Je les prends et je les plie en quatre, après quoi je tâte les poches de mon pantalon — puisque je n’ai plus ma veste. J’en extrais une blague à tabac en caoutchouc qui me sert à tout sauf à conserver du tabac puisque je ne fume que la cigarette. J’y serre les papelards. Après quoi, je me tourne vers Else.
— O.K., poulette. Ça biche. Tu vois qu’on finit toujours par s’entendre. Je sens que si nous poursuivions les mêmes fréquentations, nous finirions par cavaler jusqu’à la plus proche mairie pour nous épouser tout vifs. Alors, il vaut mieux que nous nous disions adieu.
Je dénoue ma cravate et lui la fourre dans la bouche. Après quoi, je noue une serviette-éponge par-dessus. De cette façon, la donzelle ne pourra plus crier.
Je lui donne une claque sur la partie pile de son académie.
— Bye, bye, chérie.
Je sors en prenant soin de bien refermer la lourde. La coursive est déserte, le pont aussi. À quelques encablures, j’aperçois la terre ; décidément, tout est parfaitement orchestré.
Je file sur l’arrière et saisis un filin qui pend ; grâce à lui, je peux descendre dans l’eau sans bruit.
Je nage en direction du rivage proche. Je ne sais pas si ma brasse est académique, mais je vous assure que le champion du monde n’existe pas à côté de moi. J’en mets un fameux coup. Et je jubile vachement. Pour un zig verni, je suis un zig verni. Quelques bosses, une baignade nocturne et les plans sont à moi. Rarement, je n’ai conclu une sale histoire de ce genre aussi rapidement. Évidemment, il y a eu de la casse en quarante-huit heures. Si mes souvenirs sont précis, je compte cinq allongés : le resquilleur de Turin, Tacaba, le bistroquet de Rome et les deux chourineurs de la môme Else, comme c’était tous des balèzes, on peut assurer qu’il y a eu au moins cinq cents kilos de bonhommes mis en l’air.
Faites le compte vous-même.
Et si vous ne trouvez pas votre taf, écrivez à mon éditeur, mais n’allez pas rouscailler auprès de lui parce qu’il pèse lui aussi dans les cent vingt kilos. Et comme c’est un gentleman pas commode, si votre bouille ne lui revient pas, il peut très bien vous faire avaler votre râtelier d’un coup de paluche.
Deuxième partie
LES DERNIERS CINQ CENTS KILOS
CHAPITRE PREMIER
Bonne chance !!!
Un vent léger court au ras des flots, cependant, la mer est tiède et calme. Après mon séjour prolongé dans le placard, cette baignade nocturne ne me fait pas de mal. Au bout d’une demi-heure, j’atteins la rive. C’est plein de palmiers dans ce quartier ; l’air sent l’ambre et la terre chaude.
Je m’ébroue comme un clebs et je me repère ; à l’horizon monte un halo de lumière, il s’agit d’une ville. Celle-ci est immense. Elle décrit un croissant au bord de la mer ; je suis à peu près certain que c’est Napoli. Je me mets en route dans cette direction et je ne tarde pas à atteindre les premiers faubourgs. Deux coups sonnent quelque part, je croyais que la nuit était plus avancée que ça, il est vrai qu’on peut abattre pas mal de besogne — et de bonshommes — en un temps relativement court.
Je suis surpris d’apercevoir des silhouettes dans les ruelles, il y a en circulation des copains qui, malgré les médailles qu’on voit briller à leur cou, n’ont pas l’air tellement catholiques. Ce serait le bouquet si je me faisais assaillir par une bande de vauriens et si ceux-ci me piquaient les documents en même temps que mon blé. Ça vous surprend que je parle de mon fric, et vous croyez pouvoir me contrer en objectant que j’ai le tantôt balanstiqué ma veste au jus en même temps que l’aspirateur, mais apprenez une chose, c’est que je suis toujours prêt au pire, c’est pourquoi, d’une façon générale, je mets le plus intéressant de mes papelards et de mon osier dans les poches de mon bénard.
