle ne voit pas les immeubles dits « de grand standinge » qui nous cernent, certains revêtus de marbre blanc ou rose. Ils ont des balcons avec vue sur Paris. T’aperçois la Tour, l’Arc, le Panthéon, Montmartre. Et puis la Seine qui reptile doucement…

Vue sur nous autres, également, imprenable ! N’ont qu’à se pencher pour apercevoir ma Féloche de retour du marché, Pilar, notre Ibère, qui étend le linge dans la courette arrière, ma pomme déboulant de ma Ferrari et remontant la petite allée après avoir jeté un œil à la boîte aux lettres. On est offerts à toutes les curiosités voisineuses. Parfois, le dimanche, nos voisins huppés reçoivent des croquants de leur monde.

Il arrive qu’ils me montrent à eux. « C’est San-Antonio, vous savez, ce flic qui écrit des livres ? On dit qu’il gagne pas mal d’argent : il pourrait s’offrir une habitation mieux que celle-ci, plus en rapport avec sa situation. Je pense qu’il reste ici à cause de sa mère à laquelle il semble très attaché. »

Moi, je feins de ne rien voir. Si je m’écoutais, je tomberais mon bénoche et leur montrerais mon cul ou bien ma belle biroute satinée du bout. Mais à quoi bon scandaliser : ils le sont suffisamment avec ce que j’écris. Quoique à force d’à force, ils en prennent l’habitude, se formalisent de moins en moins ; je suis doucement rattrapé par la dépravation générale. Le jour viendra où je serai devenu rétro ; on saura plus me dissocier de la comtesse de Ségur. C’est George Sand qui fera figure d’avant-gardiste avec son François le Champi qui finit par s’embourber la fermière compatissante ; après l’avoir épousée, œuf corse. Suffit d’attendre, inexorable, le temps travaille pour, puis contre toi.

Pour t’en revenir, si j’avais une crèche ici, j’amènerais des frangines pour y vivre des lunes de miel. Ça remplacerait les petits entresols Renaissance de jadis. Je viendrais juste tirer des sœurs, à Montevideo. Cinq-six jours, pas davantage. L’exotisme porte à la peau. Je les tirerais en grand, face à l’estuaire, leur désignerais l’Argentine de ma bite. On boirait du fermenté douceâtre. Tu le sais, je raffole des alcools sweet . Les gueules de bois qui en consécutent sont méchantes et te poissent la clape, mais c’est vachement divin sur l’instant. T’as jamais bouffé une jouvencelle en éclusant du lait de coco alcoolisé, Alfred ? De première ! Non, crois-moi : y a des choses belles à vivre pendant qu’on le peut.

— Vous paraissez préoccupé ? me remarque Ramirez.

— Je réfléchis à cette affaire, mon cher confrère.

Il respecte ma méditation. Je gode langoureusement dans mon bénoche. La Chevrolet ralentit et attaque une rampe. Route en lacet, bordée de lauriers des deux côtés. Elle gagne un petit terre-plein où sont aménagés des bancs de bois et des longues-vues fixées sur un socle. Tu glisses quelques pièces dans la fente et ça te grossit un coin d’univers pendant quelques minutes. Mon presque ami s’empare d’un des appareils d’optique, le braque sur la collinette voisine, le règle, le fixe et me fait signe d’apporter mon œil préféré jusqu’à l’objectif.

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