Décidément, je trouve que les indigènes du coin ne sont pas des ingénus. Comme j’en ai plein le bol de ramasser des gnons, je décide de prendre les devants. Je m’approche d’un groupe avec mon air le plus chou. Les types se taisent, ils me regardent venir en me surveillant d’un regard oblique. Ils ont l’air assez décontenancés. Je réunis toutes mes connaissances d’italien et je me lance :
— Prego, signori, parlate francese ?
Un des types murmure quelque chose aux autres et me dit :
— Si, monsieur.
Alors, je me mets à lui expliquer que je me baladais au bord de la mer en compagnie d’une bath pépée que j’avais levée à la terrasse d’une brasserie et que, parvenu dans un endroit désert, deux individus s’étaient jetés sur moi et, après m’avoir dépouillé de mon pognon et de ma veste, m’avaient poussé au bouillon. J’ajoute que s’il avait la bonté de m’emmener jusque chez le consul de France — qui est un ami — il serait largement récompensé.
Il dit gi-go, explique le code à ses acolytes et me fait signe de le suivre.
Comme cela, me voilà paré. Je ne risque pas de faire de mauvaises rencontres puisqu’un voyou me sert d’escorte.
*
Le consulat de France est en pleine ville. C’est une maison pépère, style Médicis. Au-dessus de la porte, j’aperçois la plaque ovale sur laquelle je lis ces mots qui me ravissent : République française . Je me mets à carillonner, ce qui a pour résultat de déclencher les aboiements d’un chien à l’intérieur.
Je recommence, bien décidé à jouer les cloches de Corneville jusqu’à ce qu’il me vienne de la corne dans les mains.
Enfin, une lumière s’éclaire au premier. Je vois une tête ébouriffée qui demande :
— Qu’est-ce que c’est ?
— Je veux voir le consul.
— À cette heure !
— Il n’y a pas d’heure pour un type en mission. Prévenez illico le consul que je suis envoyé par le gouvernement français et qu’il doit me recevoir sur-le-champ.
Je fouille mes poches et je tends un billet à mon guide.
Il le prend, complètement éberlué.
— Les bandits m’avaient laissé celui-ci pour toi, fais-en bon usage et apporte la monnaie à ta vieille mère. Maintenant, tu peux te barrer.
Il balbutie un vague remerciement et s’éloigne.
Pendant cette petite diversion, d’autres fenêtres se sont éclairées dans la baraque. Bientôt la porte s’entrebâille.
— Que désirez-vous ?
Je reconnais le pignoufle qui m’a parlé à la fenêtre. Énervé, je pousse la lourde d’un coup d’épaule et j’entre dans un hall rupinos.
— Vous faites de l’amnésie, mon vieux, dis-je au type en pyjama qui se tient devant moi. Je vous répète que je dois avoir un entretien avec le consul immédiatement, je sais que je n’ai pas une tenue adéquate, mais si rien d’extraordinaire ne se passait, je serais au dodo comme vous et je pioncerais tellement fort qu’une batterie de DCA ne parviendrait pas à me réveiller. Vous êtes le larbin, je suppose ?
— Oui.
— Alors, allez dire à votre patron que le commissaire San Antonio, des services secrets français, a quelque chose de chouette à lui raconter.
Ce crétin semble avoir une lueur d’intelligence. Il me fait un signe d’assentiment et grimpe un escalier de marbre. Quelques secondes plus tard, je vois rappliquer un type en robe de chambre bordeaux. Il est grand, mince, bronzé, entre deux âges, grisonnant, distingué et il n’a pas l’air d’un topinambour, je vous assure.
— Vous êtes le consul ?
— Parfaitement. Mon domestique m’a dit…
— Que j’étais un noyé repêché de justesse.
Il sourit.
— Il m’a aussi affirmé que vous apparteniez aux services secrets français.
— Il a dit la vérité.
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